Chapitre 3

nessaa68

Capuche remontée, tête baissée, Apolline se frayait un chemin dans la foule qui s'était formée autour d'un charlatan qui présumait avoir la solution pour stopper l'arrivée imminente des Ombres. Elle, elle avait quelque chose de bien plus vrai et plus puissant à vendre. Et elle savait chez qui se tourner pour l'échanger contre l'objet qui pourrait sauver le peuple elfique des elfes noirs. Elle arriva bientôt dans une ruelle sombre. Là, il n'y avait guère âme qui vive. Le souffle froid de l'océan s'y engouffrait. Elle s'arrêta devant une grande bâtisse et frappa à trois reprises. Un homme grand et costaud au regard méfiant lui ouvrit.

-          J'ai ouïe dire que votre chef est à la recherche d'un objet rare qui pourrait lui faire gagner la place de roi. Cet objet est en ma possession. Je viens conclure un marché avec lui.

L'homme balzané lui claqua la porte au nez mais Apolline attendit patiemment. Elle savait que celui-ci allait demander l'avis de son chef avant de revenir pour la faire entrer. Cinq minutes plus tard, son chef en personne se présenta à la porte.

-          Allons faire quelques pas ensemble ma chère.

Il la prit par l'épaule et ils quittèrent les lieux suivit par deux grands gardes.

-          Alors vous êtes ici pour conclure un marché avec moi. Dites- m'en plus sur cet objet je vous prie.

Apolline était un peu surprise par cette rencontre. Elle s'attendait à voir un homme sans aucune manière et étant violent. Pourtant l'homme qui se tenait face à elle était tout le contraire.

-          Je peux faire mieux que vous en parler. Je peux vous le montrer.

Elle détacha sa besace de sa ceinture et fit glisser dans sa main une petite pierre par plus grosse que son pouce d'un éclat flamboyant.

-          Cette pierre appartenait jadis à un elfe noir. C'est grâce à celle-ci qu'il conquit de nombreuses terres.

L'homme, émerveillé par tant de beauté, tendit sa main pour prendre la pierre. Mais Apolline la retira d'un coup.

-          Tututu… vous pensez bien que cette pierre a beaucoup de valeurs et que je ne vous la donnerai pas sans quelque chose en retour.

-          Bien entendu, il en va de soi. Mais dites-m'en plus sur celle-ci. Comment fonctionne-t-elle ? A quoi me servira-t-elle ?

-          Elle permet de mettre à genoux toutes les personnes qui se mettent en travers de votre chemin. Il suffit qu'elle soit devant leurs yeux pour qu'ils soient hypnotisés par sa beauté et toutes vos demandes, ils les exauceront. Et j'ai ouïe dire que vous détestiez la reine actuelle d'Irentsi… Grâce à cette pierre, le trône pourrait vous revenir.

-          Combien ?

Apolline eut un petit rire ironique.

-          Vous voulez plutôt me demander contre quoi je vous l'échange ?

-          Vous ne voulez pas d'argent ? Pourtant cela vous rapporterait gros.

-          Figurez-vous que je suis aussi à la recherche d'un objet… qui, parait-il, fait partie de votre petite collection.

L'homme maigrichon fronça les sourcils. Il détestait devoir se séparer de ses objets.

-          Que voulez-vous ?

Apolline rangea la pierre dans sa besace. Et laissa régner le silence pendant un court instant.

-          Je veux …

Mais la jeune femme n'eut pas le temps de finir sa phrase qu'une dizaine d'homme armés et campés des ornements du royaume fondirent sur eux. Les deux grands hommes se ruèrent dans la mêlée et leur chef prit la poudre d'escampette poursuivit par deux légionnaires. Apolline dégaina ses dagues et se débattit pour échapper à ses mercenaires mais un coup derrière la tête lui fit perdre connaissance. Lorsqu'elle reprit ses esprits, elle était enfermée dans une petite cage positionnée sur une calèche en marche. Une jeune femme, aux longs cheveux blonds tressés et aux oreilles à demi pointues l'observait. Apolline se frotta l'arrière de la tête, elle ressentait une douleur lancinante.

-          Ou m'emmenez-vous ?

-          Je vous arrête pour contrebande d'objet magique et complot contre la reine d'Irentsi. C'est elle qui vous jugera.

A ces mots, Apolline tata son côté gauche et s'aperçut qu'elle n'avait plus sa besace. Elle releva les yeux vers la femme qui, d'un air triomphant, tenait à bout de bras la petite pierre pour laquelle Apolline allait être jugée.

-          Ce n'est pas ce que vous croyez.

-          Ah oui ? Et bien c'est ce que nous verrons une fois arrivés à Irentsi.

Apolline se mura dans le silence. Impossible pour elle de prendre la fuite. Elle allait devoir subir la sentence. Mais soudain elle entendit :

-          Je vous en prie ! Relâchez-moi ! Je n'ai rien à voir avec les manigances de cette petite voleuse ! Je ne sais pas pourquoi elle voulait me vendre cette pierre ! Jamais je n'aurai tenté de prendre la place de notre vénérable reine !

Elle lança un regard d'où provenaient les plaintes et aperçu son acheteur. Lui aussi avait été arrêté mais il tenait bon qu'il n'avait rien à voir avec tout ça. Le collectionneur n'arrêta pas de plaider sa cause jusqu'à ce qu'ils arrivent devant les portes du château. Face à celui-ci, Apolline se sentait toute petite. Au fur et à mesure qu'ils avançaient, Apolline sentait arriver sa fin. Quelle autre sentence que la mort pouvaient-ils accepter lorsque la reine elle-même était visée ?

La charrette s'arrêta. La femme qui l'avait arrêtée ouvrit son cachot et Apolline descendit, pieds et mains liés, pour se présenter face à la reine. Le collectionneur recommença à plaider sa cause mais un coup de fouet sur sa chaire le fit taire. La reine n'étant pas encore apte à les recevoir, ils furent emmenés dans les cachots. Apolline ne s'était encore jamais retrouvée plongée dans la pénombre des cachots, l'humidité rongeant les tissus qui la recouvraient, à cet instant, elle se sentit effrayée. Elle se recroquevilla dans un coin et attendit ainsi que le temps passe.

Amayelle observa la jeune fille par la lucarne, dans la pénombre elle y vit couler sur sa joue une larme. Si elle n'avait pas comploté contre sa reine, elle aurait presque eu pitié de cette jeune fille. Elle se demandait ce qui avait pu la pousser à agir de la sorte.

-          C'était le seul moyen pour arriver à mon but. La pierre ne peut être utilisée qu'avec un sortilège. Je ne le lui aurai jamais donné.

La mi-elfe fut surprise d'entendre sa prisonnière répondre à l'une de ses questions silencieuses.

-          La magie n'a pas que du mauvais. Elle peut aussi être utile à ceux qui l'utilisent à bon escient. J'ai appris à l'utiliser auprès du peuple elfique.

La mi-elfe ouvrit la porte du cachot et s'engouffra dans la pièce.

