Chapitre 10 - Quatorze ans pour l'éternité
pindariste_
Chapitre 10
Mardi 16 novembre 2021
Lucie Lambert
L'aide de mes trois amis ne suffisent malheureusement plus. On essaie de se voir en dehors du collège une fois par semaine, mais ça n'arrive plus à me changer les idées. Je sais qu'ils font tout leur possible et que ça les épuise. J'ai l'impression d'être un poids pour eux.
La journée a été longue, et on finissait à dix-sept heures. Je n'en voyais pas la fin. Candice a réussi à monter pratiquement toute la classe contre moi. C'est un enfer pratiquement tous les jours, je reçois des mots sur ma table, des insultes, des coups, etc. Matéo et Dylan essaient tant bien que mal de m'aider et de me défendre, mais seuls contre toute une classe, c'est assez difficile. Je leur ai redit de ne pas parler de tout ça, car je ne veux inquiéter personne et je n'ai tout simplement pas envie d'en parler. C'est un sujet délicat.
Je marche le long de la route, tout en regardant les maisons, comme tous les jours. J'aime beaucoup regarder les jardins, certains sont magnifiques, avec plein de fleurs ou d'arbres fruitiers. J'adore les rosiers, surtout les roses oranges. Soudain, je sens une main se poser sur mon épaule, ce qui me sort de mes pensées. Je me retourne et je vois Matéo, une lettre à la main.
– Tiens, tu es sortie trop en avance et je n'ai pas pu te donner ça.
Voyant que je n'allais pas répondre, il me met l'enveloppe dans la main.
– Ouvre-la quand tu seras chez toi.
Je la prends et la range dans la poche de mon jean. Avant que je ne reparte, Matéo dépose un bisou sur ma joue.
– À demain, dis-je en baissant les yeux au sol.
– À demain, me répond-il en souriant.
Je tourne le dos avant qu'il me voit rougir. Je continue ma route sans me retourner.
Arrivée chez moi, je laisse mon sac sur la chaise de mon bureau et m'allonge sur mon lit. Je sors l'enveloppe que m'avait donné Matéo et l'ouvre. Je découvre un superbe papier, rempli de couleurs et de petits dessins. Je reconnais bien son style, cette lettre le représente bien. Je lis le mot qu'il a écrit.
Salut Lucie. Je sais que c'est dur pour toi en ce moment. Sache que je serai toujours là pour toi. Je suis désolé si des fois, je n'étais pas là... Je tiens à toi Lucie, l'oublie pas. Dylan, Gaetan et moi sommes là. N'hésite vraiment pas à venir nous parler. Tu ne nous déranges pas. Ne garde pas tout pour toi même si t'as peur de nous inquiéter.
Bisous ♡
M.
Je pose l'enveloppe et la lettre sur ma table de nuit. C'est gentil de sa part, même s'il n'a pas à s'excuser pour tout ça. Ce n'est pas de sa faute. Je sors mon portable et j'envoie un message à l'écrivain de cette belle lettre.
Lucie | Merci pour la lettre, c'est gentil
Matéo | De rien, y'a pas de quoi
Lucie | Mais, c'est pas grave tu sais, si... t'étais pas là
Matéo | Je m'en veux, à cause de moi, tu te fais taper dessus tous les jours...
Lucie | Ce n'est pas de ta faute
Lucie | J'ai juste quelques bleus, rien de grave
Matéo | Rien de grave ? Avoir des bleus, c'est déjà trop !
Lucie |Mais non t'inquiète
Matéo | C'est décidé, demain, je vais voir le CPE !
Lucie | Non Mat, s'te plaît...
Matéo | Si Lucie. Que tu le veuilles ou non.
Je sais très bien qu'il est en colère et sérieux. Il ne m'appelle jamais par mon prénom. Je préfère ne pas faire de vagues, et attendre patiemment la fin de l'année. Sept mois ce n'est rien, je peux tenir. Je pose mon téléphone sur ma table de nuit et ferme les yeux. J'essaie de m'endormir. Mon portable vibre, ça doit être Matéo, mais avant que j'ouvre les yeux pour vérifier, une main vient se poser devant ma bouche.
– Mmh ! fis-je en écartant les yeux en voyant la personne qui se tenait devant moi.
– Tais-toi, chuchote Candice.
Elle enlève sa main pour me laisser parler.
