CHAPITRE 4

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J'étais enceinte de Lina lorsque Diego fut envoyé sur l'Ile de la Déception. Il avait demandé une mutation pour le Nigéria qui avait été refusée et remplacée par un poste dans l'océan Antarctique. Cela ne me posa pas de problème parce que nous nous disputions souvent à cette époque. Il revenait une fois par an pour les fêtes de fin d'année et passait une semaine avec nous. Au début de son exil, il se plaignit beaucoup puis au bout de trois ans, les récriminations cessèrent. Nous communiquions principalement par mail. J'essayais de savoir si tout se passait bien là-bas et il répondait toujours laconiquement. Au fond de moi, je savais qu'un malheur avait dû arriver. Diego n'avait jamais été un être particulièrement volubile mais il était devenu un spectre (le mot que ma belle-mère avait employé lorsqu'elle l'avait revu après six ans d'exil). Je n'avais jamais pris la peine de creuser avec lui, pensant que chacun de nous avait ses petits problèmes. Lorsque j'étais tombée enceinte de Luciano, Diego n'avait manifesté ni joie ni peine. Je lui avais demandé si cette quatrième naissance ne serait pas un motif pour revenir en France. Il avait simplement répondu par mail un "non" sans explication. Alors j'avais continué ma vie de famille, essayant de gérer au mieux nos enfants en son absence.

Noël de sa dernière année d'exil. Nous étions allongés dans notre lit. Il me prit la main et la porta à sa bouche pour y poser un baiser tendre.

"Si notre vie avait été différente et si j'avais pu obtenir le poste souhaité, où aurais-tu aimé vivre? me demanda-t-il. Après tout, lorsque j'ai fait ma demande pour le Nigéria, je ne t'ai pas demandé si cela te plaisait.

_ Je t'aurai suivi nimporte où.

_ C'est gentil. Où aurais-tu aimé vivre alors?

_ Bordjomi.

_ Où est-ce?

_ En Géorgie.

_ Comment connais-tu cet endroit?

_ Une longue histoire.

_ J'ai tout mon temps.

_ Qu'est-ce qui se passe, Diego? D'habitude, nous échangeons à peine quelques mots pendant ton séjour ici.

_ Je ne sais pas.

_ Se passe-t-il quelque chose de spécial à l'Ile de la Déception?"

Il avait serré ma main plus fort et garder le silence. Je ne posais plus aucune question sur le sujet.

"Pour être honnête, je suis déjà allée à Bordjomi, dis-je d'un ton que j'espérais neutre. Il y a dix ans.

_ Nous étions déjà mariés à l'époque.

_ Oui.

_ Et tu ne m'as rien dit.

_ Je n'étais pas sûre que tu comprennes. Je suis allée là-bas pour des raisons spirituelles.

_ Du genre?

_ Je crois à la fin du monde. Je suis allée là-bas pour l'accepter et pour voir l'endroit où je pourrai nous emmener nous réfugier si nous devions la vivre. Peu importe où nous vivons. Mais si le monde doit finir, nous partirons tous là-bas. Tout est presque prêt.

_ C'est un peu effrayant comme idée.

_ C'est pour ça que je ne t'en ai pas parlé.

_ Mais j'accepte cette idée.

_ Tu me donnes ta parole qu'on agira ainsi s'il le faut?

_ Oui. Nous suivrons ton chemin."

Il s'était penché vers moi et m'avait embrassée.

"Ma petite gourou."

J'avais pouffé de rire et nous avions conçu Mina cette nuit-là. La semaine qui suivit fut telle que je m'étais toujours imaginée une vie de famille. Les enfants et moi étions effondrés lorsque le van était venu le chercher le deux janvier. Diego semblait un peu ébranlé aussi mais il ne versa aucune larme. Chose étrange, il posa une main sur mon épaule et dit:

"Bientôt."

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