-          Tu vas déjà être condamnée pour port d'objet illicite. Tu veux encore être jugée pour utilisation de la magie ?

Apolline se mit à rire à gorge déployée.

-          Quelle autre sentence que la mort m'attend pour avoir comploter contre la reine ? Alors au final pourquoi ne pas utiliser encore une dernière fois la magie ?

-          Pourquoi ne pas l'utiliser pour t'enfuir ?

Apolline haussa les épaules.

-          Peut-être parce que j'ai appris à l'utiliser à bon escient. Et que finalement, la mort c'est ce qui m'attend de mieux.

La jeune femme resta perplexe devant cet aveu. Comment pouvait-on préférer la mort à la vie ?

-          Alors ? Est-il l'heure de mon jugement ?

La guerrière blonde acquiesça de la tête et Apolline se leva. Arrivés devant la reine, elle la fit se mettre à genou. Le collectionneur pleurait et demandait à la reine à ce que l'on acquitte car ce n'était pas du tout ce qu'ils pensaient. La reine le laissa se plaindre pendant plusieurs minutes. De son trône, elle paraissait si grande. A l'ombre des statues de ses aïeux, elle resplendissait. Elle incarnait le pouvoir. Face à elle, Apolline se sentait telle l'esclave oubliée hurlant dans la profondeur de la nuit à qui veut bien l'entendre. Hier, chez les elfes, on la considérait comme quelqu'un. Aujourd'hui, elle n'était plus rien. Désespérée par tant d'impolitesse, la reine fit un signe de main à ses hommes et ils sortirent le collectionneur de la salle. Elle posa alors ses yeux sur la jeune fille, toujours agenouillée, tête baissée et silencieuse.

-          Et vous alors, vous n'avez donc rien à dire pour votre défense ?

Apolline hocha de la tête sans lever les yeux.

-          As-tu honte de tes actes pour ne pas oser me regarder dans les yeux ?

Alors la jeune fille releva la tête.

-          Non. Et si c'était à refaire, je le referai. J'ai été prise sur le fait, soit, j'en assumerai les conséquences.

-          La conséquence pour comploter contre un roi ou une reine est la mise à mort.

-          Je le sais.

La reine resta silencieuse, elle observait cette jeune fille consciencieusement. La mise à mort ne l'avait point ébranlée. Elle avait parlé sans aucun tressaillement dans la voix.

-          Pourquoi vouloir me détrôner ?

-          Je ne l'ai jamais voulu.

-          Pourtant mes hommes ont ouïe dire que la pierre que tu portais sur toi permettrait au collectionneur de prendre ma place.

-          En effet, c'est ce qui a été dit. Mais ce n'est pas la vérité.

-          Et quelle est la vérité ?

-          Pour actionner les pouvoirs de la pierre, il faut connaitre la formule. Sans la formule, la pierre n'a aucun pouvoir. Le collectionneur se serait retrouvé bien bête face à vous.

-          Pourquoi lui avoir menti ?

-          Parce que j'avais besoin d'un objet qui est en sa possession.

-          Et quel est-il ?

-          Je n'en dirai pas plus à ce sujet. Ça ne vous concerne en rien.

-          Soit. La magie est bannie de mon royaume depuis plusieurs années. Mais tu as l'air de plutôt bien la connaitre pour quelqu'un de ton âge. Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Qui t'as appris tout ce que tu sais sur la magie ?

-          Pourquoi vouloir connaitre ma vie si c'est pour me donner la mort par la suite ?

-          J'ai besoin de quelqu'un comme toi. Quelqu'un qui connaisse beaucoup de chose sur la magie et ses artéfacts et qui puisse aider mes hommes à dénicher leurs utilisateurs sur mon territoire.

-          Je ne vous aiderai pas.

-          Même si cela t'éviterait la mort ?

-          Je suis prête à l'affronter. Je n'ai pas peur.

Soudain, la prisonnière se plia en deux et un cri de douleur jaillit de sa bouche. Elle tenait sa main droite qui la brulait affreusement. La douleur était telle que des larmes coulaient sur ses joues. Sa respiration était saccadée. Elle avait chaud. La reine se leva d'un bond.

-          Que lui arrive-t-il ? Faites quelque chose !

La femme blonde qui se tenait au côté d'Apolline depuis le début, s'accroupit auprès d'elle et posa une main sur son épaule.

-          Que se passe-t-il ?

Apolline leva un regard apeuré vers elle. Mais la douleur était si intense qu'elle ne put sortir un mot. La mi-elfe attrapa la main de la jeune fille et retira son gant de cuir. Sur la paume, un étrange signe se gravait telle une brûlure. D'un mouvement brusque, Apolline ramena ses deux mains pour les coller contre ses oreilles. Des chuchotements emplissaient son esprit, des bruits sourds qui la rendaient folle. Elle hurla de douleur. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. La panique se lisait sur son visage et personne ne savait que faire. L'un des gardes de la reine, apeuré par la scène qui se déroulait avait armé son arc d'une flèche. Mais la surprise d'entendre la prisonnière hurler ainsi, l'avait fait tressaillir et il avait lâché la flèche. Celle-ci fini sa route en se logeant dans la chaire d'Apolline qui perdit connaissance. Tous les regards se tournèrent vers lui. La reine le fit évacuer. Elle demanda à ce qu'on emmène Apolline dans la tour du mage pour qu'il l'ausculte.

A son réveil, Apolline se trouvait dans une petite pièce couchée dans un petit lit et entourée de la reine, de la guerrière blonde, de deux gardes et d'un vieil homme. Tous l'observaient, se demandant si elle allait reprendre connaissance et ce qui s'était produit quelques heures plus tôt. Elle essaya de se relever mais une douleur au bas du ventre l'en dissuada.

-          Non non non ma petite il vous faut rester couchée et vous reposer. La flèche a fait quelques dégâts mais dans quelques jours vous irez mieux.

Apolline ne connaissait pas cet homme. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle s'aperçu que sa main était bandée. Elle interrogea le vieil homme du regard.

-          Vous ne vous souvenez pas de ce qui s'est passé ?

Apolline observa les personnes qui l'entouraient puis reposa son regard déconcertant sur le vieil homme.

-          De quoi vous souvenez-vous ?

-          Je me suis fait arrêter. J'étais devant la reine et puis…

-          Et puis ?

-          Je ne sais plus… je je ne sais pas ! Que s'est-il passé ! P-pourquoi est-ce que je suis blessée !? Ai-Ai-je fais du mal à quelqu'un !?

La reine s'approcha d'Apolline.

-          Tu t'es mise à hurler de douleur. L'un de mes hommes a pris peur et à décocher une flèche qui s'est plantée dans ton abdomen. Et puis tu t'es évanouie.

Apolline resta silencieuse. Elle n'était pas bien. Elle ne comprenait pas ce qui était arrivé. Elle était effrayée. Elle regarda la reine avec ses grands yeux bleus désespérés et demanda.

