Chapitre 1
guiliane
Le 26 décembre 1883, Charlotte Nancet décéda d'un cancer de la rate, dans son lit.
Le 1er janvier 1884, son unique petite fille, Julia, se rendit à sa demeure, la veille de son enterrement. À l'époque, elle n'était ni plus, ni moins qu'une petite fille de treize ans, à la tête d'une des plus grandes fortunes du pays. Elle avait des yeux bleus et une natte était souvent de rigueur pour tenir sa tignasse brune et bouclée. On disait d'elle qu'elle était fine comme un cure-dent.
Comme à son habitude, son cou était orné d'un pendentif en forme de clef avec lequel elle jouait lorsqu'elle s'ennuyait.
Ce jour là, elle portait une robe bleue. Elle regardait par la fenêtre de la voiture à quatre chevaux. Sa joue collée contre sa main, elle s'appuyait sur sa portière. Ce jour là, il neigeait, une neige frêle, peinant presque à rejoindre le sol. Le paysage défilait, lent et rapide à la fois. Le ciel était noir...si noir qu'on aurait pu s'y perdre, le noir d'un ciel sans lune.
Tandis qu'elle s'endormait, la voiture freina, la sortant brutalement de sa si douce torpeur. Elle était arrivée.
Le 2 janvier 1884, bon nombre de visages lui étaient inconnus, durant ces obsèques. Ils lui présentaient tous leurs plus sincères condoléances, sans oublier de préciser leurs noms et leur rang.
« Pitoyables » pensait-elle en voyant tous ces animaux se piétinant presque pour se présenter à elle.
Ainsi, après la cérémonie, elle se retira dans le manoir de sa grand mère, où elle avait couché la veille, son majordome, vêtu d'un costume noir, la suivant de près. N'était-il Homme sur cette Terre plus fidèle à Julia que lui ? Non, jamais. Les être de ce monde l'avaient perpétuellement déçue : sa mère n'avait pas supporté de la mettre a monde. Quant à son père, l'alcool et la luxure l'avaient perdu, trois année plus tôt. Depuis, ce majordome avait tout traversé avec elle, sans jamais la décevoir.
Le 3 janvier 1884, Julia se retrouva seule dans le bureau du notaire, en temps qu'unique héritière. La lecture du testament se fit dans le silence de cette pièce immaculée. Le sol était ciré, aucun objet ne dépassait. Derrière lui se trouvait une bibliothèque remplie de dossiers. Son bureau ne trahissait aucun désordre, tout était vide de personnalité, comme si l'on avait déposé ce personnage anxieux et dégoulinant de sueur dans un environnement qui n'était pas le sien.
Charlotte Nancet léguait tous se biens à sa petite fille, Julia Simmons, et personne ne fut étonné à cette annonce.
Le temps passa alors. Durant trois ans encore, Julia n'entendit mot à propos de sa défunte grand-mère, bien qu'elle habitât sa demeure.
Le manoir Nancet était réputé, dans les Landes, pour sa somptuosité. Ainsi, ses nombreuses fenêtres donnaient sur ces nombreuses terres désertes.
Le 6 novembre 1887 était un jour enneigé des plus banals. Julia frissonnait dans le drapé de son lit à baldaquin. Son majordome s'approcha doucement d'elle, lui demandant, comme chaque matin, le tenue qu'elle désirait mettre.
« William, je m'en contre-fiche.
- Mais il faut bien, lui répondit-il avec douceur, visiblement habitué à son humeur matinal, vous mettre quelque chose sur le dos...
- Je n'en ai que faire, tu comprends, William ? Tu n'as qu'à me prendre le premier truc qui tombera sous ta main, dans cette commode. » Fit-elle alors en pointant la chiffonnière, à l'autre bout de la pièce.
« Mais, c'est que...hésita-t-il, il n'y a aucun vêtement à l'intérieur. »
Julia se redressa, prenant soin de cacher sa poitrine avec sa couverture. Comment était-il possible que cette commode n'avait jamais servit ni à elle, ni à lui ? Elle avait pourtant toujours été là...