– Comment t'es montée ? crié-je en rage.
– J'ai dit à ta mère que j'étais une camarade de classe et que je venais pour les devoirs car j'arrivais pas à faire un exercice.
Je ne peux pas en vouloir à ma mère, elle ne pouvait pas deviner, elle pensait bien faire. Elle me prend par le bras et m'emmène en bas. On sort dans le jardin, puis dans la rue et enfin, elle m'amène au gymnase du village. Je résiste quand elle me force à entrer mais dès que je vois des personnes courir vers moi, je cède, je n'ai plus de force, plus la force de combattre face à une dizaine de personnes. Elle m'amène ensuite dans les douches des vestiaires. Je vois que la soirée qu'elle avait organisé avait un tout autre but que de s'amuser.
Un garçon blond aux yeux marrons, qui parait plus petit que nous, s'approche de moi et me met une béquille. Je pousse un cri de douleur et m'effondre au sol. Je rapproche mes genoux de ma poitrine et ferme les yeux. Je sens des pieds venir frapper mes tibias et même mon dos. Je n'en peux plus. J'ai envie de courir, de tous les bousculer et de partir loin. Mais je n'ai pas le courage. J'entends de l'eau couler, et je me retrouve trempée de la tête aux pieds en une fraction de secondes. Je les entends rire, prendre des photos, des vidéos, se moquer de moi. J'ai peur que tout ça finisse aujourd'hui, et que mon corps cesse de résister. Je ne veux pas laisser Matéo, ni Gaetan, ni Dylan. Ils ont tout fait pour moi. Je ne veux pas partir sans leur dire au revoir.
Trente bonnes minutes ont passé, et j'entends tout le monde partir en courant. Quelqu'un s'approche de moi, et pose sa main sur le haut de mon crâne. Je lève la tête et aperçois Matéo. Je souris malgré ma douleur.
– Matéo... Je...
– Garde des forces pour rentrer chez moi, me coupe-t-il en me serrant dans ses bras.
Je crois bien qu'on pleure tous les deux. Je suis soulagée de le voir ici. Rien que sa présence m'apaise.
– Dylan m'a envoyé une story d'une personne de la classe il y a trente minutes. Excuse-moi d'être arrivé en retard. J'ai fait du plus vite que j'ai pu. Tu peux te lever ?
Je m'appuie sur son épaule, j'ai du mal à marcher. On sort du gymnase et il me ramène chez moi. Mes parents s'inquiètent en me voyant trempée de la tête au pied. Ils me posent un tas de questions, mais je ne réponds pas. Matéo me traîne directement jusqu'à la salle de bain et ma mère m'amène un pyjama. Tous les deux sortent pour que je prenne une douche. Je me doute que Matéo va tout leur raconter. Je ne veux pas. J'ai honte.
Je reste une bonne heure dans la salle de bain, en répondant de temps en temps à mes parents qui m'interpellent pour savoir si je suis toujours en vie. Je me regarde dans le miroir et détourne de suite le regard. Je n'y arrive pas. J'ai honte de moi. Honte de ne pas réussir à me défendre toute seule. Matéo endosse tout à ma place.
J'entends mes parents pleurer, et mon père crier. Je ne veux pas sortir de là.
– Lucie, sors de là. Tes parents veulent te parler, murmure Matéo derrière la porte.
J'entrouvre cette dernière. Je vois mon ami, les yeux rouges, son téléphone à la main. Il a dû leur montrer les vidéos des gens de ma classe. J'ouvre complètement la porte et me réfugie dans ses bras. Je pleure, lui aussi. Puis, nous rejoignons mes parents dans ma chambre.
– Écoute Lucie, demain matin, nous irons avec Matéo voir le CPE. Il faut que ça s'arrête. C'est pour ton bien qu'on fait ça. Tu viendras avec nous, m'annonce ma mère.
– On ne t'en veut pas, d'accord ? Alors tu n'as pas à t'inquiéter pour ça, ajoute mon père.
Matéo rentre chez lui une heure après, et je me couche directement. Je n'ai pas envie de parler à mes parents, pas toute seule. Je sais que beaucoup de personnes vivent des choses bien pires que les miennes, mais la nature a voulu que chacun de nous ait une sensibilité différente. Pour moi, tout ça, c'est trop. Je n'ai plus la force de me battre, j'en ai marre.