Chapitre I : Vie anodine

Lucy

Chapitre I de ma première histoire. J'attends vos retours avec impatience. Le II devrait sortir assez vite (puisque celui-ci est plus de l'ordre d'un long prologue). A bientôt

Mon nom est Solomée, mais tout le monde m'appelle Sol, d'abord parce que Solomée c'est assez bizarre comme nom, je ne sais pas où mes parents sont allés pêcher ça. Mais en plus, trois syllabes c'est long et vraiment pas fluide. Mais, Sol, j'aime bien, d'abord, ça me fait penser au Soleil et à sa chaleur, à sa couleur jaune orangée, à son aspect flamboyant, au feu… Et comme j'ai cette tâche de naissance qui ressemble à des flammes sur le sein gauche, je ne peux pas m'empêcher de me dire qu'il y a un lien, et que c'est peut-être là que mes parents ont trouvé leur fibre créative finalement... Mais ça, je ne pourrai jamais vraiment le savoir, mes parents sont morts dans un accident de voiture alors que j'étais encore enfant. Là où la mémoire est fascinante, c'est qu'elle te cache des souvenirs pour pas que tu souffres, conclusion, mis à part des silhouettes et une intonation de voix, je me rappelle que très peu de chose. J'ai la chance d'avoir des parents adoptifs qui les ont connus, et qui m'en parlent parfois. Il paraît qu'ils étaient une bande potes as toujours traîner ensemble. Ils me racontent que j'ai trois petites sœurs : Linaë, Ailee et Nuna… Malheureusement, ils n'ont pas pu les prendre avec moi parce qu'ils n'avaient pas les moyens, et que ça représentait vraiment beaucoup de chamboulements dans leur vie. Mais de ce qu'ils savent, mes parents avaient été intuitifs, et d'autres amis à eux les ont pris à charge. Dans un sens, cela m'attriste parce que j'aurai aimé les connaître plus, avoir des souvenirs avec elles; de l'autre, comme j'en ai aucun, je ne ressens pas ce manque effroyable, j'arrive à gérer ma solitude. Seulement, quand je me mets à y penser, je pleure en me demandant où elles sont ? Ce qu'elles font ? Que serait notre vie si on avait été toutes les quatre ensembles ? Comment sont-elles ? Mais, très vite, je suis de nouveau emportée par le tourbillon de la vie, mon tourbillon… 


Mais parlons-en de ce tourbillon… Depuis que j'ai intégré la fac d'arts, ma vie est sens dessus-dessous… Entre mon club de sport, les sorties « prise de vue », le bénévolat, les sorties entre amis et la famille, j'ai bien souvent du mal à joindre les deux bouts du temps… Il file tellement vite. Je me plains, mais je veux tout garder, je ne veux pas faire des sacrifices… Pourquoi ? Parce que toutes ces activités me tiennent à cœur et qu'elles participent toutes à mon équilibre… Le sport me permet de me défouler et de faire sortir toute la tension qui s'accumule ; le bénévolat, de voir des sourires de reconnaissances se former, et de me dire que peut-être, je sers à quelque chose dans ce monde. Quant aux sorties entre amis c'est  ma bouffée de fous rire, et ma famille, ma dose d'amour… 

Ce que je préfère, c'est quand même les sorties « prises de vue », parfois entre amis, mais la plupart du temps, seule… Elles me permettent de m'évader, d'oublier toute cette vie chronométrée et dictée de A à Z par les autres. Souvent, je pars en forêt pour être vraiment loin de cette vie trépidante, de ce stress et de la noirceur de la ville. J'ai l'habitude de déambuler dans les bois, et quand je trouve, je me pose sur une souche et j'observe le monde qui m'entoure… J'essaye de m'imaginer au temps où l'on respectait la nature plus que la technologie… Non que je sois une écolo dans l'âme, mais j'aime la nature, elle a tellement à nous offrir… Je trouve ça ahurissant de vénérer une technologie inventée de toute pièce par notre esprit plutôt qu'une force véritable… Force qui peut se matérialiser sous la forme du vent, de l'eau, de la terre, ou même du feu… Ces quatre éléments fascinants…


Driiiing !!! Mon téléphone sonne… Ça doit être Julie, on avait prévu un shooting en ville, après une petite virée shopping, que j'avais, vraisemblablement, oublié…

        - Allo ?