-          Que va-t-il m'arriver alors ?

-          Notre mage va t'examiner et essayer de comprendre ce qui t'es arrivé. En attendant tu vas rester ici. Tu ne pourras pas sortir de la pièce. Un sortilège t'empêche d'utiliser ta magie et Amayelle ici présente sera toujours à tes côtés. Mon mage va aussi t'analyser pour que je sache ce que je vais faire de toi. Si je dois croire ce que tu me dis ou si tu me mens, si tu es coupable ou non.

Apolline ne put réprimer un petit sourire.

-          C'est tout de même ironique une reine qui utilise un mage pour savoir la vérité alors qu'elle déteste la magie.

-          On ne peut malheureusement pas faire confiance à tout le monde.

Sur ces mots, la reine sortie de la pièce suivie de ses deux gardes et du mage.

Fatiguée et encore fiévreuse, Apolline reposa sa tête sur l'oreiller moelleux et ferma les yeux. Elle s'adressa à la jeune femme restée avec elle.

-          Pourquoi une demi-elfe se bat-elle contre les croyances du peuple elfique ? Ce peuple qui est l'essence même de la magie ? Tu en as en toi. Ça coule dans tes veines et tu ne l'utilise pas…Pourquoi ?

-          Je ne connais pas ce peuple. J'ai été abandonnée étant bébé. J'ai grandi entourée d'humains.

-          Je suis désolée.

-          Je pourrai te retourner la question. Pourquoi une humaine en sait autant sur le peuple elfique et sa magie ?

-          Je les ai côtoyé.

Sur ces paroles, Apolline finit par s'endormir. A son réveil, l'elfe était toujours là et le mage était de retour.

-          Nous allons essayer quelque chose. S'enquit-il dès que la jeune fille fut bien éveillée. Puisque Amayelle était présente lors de cette… crise disons. Je pourrai te faire voir ce qui s'est passé à travers ses souvenirs. Peut-être alors les tiens reviendront.

Apolline acquiesça de la tête. Elle était encore bien fatiguée mais elle voulait savoir ce qui l'avait mise dans cet état. Amayelle s'approcha et s'assit à côté d'Apolline. Le mage se mit à psalmodier un sortilège puis apposa ses mains sur la tête de chacune. Soudain Apolline se sentit comme aspirée dans un tunnel noir puis la scène qui s'était déroulée un peu plus tôt se joua sous ses yeux. Sa première pensée fut oh mon dieu dans quel piteux état je suis. Puis lorsqu'elle se vit porter ses mains sur ses oreilles, ce fut le choc. Elle se souvenait et elle aurait voulu ne pas s'en souvenir. Le mage sentit la panique traverser Apolline et arrêta le lien magique.

-          De quoi te souviens-tu ?

Apolline secoua la tête.

-          Je –je peux pas ! Je –je ne veux pas !

Comme apeurée, elle se recroquevilla dans son coin les mains sur les oreilles. Ses yeux bleus pleuraient l'océan. Sa gorge se nouait. Son cœur palpitait à mille à l'heure. Amayelle s'approcha d'elle.

-          Hey, parle-nous. Tu ne peux pas rester comme ça. Il faut te calmer.

-          Je veux partir. Je ne peux pas rester. Il faut que je parte, faut que je parte !

-          Non tu ne peux pas.

Apolline pleurait à chaudes larmes.

-          Qu'as-tu vu ?

Apolline secoua la tête et ne parla plus. Elle se mura dans le silence. Amayelle essaya pendant des heures de la calmer mais en vain. Elle demanda au mage d'aller chercher la reine car elle ne savait plus ce qui était bon de faire.

Un instant après, celle-ci débarqua presque au pas de course, toujours suivi de ses gardes. En apercevant Apolline, elle resta stupéfaite. Elle ne ressemblait plus à la jeune femme agenouillée devant elle quelques heures plus tôt. En ce moment, elle avait tout l'air d'une enfant complètement apeurée qui tentait de refouler ce qu'elle avait vu.

-          Que s'est-il passé ?

Le mage lui expliqua le sortilège qu'il avait utilisé puis ce qui c'était passé.

-          Avez-vous pu savoir son nom ?

-          D'après les souvenirs que j'ai pu en tirer durant son sommeil, je dirai qu'elle s'appelle Apolline.

La reine tenta de s'approcher de la jeune fille, elle s'accroupi pour se mettre à sa hauteur et posa une main protectrice sur son épaule. Apolline sursauta. Elle ne l'avait pas entendu approcher.

-          Shhhh tout va bien se passer. Il faut te calmer. Tu es en sécurité ici. Qu'est-ce qui te fait peur ? Tu peux tout nous dire.

La reine voulait entendre son récit. Mais Apolline se mura dans le silence. Rien ne pourrait atténuer la douleur des crimes passés. Rien ne pourrait effacer de sa mémoire tout le sang qu'elle avait pu faire couler. Elle n'était qu'une enfant, aujourd'hui c'est une femme traînant avec elle son lot de malheur. Mais elle pouvait se reconstruire, elle pouvait devenir plus forte. Elle s'en sentait capable. Mais révéler ses plus profonds secrets, ce n'était pas pour aujourd'hui. Je crois que son regard lui a tout raconté. Je crois que la reine compris. Elle n'insista pas.

Apolline se remit à sangloter. Maintes fois, on lui avait dit qu'elle était en sécurité et maintes fois, cela n'avait été le cas. La reine s'assit à ses coté et la pris dans ses bras. De sa voix douce, elle lui susurra à l'oreille des mots remplient d'amour, des mots qu'une mère pourrait dire à son enfant. Gentiment, Apolline retrouva son calme mais elle resta muette face à toutes les questions que la reine tentait de lui poser. Tout ce qu'elle demandait s'était de pouvoir partir.

-          Bien je veux qu'on la laisse se reposer pour aujourd'hui. On réessayera demain.

La nuit d'Apolline fut agitée par d'affreux cauchemars. Elle se réveilla à maintes reprises en hurlant, trempée de sueur. Amayelle n'arrivait même plus à fermer l'œil. Les bras de son mari lui manquaient.

Le lendemain, sous les ordres de la reine, le mage tenta de percer les souvenirs d'Apolline afin de trouver ce qui causait cette peur et ce mutisme dans lequel elle s'était plongée. Concentré sur les souvenirs de la jeune fille, le mage entendit monter en lui une lugubre mélodie accompagnée d'incessants chuchotements à vous glacer le sang. Le mage devint comme fou et rompit le lien de suite. Il lui fallut quelques minutes pour reprendre ses esprits. Il raconta à sa reine ce qu'il avait trouvé et lui expliqua qu'il avait ressenti en elle comme une pointe de souvenirs, comme si la jeune fille avait déjà entendu cette mélodie auparavant. La reine lui demanda de fouiller les souvenirs de la jeune femme plus en profondeur. Apeuré par ce qu'il avait entendu, le mage acquiesça avec une pointe d'appréhension. Il avait peur de réentendre cette angoissante mélodie. Prêt à recommencer, Apolline l'arrêta brusquement.

