CHAPITRE 12

checkpointcharlie

PARTIE 1 - GALETTE ET DÉSARROI CHAPITRE 12

- Ça va ? Tu... Tu as mal quelque part ?
- Je sais pas... Je... Je me sens pas super bien... Je crois que je vais vomir...


Oh non non non non non, me vomis pas dessus, me vomis pas dessus !


- Tu t'es brûlé...?
- Ah ! O mój boże ! Peut-être ?! Mon ventre est bizarre ! Auć ! J'ai mal ! Je... Ma peau ! Oh non ! Regarde ! Regarde, vite ! Dis-moi si c'est grave ! Je... Je vais mourir, tu crois ??


Je me précipite pour examiner son ventre, craignant une brûlure irréversible au trente-cinquième degré, avec la peau fondue qui se détache de manière gore, la chair à vif, des cloques de partout, le squelette visible, les organes qui sortent, tout ça...


- Euh... Non. T'as rien du tout...
- T'es sûr ? s'écrie-t-il, inquiet. Tu... Tu sens pas un truc, là ?


Il prend ma main et l'aplatit en plein sur ses abdos. Euh... Quoi ?! C'est quoi ce délire, moi j'ai pas signé pour ça ! On se calme, Jean-Paul II, on réprime ses ardeurs, non mais oh ! Sérieusement ! Il va pas bien dans sa tête, lui, il m'a pris pour sa copine ou quoi ?! J'ai les cheveux longs pour un mec mais quand même !


- Heu, moi, tout me semble normal...
- Oh ! Si ça se trouve, c'est juste mes magnifiques abdos qui sont anormalement hot ! Chauds comme la braise ! Hé... Hé hé hé ! pouffe-t-il entre deux sanglots.


Arrête avec tes blagues à la con, putain ! Tes joues sont encore humides que tu t'y remets déjà ! Je me suis inquiété, moi !


- Avoue que... T'es jaloux, Papier... Hein ? Hein ? T'aimerais bien avoir des tablettes comme ça !


Je soupire et donne à cet idiot une tape amusée sur la tête.


- Sincèrement, je préfère être un cerveau paraplégique plutôt qu'un tas de muscles con comme ses pieds.
- « Comme ses pieds » ? Ha ha ha ! C'est le cas de le dire !


Hala la, il était mieux quand il pleurait, au moins il fermait sa gueule. Ah ben tiens, justement, il s'y remet. Entre deux hoquets pleins de larmes, il bafouille :


- Papier... Je suis désolé... Je... Je suis désolé... Tu sais... C'était vraiment important pour moi de... De passer aujourd'hui à me faire pardonner... Même si je sais que ça remplacera pas tes jambes ni... Tu sais... C'est un peu égoïste, mais pour moi, c'est une question d'honneur ! Pardon, je fais que te gêner, tout le temps, je fais des ennuis, et tout... Mais je voulais juste te faire oublier... Nous faire oublier...  Je pensais pas que... Que ça finirait comme ça... Désolé...


Kamil pose son front contre mon épaule, je sens quelque chose d'humide couler contre ma peau, à l'intérieur de ma chemise. Ses larmes ? Sa bave ? Autre chose ? Nul ne le saura jamais. C'est génial, super émouvant, et cetera... Le truc, c'est que sa chemise est grand ouverte, donc quand il me prend dans ses bras et me parle tout bas, je ne vois pas du tout la vie en rose. Je suis juste carrément mal à l'aise. C'est une situation très gênante. J'esquisse un pudique mouvement de recul mais il se colle à moi plus puissamment qu'une ventouse à chiottes. Mais arrête, putain ! Tu cherches la merde ! Non mais c'est vrai, à fin, c'est plus possible ! Je suis censé faire quoi ? C'est très touchant, les déclarations d'amitié profondes, mais j'ai un polonais d'1m80 pendu au cou, qui me pleurniche dessus, à me susurrer ses foutus« Papier » au creux de la nuque, là... Ça va cinq minutes, je ne suis pas un Kleenex !


Embarrassé et soucieux de mettre fin à cette étreinte qui envahit mon espace personnel, je finis par laisser échapper un grognement hargneux inintelligible dans lequel Kamil parvient à déchiffrer les mots qui l'intéressent. À savoir « maiseuhc'estpasgravejet'enveuxpasmoi  ». Mais comme par hasard, il semble ne pas avoir entendu le « tu portes quand même la poisse mon salaud ». Bizarrement. Je suis vraiment trop gentil avec lui, et il le sait... La victoire était assurée d'office, puisque l'un des deux camps part avec un handicap dès le début. Sans mauvais jeu de mots.