     - Mais Sol, qu'est-ce que tu fais ? Ça va bientôt faire une demi-heure que je t'attends sur le parking du centre commerciale ?! J'ai l'habitude que tu sois en retard, mais là je commence sérieusement à me demander si tout va bien.

     - Désolé Ju', j'avais complètement zappé… J'ai veillé tard hier, j'avais 5 photos à retoucher pour l'exposition de mardi… Une demande spéciale de madame Veirne, tu sais ce que c'est… Et du coup, ce matin une catastrophe pour trouver la force de sortir de mon lit. Mais ne t'inquiète pas, je m'active et j'arrive!

     - Ouais, t'es pardonnable si tu rapplique dans les vingt minutes le temps que j'achète ce magnifique sac qui me tente depuis tout à l'heure… On passera les boutiques où on achète jamais rien et on se concentrera sur l'essentiel. 

     - J'arrive ! 

Julie, c'est ma meilleure amie, on se connait depuis qu'on est toute petite et j'ai une foule de souvenirs avec elle que je n'échangerai pour rien au monde… Les piscines gonflables, les après-midi boules de neige, les premières photos, les anniversaires...  C'est un peu celle qui remplace les sœurs que je ne connais pas. On a la chance en plus de partager la même passion de l'art, même si je ressens plus de plaisir à faire de la photographie alors qu'elle ne respire que pour la cinématographie… Le problème dans le cinéma, c'est qu'il faut une trame pour savoir quoi filmer, ou tout du moins, comment les assembler ; alors qu'en photo, on peut profiter de l'instant présent, de ce que le temps nous offre; et se contenter d'une seule image… A peine le temps de troquer mon jogging contre un slim bordeaux, mon horrible sweat contre un top frais, mes pantoufles contre mes baskets que je reçois un message de Julie : « Changement de programme, le vendeur m'a invité à boire un verre… On se voit demain ! Bisous ! ». J'hésite entre me mettre à l'aise dans mon lit, ou à sortir quand même… J'opte rapidement pour la seconde option, le soleil dehors m'appelle, et maintenant que je suis changée. 


Appareil photo en main, je me dirige donc vers l'arrêt de bus, direction le petit village paumé connu pour être resté vraiment rural. Il y règne une atmosphère assez étrange, mais c'est le lieu idéal pour faire les photos demandés par Madame Veirne… Son nouveau devoir me fout les jetons, et je n'ai pas encore trouvé l'inspiration, et ça m'embête car le sujet est vraiment intéressant, mais j'ai peur de tomber dans le déjà-vu. Après avoir été déposée au pied de la petite cabane en bois qui sert d'abri de bus, je regrette mon choix. Sur le chemin, le temps a changé et maintenant, la pluie frappe régulièrement sur les tôles du toit. Peu rassurée de rester sous cet abri de fortune, je me décide à aller vers le seul autre lieu ouvert du village. C'est ainsi, qu'en cette après-midi grise et pluvieuse, je descends les quelques marches de pierres et j'entre dans la petite église. Elle est écartée de la place du village, entourée de deux champs et de son cimetière, ses pierres calcaires et ses ardoises grises lui permettent presque de se joindre au ciel et de ne faire qu'un avec. Je suis donc au pas de la porte, au départ de la nef qui me semble étroite, s'étend de chaque côté une rangée de bancs massifs en bois sombre. Assise toute seule sur un banc, une mémé à les mains jointes… Elle murmure des choses que je n'arrive pas à comprendre, mais elle a le visage fin et implorant. Un voile lui recouvre ses cheveux blancs coiffés en un chignon bien serré et strict, le parfait contraire de son expression calme et sereine. L'atmosphère a quelque chose de palpable et d'enivrant, je ne saurais dire si c'est lié à la lumière grise qui parvient tout de même à pénétrer par les vitraux, ou si c'est cette mémé qui dégage une aura rassurante et respectable… Le sujet parfait pour mon devoir de photographie est là, et pourtant j'hésite à déclencher l'appareil, je ne veux en aucun cas briser le silence, la quiétude et ce lien invisible qui me permet de faire partie intégrante de la scène… J'attends, j'observe et je m'imprègne de la scène, silencieuse… Puis, d'un geste aussi doux que son visage implorant le ciel, la mémé se tourne vers moi, me dévisage, et me fait signe de la rejoindre. Ses yeux gris sont ornés de rides qui rendent son visage rassurant et amical, sa bouche presque sèche me murmure un “bonjour”, et mon sourire lui répond sans qu'aucun mot ne sorte de ma bouche.