-          Il ne faut pas. Vous pourriez ne pas vous en remettre. C'est dangereux de jouer avec les Ombres.

-          Les Ombres ? interrogea la reine

-          J'ai entendu ces murmures pour la première fois lorsque j'étais enfant. Et puis, ils sont arrivés. Ils ont dévasté mon village. Cette mélodie, je l'ai réentendue avant que ma première famille d'adoption ne soit assassinée. Aujourd'hui, j'ai compris. Si j'entend ce chant, c'est signe de mauvais présage. Ils arrivent. Ils vont tout détruire. Ils vont tous nous tuer. Il faut prendre la fuite, il n'y a pas d'autres solutions.

-          Pourquoi n'entendons-nous pas cette étrange mélodie ? Pourquoi es-tu la seule à l'entendre ?

-          Je ne sais pas. Tout ce que je sais, c'est que je veux partir. Je ne resterai pas plus longtemps enfermée dans cette tour à attendre que ma dernière heure vienne.

La reine resta silencieuse. Elle ne savait pas si elle pouvait faire confiance à cette jeune fille. Apolline comprit que la reine d'Irentsi doutait. C'était logique. Alors, elle sortit de la poche de son haut, une rose noire séchée.

-          Il ne me reste que se souvenir de mon enfance. Je ne sais comment cela est possible mais cette rose est restée indemne depuis toutes ces années. Je l'ai chaque jour avec moi pour me rappeler que l'avenir est incertain. Lorsque les Ombres arrivent, le froid les accompagne. Nous pouvons être en plein été alors que l'hiver arrive sans prévenir. De doux flocons tombent du ciel. Les roses deviennent noires. Le soleil ne brille plus. Les oiseaux perdent espoir et arrêtent de chanter. Les animaux se terrent, d'autres fuient. La nature perd toute couleur et cela pour l'éternité. Envoyés vos vaillants guerriers à l'orée de votre pays. Demandez-leur si la nature se meurt.  Si leur réponse est positive, alors il ne vous restera plus qu'à prier pour votre âme. Car en l'espace de quelques heures ils seront là. En l'espace de quelques minutes, ils auront tout ravagé.

-          Je suis désolée Apolline, je ne peux te laisser partir.

Sur ces mots, la reine se tourna vers Amayelle :

-          Galadriel va prendre ton tour de garde. Tu peux aller te reposer.

Amayelle se courba devant sa reine pour la remercier et s'en alla. Depuis qu'Apolline avait raconté ce qui était arrivé à son village natal, des doutes s'étaient installés dans son esprit. Elle devait absolument voir son mari et le questionner à ce sujet. Arrivée chez elle, elle retrouva Aloys et s'empressa de lui raconter ce qu'elle avait fait durant ces derniers jours. Elle lui parla de la prisonnière et finit par le questionner à propos de son passé. Elle avait la nette impression que tout coïncidait entre leurs récits.

-          Te souviens-tu de ce jour où je t'ai sauvé ? Tu m'as demandé d'aller chercher ta sœur mais je n'ai pas pu.

Aloys afficha une mine attristée. Pourquoi sa femme venait à en parler ? Avait-elle des doutes sur l'identité de la jeune femme qu'ils avaient croisé dans la forêt des elfes ?

-          Bien sûr que je m'en souviens. J'y pense chaque jour. J'ai préféré sauver ma peau et l'abandonner ! J'ai trahi ma promesse. J'ai continué ma belle petite vie à tes côtés, j'ai trouvé un foyer ou je me sens comme chez moi alors qu'Apolline doit peut-être vivre l'enfer en ce moment. Et moi je suis là, et je ne peux rien faire pour elle.

-          Parle-moi d'elle. Nous n'en avons jamais vraiment discuté.

-          Lorsque ma sœur est venue au monde, la sage-femme l'a tendue à ma mère. Mais après les pertes qu'elle avait déjà endurées, elle lui a tourné le dos. Elle refusait de voir l'enfant qu'elle avait mis au monde. Alors du haut de mes onze ans, je me suis approché de la sage-femme qui ne savait que faire de cette enfant. J'ai levé mes yeux vers elle et j'ai tendu les bras. Alors elle a compris. Elle a déposé ma sœur aux creux de mes bras. Elle était si petite. Je n'osais plus bouger de peur de la casser. Les yeux mi-clos, elle avait replié ses petites mains vers sa bouche en cœur. Mon corps entier s'est réchauffé à cet instant. Et j'ai su que je ne l'abandonnerai pas, que je lui donnerai tout l'amour dont elle aurait besoin. Ce fut très éprouvant pour un gamin de mon âge. Ma mère resta de longues semaines enfermées dans sa chambre. Peu à peu, elle réussit à en sortir et à poser ses yeux remplis de tristesse sur ma sœur. Mais jamais elle ne lui adressa de sourire, jamais elle ne l'a pris tendrement dans ses bras, jamais elle ne l'embrassa comme toute autre mère l'aurait fait avec son propre enfant. Elle gardait ses distances. Elle avait peur de perdre à nouveau un enfant auquel elle se serait trop attachée. Mais Apolline ne perdit jamais patience. Elle avait l'innocence des enfants. Elle continuait à faire comme si tout était normal. Elle apportait de beaux bouquets de fleurs à mère, elle lui racontait d'innombrables histoires qui, elle le savait, lui importaient peu. Il lui arrivait aussi de chercher le contact avec elle, même si elle ne recevait rien en retour. Le visage de notre mère ne décelait plus aucune émotion. Il était vierge de tout sourire. L'affectif avait été remplacé par la froideur. Pourtant, cette fameuse nuit ou elle a perdu la vie, elle a retrouvé cet élan d'affection, le premier et dernier qu'elle eut pour sa cadette. Je me souviens encore du moment ou Apolline s'est retournée pour voir si mère nous suivait. C'est à cet instant que j'ai vu le manque de chaleur dans ses joues, la perte d'espoir dans ses yeux, la disparition de la joie de vivre dans ses lèvres pleines. Mère lui en avait fait voir de toutes les couleurs et pourtant elle avait gardé espoir durant toutes ces années. Et c'était pourtant à ce moment qu'elle se mit à dépérir. C'était une jolie petite fille qui vivait pour les autres, une fille qui trouvait toujours quelque chose de beau et de bon en tout, même en notre mère, même en moi, et cette nuit, ils ont fait d'elle une coquille vide.

Amayelle resta silencieuse. Elle s'appelait bel et bien Apolline. Était-ce une coïncidence ? Elle ne le pensait pas. Fallait-elle qu'elle lui en parle ? Devait-elle lui révéler que sa jeune sœur se trouvait à quelques pas de chez eux, enfermée comme une bête en cage depuis trois jours ? Devait-elle lui dire que les Ombres n'étaient peut-être plus très loin de leurs terres ? Amayelle doutait. Ce secret lui pesait lourd sur le cœur. Elle aurait voulu en parler avec son mari mais elle ne tenait pas à lui insuffler son inquiétude. Il avait déjà fort à faire. Et puis, Apolline avait peut-être perdu la raison. Pourtant, son mari avait vécu la même histoire. Pourquoi lui mentirait-il ? Elle décida de garder ce lourd secret pour elle et profita de cette soirée pour retrouver les bras de son homme. Demain, elle lui en parlerait. Cela pouvait encore attendre un peu.

