Chapitre 2

2

            Economie, anglais, économie en anglais, cinéma, sociologie et psychologie résumaient désormais la vie mouvementée de Samuelle.

En cours de neuf heures à midi et demi, une heure de repas et cinq nouvelles heures d'amphithéâtre jusqu'en fin d'après-midi.

Un jour sur deux, elle travaillait en tant que serveuse quelques rues derrière Oxford Street, et tous les mercredis, Gabriella, Moran et elle sortaient en ville.

            La routine s'était installée, certes, mais c'était une routine agréable, et dont Samuelle était parfaitement fière. Elle gérait sa vie seule, sans aucune aide pécuniaire et si son père s'attendait à la voir revenir ramper pour appeler à l'aide, il pouvait encore attendre.

            Elle se projetait ainsi, lorsqu'épuisée par ses heures de service, elle avait envie de tout plaquer.

« Sam, on va boire un verre après le service, tu viens ? Lui demanda Antony, ce qui par la même occasion la sortie de ses songes.

- Je dois réviser pour les exams, Tony.

- Allez ! »

            Elle lui dit oui. Finalement.

            Et elle regretta à la minute même où ils franchirent tous les quatre, Xavier, le chef cuisinier s'était joint à eux, la porte du petit bar en face de leur restaurant.

Alexandre, le garçon à la machine café, était là.  Assis dans le fond, imposant avec sa carrure mais discret dans son comportement ; elle croisa son regard l'espace d'une seconde. Cela suffit à réchauffer ses joues, et le bas de son ventre. Comment pouvait-il être partout où elle allait sans jamais pour autant le vouloir ? « C'est pas du hasard ça, Sam ! It's called des-ti-ny ! » Répétait souvent Moran.

            Et quelque part, Samuelle en rêvait.

            Pourtant, elle ne songeait pas souvent à ce genre de chose, et surtout, la jeune étudiante ne s'était jamais attardée sur ce genre de détails.

            Alexandre semblait juste différent des autres en tout point. Il se démarquait, peu importait où. C'était peut-être à cause de ses yeux gris perçants, ou de sa taille ; il était grand, et les muscles de ses bras se dessinaient à la perfection sous son innombrable collection de t-shirts blancs. Il camouflait son buste sous des pulls jacquards –des Benetton surement. Jamais beaucoup de couleurs, ni tellement d'extravagance ; mais ce soir, il avait échangé ses mailles contre un cardigan en laine.

            Samuelle releva chacun des détails de sa tenue et de sa posture tout en s'installant à une table voisine, avec ses collègues de travail.  Elle était habituée à l'observer, tranquillement, dans son coin.

            Elle espérait seulement avoir le cran, un jour, de lui adresser la parole. Intérieurement, elle riait. Avoir le cran de fuir et de tout quitter, c'était révélé incroyablement facile : elle n'avait eu à rendre de compte à personne, n'y a mettre sa fierté de côté. Pourtant, la jeune fille était terrifiée à l'idée de perdre ses moyens devant ce type.

            Mais Samuelle n'eut pas le temps d'y réfléchir plus longtemps. A peine furent-ils installés, ils commandèrent une bouteille de petit vin. Et Alexandre quitta la salle.

*

« Sam, est que je peux te piquer celle-là ?

Moran montrait un de costume bleu-nuit, dont les formes avaient été reprises pour mieux dessiner les courbes d'une jeune femme d'à peine 20 ans. Il s'agissait du seul cadeau que son père, eut choisi pour elle sans faire intervenir une de ses secrétaires. Samuelle ne l'affectionnait pas forcément, ni même ne lui accordait une valeur sentimentale. C'était simplement sa préférée, et juste parce que c'était la plus jolie. Alors, lorsque sa nouvelle meilleure amie  défila devant elle en portant cette petite merveille, Samuelle ne put lui  refuser.

« Oui, mais fais-y très, et elle insista cette fois-ci, attention. 

- Tu sais qu'on a cours dans dix minutes ?

- Je n'y suis plus inscrite ! Je vais aller courir un peu.

- Tu… T'as tellement de secret toi. Pourquoi tu ne me l'as pas dit ?

- J'ai pensé que ça ne t'intéresserait pas ? Hésita Samuelle.

- Tu penses trop, Sam. »

Elles finirent leur café ensemble, sur une petit table de jardin récupérée dans une décharge au nord de la ville. Elles l'avaient disposée au centre de l'unique pièce de leur appartement.

« Penses à envoyer ton loyer, Samuelle. Le propriétaire a encore appelé ce matin, il attend ta part.

- Je sais. »

Son regard fui automatiquement celui de sa colocataire : Malgré ses heures de travail, et ses économies, Samuelle se retrouvait ce mois-ci face à un problème auquel elle n'avait pas songé. L'argent ; et pourtant elle en avait, partait ici à une vitesse folle. Le loyer, les études, son visa et ses papiers.. Tout ça la ruinait, et elle jura secrètement. Quelle idiote.

« Laisse, je vais lui envoyer un chèque, déclara Moran.

-Mo', nan, on a déjà fait comme ça le mois dernier. Et c'est toi qui as avancé la caution. Tu ne peux pas tout..

- Si je peux ! Je te l'ai déjà dit, mes parents sont blindés.