Oui...aussi loin que ses souvenirs lui permettaient, elle avait toujours vue cette commode...mais si elle ne servait à rien...pourquoi était-elle ici ? Elle noua ses couvertures et se déracina de son lit.
Une serrure.
La raison pour laquelle William n'y avait pas touché, c'était certainement parce qu'il pensait que son accès était strictement réservé à Julia...
Elle la détailla. Elle était minuscule. Quant à la commode, à la regarder de plus près, elle était magnifique. On n'eût jamais vu pareil travaux d'ébénisterie. Elle toucha machinalement son pendentif.
« Et si... » Pensait-elle. Elle détacha, avec soin, la chaîne et inséra la clef dans la serrure de la commode.
« Une lettre ! » S'exclama-t-elle avec mépris. « Comme si j'avais besoin d'une lettre ! » Elle la regarda de plus près...elle était marquée du sceau de la famille Nancet. « Pour Julia... » Lu-t-elle.
« William, laissez-nous seules. » Lui intima-t-elle, instinctivement.
Elle retourna s'asseoir sur son lit. C'était son écriture...la missive arborait un parfum de lavande...« Il est vrai que tu aimais cela... » Pensait-elle, un sourire mélancolique aux lèvres.
« Ma chère petite Julia,
Il y a bien longtemps que je n'ai pas vu de sourire sur tes lèvres encore enfantines, ou de malice dans tes yeux de petite fille...es-tu réellement devenue une adulte dans un corps d'enfant ?
Je t'en pris, dis-moi que non...
Je suis au regret de me dire que ta lecture de cette lettre signifie que je ne suis plus de ce monde...mais j'aime à croire qu'il en existe un autre...et c'est pour cette raison que je t'écris.
Les Landes, c'est vaste, perds-y ton majordome !
Depuis la nuit qui a suivit mon enterrement, elles t'attendent ! Il n'est pas trop tard ! Elles te guideront jusqu'à moi...j'espère qu'il n'est pas trop tard...
En espérant te revoir bientôt, ton aïeule, Charlotte Nancet. »
Julia n'y comprit pas un traître mot...
Elle s'habilla d'une robe rouge en feutrine, abandonnant l'idée de comprendre son épître. La journée passa inlassablement comme toutes les autres et vint l'heure où elle dû s'abandonner aux bras de Morphée.
Sous ses draps encore frais, elle crut entendre un tintement de cloche. Attisée par la curiosité, elle retira délicatement les draps de son visage. Une...cinq...dix...des centaines de lucioles étaient entrées par la fenêtre qu'elle s'était surprise à laisser ouverte. Elle se leva brusquement de son lit pour les chasser.
Elle se retrouva comme emmêlée dans les lumières de ces bêtes. Elle en vint à regarder par sa fenêtre. Le Landes étaient illuminées par des millions de petites lumières. Arbres, terres, rochers, marrais...elle commença à descendre descendit discrètement les escaliers de la demeure pour se glisser à l'extérieur...William allait s'inquiéter, certainement la chercher partout... « Les Landes, c'est vaste, perds-y ton majordome ! » Elle sourit à cette idée. Elle s'éloigna de la demeure, et bientôt, laissait le domaine tout entier derrière elle.
L'herbe fraîche et humide sous ses pieds nus lui donnait un agréable sentiment de légèreté, si bien qu'elle courut...plus vite et plus loin qu'elle ne l'aurait jamais espéré. Une pluie torrentielle commença à s'abattre sur les terres.
Elle n'en avait rien à faire.