Galadriel, ce nouveau garde dont la reine avait affublé Apolline, semblait apeuré. Il n'osait défier Apolline du regard et tentait de rester au plus loin d'elle.

-          As-tu peur de moi ?

-          Je veux juste éviter tout ennui.

-          Si tu veux éviter les problèmes alors tu ne devrais pas être ici. En ce moment, tu devrais être avec ta famille, à milles lieux d'ici. Tu devrais être entrain de sauver ta peau et celle des tiens.

Curieux, le garde observa la jeune fille d'un regard perplexe. Que voulait-elle insinuer ?

-          Moi, je ne te ferai aucun mal. Mais les démons qui approchent la cité n'hésiteront pas à aspirer toute ton âme jusqu'à ce que tu ne sois plus que poussière. Sauve-toi Galadriel. Sauve ta famille avant qu'il ne soit trop tard. Offre à tes enfants, un avenir plus certains et bien meilleur que celui qui les attend ici. J'ai croisé ces démons lorsque je n'étais qu'une enfant. As-tu vu ce qu'ils ont fait de moi ? Ne réserve pas ce même sort aux tiens.

Galadriel ne tint plus en place. Il ouvrit la porte de la tour et fila en un éclair sans refermer derrière lui.

Apolline hésita un instant avant de se glisser au dehors de la pièce. Était-ce vraiment une sage décision que de prendre la fuite maintenant ? Elle savait ce qui l'attendrait si elle décidait de rester mais si elle partait… qu'allait-il arriver ? Son voyage serait-il tout aussi pénible que les précédents ? Airerait-elle comme avant dans la douleur et la tristesse ? Valait-il vraiment la peine de se battre encore malgré que ce fut pour une noble cause ? Les sages paroles de Maitres Hawkes lui revinrent en mémoire : « Quand tu t'engages dans une chose, tu dois t'engager pour la finir et non pas pour abandonner dès le premier obstacle. Ne recule jamais et sois fière de toi ! Regarde toujours droit devant toi et ne lâche pas. Certes, ça pourra être dur de temps en temps mais non impossible ».

Désormais sûre d'elle, elle ne pensait plus qu'à retrouver la pierre qu'on lui avait confisqué lorsque Amayelle l'avait arrêté. Elle se devait de la rendre au peuple elfique. Mais avec elle, elle leur donnerait l'Epée de la Destinée. L'Epée qui changerait l'avenir des elfes. L'Epée qui aurait le dessus sur les elfes noirs. Si l'on ne pouvait arrêter les Ombres, il fallait au moins empêcher les elfes noirs de gagner. Loin du champ magique qui ne lui permettait pas d'utiliser la magie, Apolline ouvrit son esprit et se promena fictivement dans le château à la recherche de l'essence de cette pierre magique. Assez vite elle ressenti l'énergie de la pierre. Elle se trouvait dans une pièce adjacente à celle du trône, gardée par deux hommes. Apolline se faufila discrètement dans les multiples couloirs du château jusqu'à se retrouver non loin de son butin. Désespérée, elle tenta alors le tout pour le tout. Elle s'avança lentement vers les deux gardes.

-          Halte-là ! cria l'un d'eux en dégainant son épée suivit de prêt par son coéquipier

Apolline leva les mains en signe de soumission.

-          Je viens seulement récupérer ce qui m'appartient. On peut le faire à l'amiable ou alors je vous botte les fesses avant de m'emparer de la pierre.

Les deux grands gaillards se mirent à rire à gorge déployée. Comment une jeune fille aussi frêle qu'elle pourrait les battre ? C'était bien là, la plus belle blague de la journée qu'ils avaient pu entendre.

Apolline sourit. Elle restait toujours sur place, aux aguets, prête à bondir au moindre signe des attaquants.

-          Alors ? Que choisissez-vous ?

-          Fais demi-tour et ne reviens plus, jeune impertinente.

-          Très mauvais choix messieurs.

D'un mouvement de bras, elle envoya valdinguer les armes de ces pauvres gardiens restés stupéfaits de surprise. Apolline laissa retomber sa tête sur le côté gauche, sourit à nouveau et repris :

-          Deuxième chance messieurs. Donnez-moi la clé.

Pris de peur par la magie dont elle faisait preuve, l'un des deux hommes prit la fuite sans se faire prier une troisième fois. Dans sa course folle, il lança au sol la clé du sanctuaire. Le dernier gardien resté et Apolline se dévisagèrent avant de se lancer tout deux sur la clé. Dans son élan, l'homme pu rattraper son épée et blessa la jeune fille à l'abdomen. Celle-ci hurla de douleur. Elle avait été surprise. Folle de rage, elle se laissa submergée par le flot de magie qu'elle sentait couler en elle et envoya valser le gardien dans le décor, qui perdit connaissance. Apolline ne perdit pas un instant. Elle prit la clé, ouvrit la porte du sanctuaire, retrouva la pierre des elfes et l'enfila à son cou avant de prendre la poudre d'escampette. Silencieuse comme une louve, elle avait contourné les gardes, passé la grande porte et s'était tirée emportant avec elle la brise du matin.

Au dehors, il faisait gris et la pluie battait son plein. La boue s'était accumulée sur les sentiers ce qui rendait la marche plus difficile. Sa blessure coulait abondamment mais elle serra les dents et continua à avancer jusqu'à se retrouver face à l'océan, là ou toute route prenait fin. Elle prit un moment pour contempler ce tableau magnifique se déroulant sous ses yeux. La jeune fille n'avait jamais vu l'Eden. Cette terre dont tout le monde parlait. Ce paradis dans lequel on allait lorsque notre vie prenait fin. Ce paradis dont tout le monde rêvait. Pourtant, elle en avait parcouru des terres qui avaient semées le trouble en elle. Mais jamais elle n'avait vu pareille beauté. L'océan, cette immensité qui pourrait l'avaler, qui se déchaine sous cette pluie tonitruante. Mère nature ne lui avait encore jamais offert de spectacle aussi divin. Elle serrait entre ses mains les restes de sa tendre rose séchée. Elle aurait pu rester là indéfiniment mais l'éclat du bijou autour de son cou la ramena à la réalité. La brise caressait son visage pâle. Elle avait froid, elle était trempée jusqu'à l'os et sa blessure lui faisait un mal de chien. Elle fit un dernier adieu à ce magnifique paysage puis, avec peine, elle se remit en marche.  Mais son corps tout entier protestait. Elle aurait voulu s'arrêter et invoquer les dieux pour qu'enfin ils la prennent dans ses bras et lui indiquent le chemin de l'Eden. Puisant dans ses dernières forces, elle essaya, d'un sortilège, de renvoyer la pierre chez les elfes pour qu'enfin elle reprenne la place qui lui était destinée. Mais l'énergie lui manqua et elle défaillit.