     - « Qu'est-ce qu'une jeune fille aussi jolie que toi vient faire dans un endroit aussi rempli de tristesse et de prière ? Me demanda-t elle

     - Je pensais prendre des photos pour un devoir, notre thème d'étude est la sagesse, et … »

Elle me coupa :

     - « Et pourquoi ne l'as-tu pas fait ? 

     - Je n'osais pas… J'avais peur que le bruit du déclencheur vous dérange dans cet instant qui semblait si sincère et personnel. Je ne me sentais pas à ma place, mais je ne pouvais détacher mon regard de l'image et de l'atmosphère que vous apportiez. 

     - J'apprécie ton respect, cependant, tu ne devras pas venir dans des endroits comme celui-là à ton âge, tu devras penser à t'amuser, à profiter de la vie, avant de ne devoir à ton tour vivre cet instant de recueil… Va et cueille ta vie avant qu'elle ne soit emportée par le temps…1 » 

A ces mots, elle se retourne avec un sourire malicieux, et se dirige calmement vers la sortie, les mains liées dans le dos… J'aime penser qu'elle m'offre volontairement une image à prendre, en guise de remerciement. Aussi, j'arme mon appareil, et appuie sur le déclencheur. Je n'espère qu'une chose, que la photo témoigne de ce respect mutuel et de la sagesse qui émanait de cette vieille dame. 

N'ayant plus rien à faire dans l'église, et n'entendant plus la pluie tambouriner, je ressors pour arpenter les rues à la recherche d'un sujet plus joyeux et vivant. Malheureusement, tout le monde est terré au chaud dans les chaumières, et aucun enfant n'anime l'air de jeux. Je décide donc d' emprunter le chemin sinueux qui mène au parc. Je m'assoiis sur l'unique banc, dont le blanc crémeux est devenu crasseux, et dont la peinture est écaillée à plusieurs endroits. Je contemple un instant les arbres se mouvoir au gré du vent avant d'apercevoir, au loin, là-haut sur la colline vierge, une silhouette. Celle d'un homme, qui regarde droit dans ma direction, et semble me dévisager. Troublée, je me met en quête de le rejoindre pour lui demander la raison de son insistance, mais lorsque j'atteins enfin le promontoire, personne n'y es, avais-je rêvés ? 

En redescendant vers l'arrêt de bus, je croise la mémé, elle me sourit, je lui souris en retour, elle semblait attendre quelque chose. Le bus arrive et je monte à l'intérieur lorsqu'elle me rattrape:

     - « Il y a une fête au village, dans une semaine, tu auras peut-être plus le loisir de choisir des sujets pour tes photos… Ce sera certainement plus joyeux qu'aujourd'hui.»

Je n'ai pas le temps de lui répondre que les portes se rabattent derrière moi et closent la discussion. Elle venait de me lancer une invitation et je comptais bien y répondre.


J'entre dans la maison qui est encore vide, mes parents étant comme tous les mercredis partis faire les commissions, j'attrape mon portable et appelle Julie, j'ai envie de partager ma journée avec elle et d'avoir son avis. C'est ainsi que je lui raconte dans les moindre détails ma rencontre avec la vieille dame, cette silhouette intrusive et éphémère et enfin ce semblant d'invitation. Comme je l'attendais, elle est d'accord avec moi, et se propose même de m'accompagner, et en plus, selon elle, c'est une journée parfaite pour cueillir les sujets de son prochain court métrage. Julie ne ratant jamais une occasion de dépenser la fortune de ses parents, c'est l'excuse parfaite pour re-programmer notre journée de boutiques que nous prévoyons pour ce samedi. 