Elle courut encore, suivant les lumières qui éclairaient son chemin. Chaque ombre les faisait ressortir de plus belle, et chaque arbre en cachait des centaines d'autres. Seulement, elle tomba nez à nez avec un immense arbre. Bien plus immense que tous ceux entre lesquels elle avait courut jusque là. Bien plus grand que tous ceux qu'elle avait vu dans sa vie...les lucioles semblaient se réfugier dans une entaille, dans le tronc de celui-ci. Elle se risqua à l'intérieur. Ses mains s'appuyaient sur l'écorce humide. Ses pieds nus, rougis par le froid, tentaient maladroitement de n'écraser aucune fée posée sur le sol.
Bien qu'il parût grand de l'extérieur, cet arbre l'était encore plus de l'intérieur. Le rayonnement de chaque fée se tamisait et l'on pouvait distinguer leurs corps et leurs ailes...oui, elle n'avait plus de doute, toutes ces lumières n'étaient pas de vulgaires insectes.
Elle eut un frisson à la vue d'une autre lettre, là, juste devant elle, apportée par des milliers d'autres fées. Elle ne reconnut pas l'écriture de sa grand-mère, et ne vit pas non plus de cachet, cette fois, mais elle l'ouvrit :
« Des fées ! Je ne rêve pas ! Des fées ! Ce sont des fées qui m'ont conduite jusqu'ici !
J'écris ici pour garder une trace de ce que je viens de voir ! C'est incroyable !
Elles étaient des centaines...que dis-je ? Des milliers ! Toutes pour me guider jusqu'ici !
Toi qui me lis, que ce soit moi-même, Charlotte Nancet, ou encore qui que ce soit d'autre, tu as dû les voir, ces fées ! Je ne suis donc pas folle ! Je compte dès à présent écrire une lettre à moi-même que je garderai avec moi disant – entre autre – que je ne suis pas folle et que j'ai bien vu des fées. Celle-ci restera dans cet arbre.
Moi, Charlotte Nancet, 12 ans, déclare que je ne suis pas folle, et que j'ai bel-et-bien vu des fées ! »
Julia s'écroula à terre, les fées se sauvant devant le géant qui s'affalaient sur elles. Elle venait de retrouver une mettre de sa grand-mère...à l'âge de douze ans qui plus est !
Elle relu la lettre plusieurs fois...tout était incohérent, mais de ce fait, très logique ! Il était d'ores et déjà impossible que des fées aient pu conduire sa grand-mère dans un arbre, encore moins que Julia ait, elle-même, été conduite ici...pourtant elle était là, ne cessant de se pincer pour se réveiller...sans succès.
Sa chemise de nuit était couverte de boue et elle était si trempée que celle-ci lui collait obscènement à la peau. Elle passa machinalement sa main à son cou, cherchant son pendentif, mais c'était inutile, elle ne l'avait pas. Elle frotta son œil droit de sa main gauche : qu'avait-elle fait ?
En regardant au dessus d'elle, elle vit un trou béant...et elle eu comme le vertige, comme si elle avait pu tomber dedans. Elle n'avait plus de voix pour crier, ses jambes ne la porteraient pas, et des yeux commençaient à tomber, usés par la fatigue.
Son dernier souvenir fut des voix...les voix de dizaines d'enfants « réveille-toi! » criaient-ils...se pouvait-il que ces voix furent celles des fées. Une dernière voix sonna encore, « réveille-toi Julia ! » fit-elle. Et elle eut l'effet d'un coup de fouet. Elle se réveilla en sursaut dans son lit. Ses membres étaient tétanisés. Elle entendait encore le cri qu'elle venait de pousser, résonner dans la pièce, et par la même occasion, dans sa tête. Trempée de sueur, elle se leva péniblement de son lit. Elle contempla l'horreur qu'elle était dans le miroir. Elle était blême, pale, blafarde, tremblante, gauche, chancelante. Et sa chemise de nuit était aussi sale que si elle s'était roulée dans la boue.
Cette histoire m'a transporté, elle est touchante.. J'aime ce genre d'histoire!
· Il y a plus de 10 ans ·freedom_sr
Merci! mais ce n'est, pour l'instant, que le chapitre 1...
· Il y a plus de 10 ans ·guiliane