Le mage, s'étant aperçu de sa disparition, avait alerté la reine qui avait mis à ses trousses plusieurs guerriers. Ils la trouvèrent allongée dans la boue, la plaie béante se déversant de tout son sang. Sa peau était aussi froide que celle d'un serpent. Dans sa paume, reposait sa rose noire séchée toujours aussi intacte. Les guerriers la ramenèrent aussi vite que possible au château. Elle fut une nouvelle fois enfermée mais cette fois ce fut dans une pièce plus sombre et démunie du confort d'auparavant. Le mage avait refermé sa plaie mais il lui faudrait du temps pour reprendre des forces. Elle s'était pratiquement vidée de tout son sang. La pâleur de sa peau en était témoin. La douleur de la plaie était telle que la fièvre ne descendait pas.

Lorsqu'Amayelle eu vent de sa fuite, elle s'empressa d'aller lui rendre visite. Au vu de son état, elle ne perdit pas un instant pour mettre au courant Aloys de tout ce qu'elle lui avait caché jusqu'ici. Celui-ci fut furieux que son épouse ait pu lui cacher une chose aussi importante. Pourtant elle savait que sa sœur était tout pour lui et qu'il s'en voulait terriblement de l'avoir délaissée il y a de cela déjà plusieurs années. Mais il ne s'attarda pas sur ces futilités et s'en alla en claquant la porte pour retrouver la seule et dernière famille qui lui restait. Au pas de course, il traversa la grande cour sous les regards étonnés du peuple qui ne l'avaient guère vu dans cet état depuis qu'il était arrivé sur ces terres.

 

Arrivé devant la grande bâtisse en pierre, Aloys s'arrêta sur le pas de la porte. Il faisait sombre dans la pièce mais il devina la silhouette d'une jeune femme, assise sur une table, les jambes se balançant dans le vide. Un rayon de clair de lune se fraya un chemin dans la pièce. Il ne s'attendait vraiment pas à la voir ici. Pourtant, aucun doute, c'était bien elle. Sortait de sa petite bouche en cœur, un chant qui lui était bien familier. Un chant que jadis il lui chantait pour qu'elle se calme. Elle était bien là, avec sa chevelure noiraude tombant sur ses épaules dénudées. Elle avait revêtu une robe blanche qui la faisait rayonner. Elle avait des airs d'ange. Ce n'était désormais plus l'enfant qu'il avait connu. Elle avait mûri, elle était devenue une belle jeune femme qui faisait certainement tourner la tête à la gente masculine. La beauté qui se dégageait d'elle aujourd'hui le réconforta un tant soit peu. La vie lui avait quand même offert quelques cadeaux.

Mais Aloys s'aperçu des frissonnements qui parcouraient le corps de sa sœur. La fièvre s'était effectivement emparée d'elle. Il resta stupéfait lorsqu'il aperçut une infime partie d'une blessure à demi cachée par sa robe. Quelqu'un avait mutilé la chair de sa sœur. C'est alors que le temps des regrets apparu et que la culpabilité en jaillit encore plus fort qu'auparavant. Il l'avait abandonnée. A cause de lui, elle avait dû endurer le pire, seule, et en gardait des séquelles au vue de sa blessure. Les larmes, acides, lui montèrent aux yeux. Il était certainement mieux pour elle qu'elle n'apprenne pas son existence. Pourtant, son unique désir n'était autre que de la serrer dans ses bras, aussi fort qu'il le pouvait. Mais il l'avait laissée dans cet enfer. Elle avait pourtant réussi à s'en échapper et il ne pouvait se permettre de l'y remettre. A travers ses larmes, il continuait de la contempler. Tant de questions se bousculaient dans sa tête. Le destin n'avait pas été très tendre avec eux. Qu'avait-elle fait depuis tout ce temps ? Il aurait voulu lui parler mais aucun son ne sorti de sa bouche, pas le moindre murmure. Il était vide, anéanti par cette apparition divine. Malgré sa forte envie de la prendre dans ses bras, il restait figé, toujours indécis par le comportement à adopter. Ses yeux se posèrent sur la rose séchée qui trônait aux côtés de sa sœur. Les roses avaient toujours été ses fleurs préférées. C'est alors qu'Apolline leva les yeux sur lui. Ses yeux bleus se détachaient sans peine de la pénombre. Aloys se sentit transpercé de toute part quand sa bouche lui esquissa un demi sourire. Allait-elle enfin sortir de ce long couloir du condamné ? La lumière allait-elle enfin apparaitre ? Son regard s'attarda sur le visage de son frère. Il paraissait inquiet. Qu'allait-il lui arriver ? Apolline se sentait tel un oiseau en cage prisonnière d'un cauchemar sans fin.

C'est à ce moment que la reine fit son apparition. Son visage était fermé, ses lèvres pincées. Elle était en colère.

-          Nous t'avons soignée, nous t'avons aidée alors que tu perdais la raison. Et toi dès que tu le peux, tu prends la fuite, assommes mes hommes et reprend la pierre pour laquelle je te faisais prisonnière. Tu utilises encore la magie dans mon royaume alors que je l'ai bannie. Comment oses-tu me manquer autant de respect ?!

Le courroux de la reine sema l'inquiétude dans l'âme de notre héroïne.

-          Cette fois ton sort est décidé et tu as signé sur ma bouche l'arrêt de ta mort. A-t-elle clamé d'un claquement de langue. Tu seras exécutée à l'aube sur la place centrale.

Apolline ne s'attendait pas à un autre châtiment. Elle savait que ce qu'elle avait fait ne resterait pas impuni mais elle fut désarçonnée lorsque la voix de son frère raisonna :

-          Il n'en est pas question ! Apolline ne sera pas exécutée. Elle a fait du mal certes mais je suis bien placé pour savoir que personne, personne dans ce monde, n'est totalement innocent. Le crime originel est une sorte de tatouage qu'on ne peut pas effacer. Certains disent de moi que j'ai une double personnalité. Moi, je dirai plutôt qu'à cette époque, je n'avais pas d'autres choix tout comme ma sœur. Nous devions survivre dans ce monde. Nous devions sauver notre peau. Nous n'avions pas le choix. Nous avons fait du mal oui. Et oui, finalement, j'ai fait de la guerre ma vocation car c'est tout ce que je connais. Finalement, les gens n'ont pas si tort que ça à mon propos. J'ai combattu pour survivre et j'y ai pris goût puisqu'aujourd'hui je vis de cette barbarie. Si Apolline a agi de la sorte c'est certainement pour une bonne cause. Je ne vous laisserai pas lui faire de mal. Et si tel est votre envie, soit, mais vous me perdrez aussi.