- Et un jour tu n'auras plus rien.

- Je ne suis pas inquiète, ma Sam. Allez, vas courir, je m'occupe de tout. Il faut que j'y aille, sinon Rawlingson va me détruire encore. »

Samuelle n'eut pas le choix et s'avoua vaincue.

Moran ne lui avait pas menti : elle en avait les moyens, et si elle pouvait l'aider elle le ferait.

Ce qui décevait le plus Samuelle, dans cette histoire, c'était sa nouvelle dépendance à quelqu'un. Ses frais d'études étaient presque complètement payés,  certes, grâce à l'argent que ses parents avaient amassé sur son compte. Son visa aussi, qu'elle fit changer à son arrivé, et son permis de séjour. Moran avait tout organisé dès leur débarquement sur le tarmac du Pearson.

            Elles débarquèrent en pleine nuit dans la city, se trouvèrent une auberge de jeunesse pour leurs premiers jours et déjà, Moran avait préparé les détails de leur nouvelle vie : à peine réveillées aux premiers jours, elles avaient pris le train pour Ottawa. Après des heures d'attentes à l'ambassade, elles ressortirent avec une autorisation de séjour, un papier pour leurs études et même une inscription presque déjà terminée à l'université des langues étrangères. « Mon père connait du monde un peu partout, tu sais. » Lui dit Moran, alors que Samuelle se laissait emporter dans leur nouvelle aventure.

*

            Elle remonta Spadina Avenue en dix petites minutes. Ses foulées étaient longues, et régulières, même si elle ne courrait pas depuis longtemps.

            Paul lui proposa un jour de courir avec lui, une vingtaine de minutes seulement. Le sport n'était pas l'activité favorite de Samuelle, mais la jeune fille ressentait le besoin de se dépenser. Durant deux mois, elle avait partagé son temps entre la recherche d'un emploi, la paperasse et la remise en question sur son avenir.

La course fut le remède à tout ce stress, et aujourd'hui, elle ne s'en passait plus. Coline était une sportive, elle. Samuelle chassa rapidement cette idée de son esprit : elle lui manquait, terriblement. C'était certain. Mais il était hors de question de faire machine arrière après tout ce qu'elle avait entrepris.

Son doigt glissa sur la molette de son Ipod, augmentant ainsi le volume de la musique. Elle accéléra ses foulées dans Alexandra Park, et son tour fut bientôt finit lorsqu'elle embrocha de nouveau Oxford Street. C'était son parcours habituel, et il n'était pas si long, mais ben assez. Elle courrait dans ces rues seule depuis deux mois, sans ressortir de lassitude, ni fatigue.

« Sam ! Wait ! »

            Paul la rejoignit, il la suivait depuis quelques minutes, son chemin à lui démarrait de Koreatown, et ils se croisaient quelques fois.

« Tu viens chez Matthew ce soir ?

- Oui, off course ! Je vous rejoins plus tard, je travaille jusqu'à dix heures.

- Cool, on se voit là-bas alors ! »

            Il la faisait rire, pour des raisons qu'elle ne comprenait pas. Sa discrétion l'ennuyait quelques fois, elle l'avouait sans complexe, mais il savait se montrer plein d'attentions. Et c'était une qualité qui lui avait manqué parmi ses rencontres à Paris. Elle l'adorait, d'une manière platonique, mais elle l'adorait.

            Ils se saluèrent, et Samuelle rentra chez elle prendre une douche rapidement, avant de partir sur  le chemin de l'Université.

            Il n'y avait pas de réelle passion, ni même ne ressentait-elle ne serait-ce qu'une pointe d'intérêt pour ce que le professeur d'Economie déblatérait depuis le début du cours magistral.  Samuelle cependant ne perdait pas une miette de l'étude. Ses doigts courraient sur le clavier de son vieil ordinateur depuis le début de l'heure. Et même si un jeune homme quelque égarement dans des pensées maladroites.

            La dernière heure fut annoncée, et les étudiants s'amoncelèrent bientôt à la porte de l'amphithéâtre.

            Elle rangea ses affaires avec soin, une partie de ses habitudes de lycéenne n'était pas restée en France.  Gabriella riait quelques fois, à la regarder poser calmement son ordinateur et ses cahiers au fond de son sac. « C'est comme ça dans l'appartement aussi, une vraie maniaque ! » plaisantait ensuite Moran.

            Ce n'était pas totalement faux, mais Samuelle ne se reconnaissait pas plus dans ce trait de caractère que dans un autre. Elle aimait le désordre, la spontanéité et même le bazar, le vrai. Certaines choses devaient cependant demeurer à leur place. Etait-elle à sa place, elle ? Pour le moment, oui. Elle en était convaincue.

            Ses amies partirent devant, le rendez-vous du café à quinze heure était une habitude le lundi, et la bande se retrouvait cette fois au complet : ceux qui partaient le week-end dans leur famille venaient aux nouvelles, les autres se contentaient de les écouter. Ou de raconter les drames de la sortie en ville, le samedi précédent. Il ‘étaient une petite dizaine à se retrouver comme ça, dans le hall de la bibliothèque universitaire.

            Lundi quinze heures, Alexandre prenait un café noisette seul, assis sur une table au fond de l'espace cafétéria.