- Euh... On peut s'arrêter de "cuisiner" si tu te sens plus... lancé-je, soucieux de notre survie.


...Et voilà. Il me refait le coup des grands yeux larmoyants de cocker battu. Oh que non, mon grand ! On ne m'y reprendra pas à deux fois ! Si tu crois que ça va me faire changer d'avis. Je riposte froidement, cinglant et intraitable :


- Ou...Ouais... Bon... Okay... Si tu veux... On continue... Ça marche.

- Oh, cool ! s'exclame-t-il en séchant ses larmes. Enfin,tu veux dire : « Ça roule » ! Hé hé !

- Kamil, franchement, ferme ta gueule.


Je commence à me traîner sur le carrelage pour revenir jusqu'à mon fauteuil. Soudain, Kamil s'exclame :


- Oh putain, Pierre, regarde !!


Je lève les yeux au ciel. Il va encore me montrer un truc de merde ou me faire une blague stupide. C'est bon, j'ai eu ma dose.


- Bon Kamil, t'es gentil, mais...
- Non, mais regarde !! Tes jambes !
- Ouais, elles marchent plus. Je sais.


Je me retourne pour lui faire une réflexion désagréable quand ma main glisse sur ce que je crois d'abord être du chocolat. C'est alors que je remarque une grosse traînée rouge sur les carreaux blancs. Du... Du sang ? Affolé, je questionne mon meilleur ami, les yeux écarquillés :


- K...Kamil, t'es sûr que ça va ? Tu t'es coupé ?
- Non,c'est toi qui saignes ! Ja pierdolę... Je... Je vais chercher les pansements !


Oh merde, merde ! D'où je perds mon sang ? Comment ça se fait que je ne m'en sois pas rendu compte ? C'est quand même pas mes jambes ?! Je retrousse mon pantalon à la hâte, et je me fige littéralement sur place : un énorme morceau de verre est planté dans mon mollet. Quelle horreur ! Je manque de tourner de l'œil. Et en plus, bien là où je ne ressens plus la douleur, évidemment, histoire que je me vide de mon sang sans être au courant ! Mais quelle journée de merde !


Kamil revient après quelques minutes d'absence, essoufflé et armé de tout ce qu'il a pu trouver dans ma salle de bains, jusqu'à la dernière brosse à dents.


- Donne, je vais le faire moi-même.


Je saisis le morceau de verre à pleins doigts. Mon ami fronce le nez d'un air dégoûté, compatissant intérieurement pour une souffrance que ma jambe morte ne sentira pas. J'arrache l'éclat d'un coup sec. C'est dégueulasse. Je crois que je vais m'évanouir... Maman !! J'asperge avec un haut-le-cœur la plaie d'un torrent de désinfectant, colle fébrilement une compresse avec trois bouts de sparadrap. Beurk ! Il y a du sang de partout ! Aaah ! C'est vraiment ignoble ! Quelle journée de merde, mais quelle journée de merde !! Allez, Pierre, prends une tête virile et désinvolte, et fais comme si tu faisais ça tous les jours. Hors de question de passer pour un faible, surtout devant un crétin comme Kamil Kamiński.


- Et voilà, en deux minutes, c'est torché !
- Wow ! Tu fais ça avec une tête tellement blasée !
- Bah ouais, j'ai l'habitude de réparer tes conneries, en même temps. Bon c'est pas tout,mais c'est quand tu veux que tu m'aides à remonter dans mon fauteuil.


L'idiot à moitié nu sourit, se relève et m'aide à grimper tant bien que mal sur mon véhicule usuel. Je grogne, constatant que ma chemise toute gluante d'œuf, de farine et de chocolat se colle à ma peau  :


- Putaaaaain, c'est dégueulasse, j'en ai de partout ! Kamil Kamiński, je te maudis, toi et toute ta lignée, et je chie sur tout ce que tu aimes !

- Ah, comme je vais rigoler de te voir te chier dessus !


Je sais très bien que c'était juste une déclaration d'amitié, mais j'ai quand même dû faire un effort assez conséquent pour rester impassible. Kamil Kamiński, qu'est-ce que tu peux être niais. Je me demande bien comment j'ai pu tomber amoureux de toi.

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