Aloys s'était avancé. Il se tenait face à la reine, droit comme un i. Il n'avait pas peur des représailles de celle-ci. Comme à son habitude, il savait trouver les mots pour qu'elle s'aligne à ses pensées.

-          Soit ! Mais elle est à ta charge. Au moindre faux pas, c'est toi qui en payeras les conséquences. Suis-je bien claire ?

Le jeune homme acquiesça de la tête et la reine demanda à son mage de créer un lien magique qui retienne Apolline dans le royaume. Celle-ci ne pourra plus pendant un certain temps quitter la cité. A défaut de l'exécuter, ce serait le seul châtiment auquel elle aurait droit pour avoir trahi la reine. Aloys remercia sa reine et entraina sa jeune sœur avec lui.

Tout deux restèrent silencieux. Aucun n'osa prendre la parole en premier. Ils marchaient côte à côte, le regard fixé au sol. Aloys risqua un regard sur sa sœur. Malgré son air démuni, son visage d'ange semblait rayonner. Sentant le regard de son frère sur elle, Apolline leva les yeux et lui adressa un sourire.

Esclave de ses regrets, Aloys ne perdit pas de temps pour soulager sa conscience. Le temps lui avait paru long mais aujourd'hui il pouvait enfin se défaire de son tas de culpabilité. Mais Apolline fut plus rapide que lui. Elle brisa ce silence qui en devenait presque oppressant pour elle.

-          Que s'est-il passé au campement Aloys? Je t'ai cherché partout. En l'espace de quelques secondes, tu as comme cessé d'exister.

A ce moment, il avait l'impression d'être assis sur le banc des accusés. Il allait devoir plaider coupable. Coupable d'avoir sauvé sa peau, coupable de l'avoir abandonnée, coupable de l'avoir jetée dans la fosse aux lions. Il prit une grande inspiration. Il allait devoir affronter sa colère. Elle ne pourrait pas garder continuellement son sourire et faire comme si son acte était banal, vide de sens à ses yeux.

-          Ma femme est apparue. Elle m'a tendu la main et sommé de la suivre. J'ai hésité Apolline. Je ne voulais pas te laisser. Mais elle a insisté. J'entendais au loin les cris déchirants des hommes restés au campement. Si je restais, je jouais ma vie. Alors, j'ai attrapé la main de celle qui deviendrait, sans le savoir, ma femme et elle m'a guidé loin de ce tourbillon sans fin. Une fois hors d'atteinte, je l'ai supplié d'aller te chercher. Mais elle n'a pas pu. Ce fut un choix douloureux à faire. Je ne pourrai jamais remplacer ces regrets Apo. Si tu savais comme je m'en veux.

Apolline s'était immobilisée. Le temps d'un battement de paupières, elle le regardait sans vraiment le voir. La vérité lui brisa le cœur. Leur lien de sang n'était alors pas aussi fort qu'elle l'avait pensé. La chute vertigineuse dans ce retour à la réalité fut douloureuse. Elle avait déambulé toutes ces années, dans l'auberge des promesses perdues. Promesses que son lâche de frère n'avait su tenir.

Aloys s'était approché de sa sœur qui ne réagissait plus à ses appels. Il posa délicatement sa main sur son épaule mais celle-ci se dégagea prestement de son emprise avant de faire trois pas en arrière. Elle le fusillait du regard. Il ne l'avait encore jamais vue aussi ivre de colère.

Le cœur volcan, l'âme assassine, saturée et en sang, Apolline lui tourna le dos et s'en alla sans un mot. Elle le laissa seul avec ses démons d'antan.

L'aveu embarrassant d'Aloys avait laissé un goût amer de déception dans la gorge d'Apolline. Il l'avait trahi. Il l'avait abandonnée à son propre sort. Certes, aujourd'hui c'était peut-être un homme différent. Il avait pris la décision d'assumer son acte. Mais la disgrâce de celui-ci ne le changeait pas aux yeux d'Apolline. Il avait dû faire un choix difficile, elle le comprenait. Mais du plus loin qu'elle s'en souvenait, son frère avait toujours clamé que la famille est le paradis dans un monde sans cœur. Elle était sa dernière famille et malgré tout il l'avait délaissée. Pourquoi ce revirement de situation ? Apolline ne comprenait pas. Elle réfléchissait depuis une bonne heure assise dans le sable à l'ombre du moulin. Tant de questions se bousculaient dans sa tête. L'avait-il au moins cherché comme elle l'avait cherché au hasard de la vie et des voyages ? Elle aurait voulu en parler à quelqu'un, avoir un avis autre que le sien qui puisse la guider. Mais elle était seule. Les personnes qu'elle avait chéries jusqu'ici et à qui elle avait ouvert son cœur n'était désormais plus que de lointains souvenirs. Souvenirs douloureux à porter. Elle se mit à repenser à sa vie, assise dans ses larmes déferlantes. En séchant ses yeux, elle comprit qu'elle essuyait ses rêves. Pleine de rancœur, elle finit par se lever et repris le chemin du village avec nonchalance. De toute façon, tôt ou tard elle devrait l'affronter.

Le réveil fut difficile. Les révélations de son frère l'avaient empêchée de dormir la moitié de la nuit. Elle n'arrivait pas à apaiser son cœur. La jeune fille sortie de son lit et alla se promener dans les ruelles du château. Le calme habituel avait laissé place à un vent de panique qui soufflait sur la cité. On racontait que la sable de la côte était devenu noir et que l'on pouvait suivre d'étranges traces dessinées sur la plage. Les soupçons d'Apolline sur la menace qui planait au-dessus de leur tête étaient bien vrais. Les prédateurs tant redoutés se préparaient à une attaque des plus sauvage. Mais pourquoi se faisaient-ils désirer ? S'ils étaient déjà ici pourquoi n'attaquaient-ils pas ?  Quel était leur véritable dessein ? Une sombre énergie se profilait à l'horizon. Elle la sentait telle une odeur familière se proliférant dans toute la zone à proximité du château. Était-ce une diversion de l'Empereur afin de lancer son assaut dans une brèche qu'il aurait créé par lui-même ? Si seulement elle pouvait s'en aller, loin du massacre qui n'allait pas tarder. Elle ne voulait pas revivre un épisode de ce genre une nouvelle fois. Mais la reine refusait toujours de lui enlever ses chaînes magiques. Apolline resta donc sur ses gardes telle une biche aux abois. Elle se terra dans le ruelles sombres jusqu'à se retrouver à l'orée de la grande cour.

Comme les villageois se posaient de multiples questions, Aloys avait la tâche ardue de leur expliquer la situation afin que tout le monde se calme. Les villageois firent comme sur la petite place du village : ils attendirent qu'il parlât le premier. Faire entendre raison au peuple avait toujours été une vocation pour Aloys. Il se sentait à l'aise devant tous ces visages qui le fixaient, attendant patiemment qu'il prenne la parole. Il aimait se faire désirer. Mais ce jour-là, ces idées étaient confuses, à l'état de nébuleuses. Les Ombres tenaient à ce que leur Empereur devienne le gouverneur du monde et pour ainsi dire, l'humanité n'était déjà plus que poussière à leurs yeux. Le monde brûlait déjà autour d'eux. Mais comment expliquer à son peuple que le danger est en marche ? Comment ne pas déclencher une plus grande vague de panique alors que lui-même est effrayé par le futur qui les attend ?