Nous sommes samedi, il est 9h pétante et j'entends la sonnette de la maison retentir, ponctuelle comme ça, ça ne peut-être que Julie. Mes parents lui ont probablement ouvert puisque quand j'arrive en bas, elle est assise dans le salon, et ma mère lui prépare une tasse de café dans le mug que nous lui avons attribué il y a fort longtemps. Je m'assois à mon tour et ma mère ajoute instantanément un deuxième mug sous la machine à expresso. Avec un clin d'œil à Julie en guise de bonjour, j'embrasse ma mère.

“ - Merci maman, j'allais te le demander mais apparemment tu lis dans mes pensées.

- Que crois-tu, ça fait maintenant trois ans que tu bois du café tous les matins. me taquine-t-elle. Alors si j'ai bien compris, vous abandonnez le fort et vous allez vous amuser au centre commercial ?

- C'est ce qui est prévu en tout cas Madame Bleuet. 

- Je le sais bien, mais j'avais envie de vous taquiner un peu ce matin. s'excuse Julie.

- Bon maman, je crois qu'on a fini le café, alors on va y aller. J'ai mon portable, et si besoin de quelque chose, n'hésites pas.

- Pas de soucis chérie, mais tu sais, avec ton père on profite que tu ne sois pas là pour aller se faire un petit restaurant comme on avait l'habitude. me réponds-t-elle alors que nous sommes sur le seuil de la porte”


Julie nous conduit jusqu'au parking du centre commercial, et après avoir soigneusement repéré notre emplacement sous terre, nous montons les escaliers qui nous mènent aux couloirs des boutiques. J'ai l'impression que ça fait une éternité que je ne me suis pas permise de flâner le long des devantures et je sens l'impatience des premiers essayages se faire ressentir. Nous entrons dans la première boutique, nous n'avons pas l'habitude d'y rentrer car les prix sont souvent “hors limite” mais aujourd'hui nous nous laissons toute de même tenté par sa vitrine “dreamy” : dans les tons pastels : l'un des mannequins porte un débardeur beige en satin et un pantalon évasé blanc, alors que le second porte une robe d'été rose. Déambulant dans les rayons, récupérant un article après l'autre, nous décidons finalement de nous diriger vers les cabines d'essayage. Malheureusement, l'hôtesse habillée d'une chemise satinée noire, nous regarde avec dédain et nous informe que nous dépassons chacune la quantité limite de produits, qui ne doit pas dépasser deux. Alors, après un regard l'une à l'autre, et en nous excusant d'avoir failli acheter des vêtements, nous reposons l'intégralité des vêtements sur son portique. Le deuxième magasin efface rapidement cette mésaventure puisque Julie achète une combinaison jaune à fleurs, et que je jette mon dévolu sur une longue robe blanche décorée de feuilles couleur rouille, avec un dos-nu ; ainsi que sur une deuxième robe longue unie couleur rouille mais qui offre un jolie décolleté et qui accompagnée de jolis talons marrons sera la tenue parfaite pour la fête de mercredi. Après de multiples essayages et achats, nous décidons qu'il est enfin temps de faire une pause et de nous ressourcer au snack du centre commercial avec l'indémodable jambon-beurre et la cannette de soda. Il est toujours plus dur de continuer les essayages après avoir déjeuner puisque le poids du repas pèse dans mon  estomac, et l'idée même de comprimer plusieurs fois de suite mon ventre avec des jeans ne m'enchante pas. D'autant plus que Julie n'a cessé de draguer le serveur du snack et me demande du regard si elle peut m'abandonner, avec mon sourire, elle sait qu'elle peut et que je rentrerai en bus. Je crois que notre journée de shopping est terminée. Lorsque j'arrive enfin chez mes parents, je les trouve confortablement installés dans le canapé, regardant la dernière comédie romantique qu'ils n'ont pas vue, avec une mine espiègle, je leur saute dessus et m'installe entre eux-deux.


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