Dans ce calme inquiétant, un cri déchira le silence. Dans la foule, une femme pointait de son doigt le ciel devenu gris. Un dragon de fumée s'élevait dans les airs. Les villageois, terrorisé par cette apparition, se mirent à courir dans tous les sens. Apolline observa la scène, cachée dans l'ombre des murailles. Le peuple hurlait à la mort, les villageois se poussaient et se piétinaient, chacun voulant sauver sa peau. Le dragon détruisit le pont de pierre permettant de rejoindre le château et mit le feu aux maisons de campagne. Il se jeta sur le peuple en folie tel un faucon sur sa proie. D'un coup de queue, il démolit l'une des tours du château qui s'abattit avec fracas sur une dizaine de pauvres gens qui n'avaient jamais rien demandé. Apolline aperçut, au travers de la poussière qu'avait provoqué la chute de la tour, son frère qui s'était mis à l'abris. Ainsi, les dés étaient jetés, l'orage s'abattait sur Irentsi tout comme elle l'avait prédit.

Tentant le tout pour le tout, elle vira de bord et couru dans les allées pavées de la cité pour rejoindre les portes du château. Les gardes avaient l'air apeurés. Tremblants, ils lui barrèrent la route.

-          Je dois voir la reine, de suite !

-          La reine est occupée. Elle a demandé à ce que personne ne la dérange. Retourne d'où tu viens.

-          D'où je viens ? Vous voulez que je retourne là en bas ? Là ou les corps sans vie se multiplient ? Là ou les hurlements ne cesseront qu'après la mort du dernier homme ?

Apolline s'était mise à crier, les poings serrés le long de son corps tendu par la colère. Ses yeux devinrent noirs comme du charbon. Elle perdait le contrôle. Elle sentait la magie en elle prendre le dessus.

-          Avez-vous donc perdu la raison ? Garder une porte alors que les vôtres se meurent juste sous vos pieds ? Est-ce donc ça le seul but de votre vie ? Voulez-vous vraiment mourir pour une porte ? Une simple porte !

Complètement hors d'elle, les mains tendues en avant, un flot de lumière jaillit de ses paumes et atteint de plein fouet les deux hommes tombés raides morts sous la puissante frappe magique. La porte vola en éclat, la lumière sortant des paumes d'Apolline diminua puis épuisée, à bout de souffle, elle tomba à genoux. Elle se releva avec difficulté, encore abasourdie par ce qui venait de se produire. Elle tituba jusqu'à la porte de la salle d'audience, ouvrit la porte à la volée et hurla :

-          Votre peuple se meurt parce que vous décidez d'ignorer mes dires. Je ne compte pas mourir ici parce que vous n'avez pas voulu m'écouter. J'en ai plus qu'assez ! Otez mes chaines !

En plein conseil pour établir rapidement un plan de bataille, la reine hocha de la tête et le mage libéra enfin Apolline de ses liens. Apte à repartir, la jeune fille se retourna d'un coup, sans l'intention de remercier ses geôliers. Mais elle se retrouva face à face avec son frère couvert de poussière, toussant à s'époumoner. Amayelle couru vers son homme afin de lui venir en aide.

Soudain, la pièce entière s'illumina d'un halo scintillant. Eblouies par tant de lumière vive, certains fermèrent les yeux, attendant qu'elle s'atténue, d'autres posèrent leur main en visière, curieux de savoir d'où provenait une si vive énergie.

Apolline se frotta les yeux à maintes reprises. Elle croyait rêver. Au centre de la pièce, se tenait Maitre Hawkes.

-          Comment est-ce possible murmura-t-elle pour elle-même

-          Des années d'entrainements mon petite ange de pierre s'enquit-il de lui répondre avec un clin d'œil

La jeune fille lui sourit. Elle était heureuse de le revoir, heureuse de le savoir en vie après cette longue attente dans l'incertitude. L'elfe maitre se tourna vers la reine d'Irentsi.

-          Je suis navré de voir que les Ombres sont déjà arrivés aux portes de votre cité. J'ai compris trop tard. Mon esprit fut lent sur ce coup-ci. Mais je sais désormais que nous avons besoin de ces jeunes gens, dit-il en pointant Aloys et sa sœur, pour sauver notre univers de ce vil Empereur. Vous devez les laisser partir pour qu'ils puissent me rejoindre dans les contrées des elfes des bois. Là-bas, je les entrainerai pour vaincre le mal qui domine peu à peu le continent. Ils sont notre seul espoir.

-          Mais les elfes sont en guerre Maitre ! Les elfes noirs ont envahi les bois, ils détruisent tout !

-          Je suis au courant Apolline. Mais rassure-toi, nous les avons fait reculer.

L'elfe disparu, sur ces derniers mots, comme il était arrivé. Aloys et Apolline se dévisageaient, intrigués par la tournure que prenait la conversation. Amayelle resta de marbre, après son mariage avec son âme sœur, elle avait ressenti des désirs naissants. Son rêve avait toujours été de fonder sa propre famille et donner tout son amour à ses tendres enfants. Tout cet amour qu'on ne lui avait jamais donné lorsqu'elle était née. Mais lors d'une discussion avec son mari, elle avait compris que pour lui n'était pas encore venu ce moment. Il avait encore bien des choses à mettre en ordre dans sa vie. Et elle avait compris que tant qu'il n'aurait pas fait le deuil de sa jeune sœur, il ne pourrait se projeter en tant que père de famille. Lorsqu'Apolline était réapparue dans la vie d'Aloys, elle s'était enfin réjouie. Peut-être que son envie grandissante allait devenir possible. Mais aujourd'hui, plus que jamais, elle savait qu'elle devrait attendre encore avant de voir son rêve se réaliser. Un raz de marée venait d'essuyer tous ses rêves de famille. Son mari devrait partir, il devrait combattre le plus grand mal que le pays n'ait jamais vu. Qui pouvait savoir ce qui l'attendait dans ce périeux voyage ? Qui pouvait savoir si son amour de toujours reviendrait en vie ?

La voix de la reine d'Irentsi la ramena à la réalité. Celle-ci ne perdit pas un instant. Elle se tourna vers les quelques gardes qui restaient constamment à ses côtés.

-          Accompagnez-les jusqu'à la frontière, ne laissez personne entraver leur chemin. Dépêchez-vous, il ne faut pas tarder.

Amayelle prit alors la parole :

-          Je les accompagne aussi. Je ne laisserai pas partir mon homme sans que je ne sois à ses côtés.

La reine acquiesça, elle comprenait la décision de sa plus brave guerrière.

Signaler ce texte