Chapitre Premier : Un pas en avant
Kevin Rousselet
« Le jour est à peine levé. Je vois la lumière percer la cime des arbres, pour venir inonder le moulin familial. Nous sommes au sommet d'une falaise, et des torrents traversent chaque extrémité du rivage avec violence.
Tel est le chant qui a bercé une grande partie de mon enfance, combiné aux cylindres de pierre actionnés par ma mère, pour moudre le grain. Notre famille a tiré toute sa renommée de cette profession, car nous avons un secret de fabrication que bien des gens nous envient.
Je vois mon père lessiver nos vêtements, après que mon frère les lui ait portés, et ma sœur les étendre à un arbre. Pour ma part je n'ai pas encore de rôle prépondérant dans la marche du monde. Je ne suis qu'un petit garçon aux yeux et à la chevelure obscure, et je ne fais qu'obéir aux ordres donnés. Je m'appelle encore Adiscar Talem, et je suis le dernier né de ma famille.
Comme je vous le disais le jour est à peine levé. En cette époque chaotique, chaque journée était une leçon dont je me devais de tirer les meilleurs enseignements. Je devais être brave, car du haut de mes dix années, j'étais différent des autres enfants, ou encore de mon frère ou de ma sœur, ou de mes parents... ou même de quiconque sur l'archipel, tout bien considéré ; mais j'y reviendrai plus tard.
Ma mère moud le grain depuis bien avant ma naissance, et c'est de mon père qu'elle tient tous ses secrets. J'ai essayé de lui demander, un jour, du mieux que j'ai pu, et après s'être emportée contre moi, elle a enfin compris où je voulais en venir, et m'a divulgué ces informations si précieuses.
Il existe plusieurs variétés de blé en fait, mais toutes ne sont pas destinées à être transformées en farine. Tous les meuniers de l'archipel jettent leur dévolu sur les mêmes quatre variétés, quand notre famille n'en utilise que deux, et que personne n'a jamais pensé à marier. Voyez-vous, avant d'obtenir le produit fini, il est nécessaire de passer par plusieurs sous-étapes.
La première consiste à ôter, une fois tous les grains, les petits cailloux, brindilles ou désagréments présents dans la masse – tâche à laquelle de mes petites mains je participais volontiers.
La seconde demande un peu de patience, car il faut brosser le blé, et l'humidifier pour faciliter son écrasement à venir. On nous enviait la technique, mais aussi une pièce qu'un ami de la famille, Hammerstone, avait pensé tout spécialement pour mon père, en récompense d'un service rendu. C'est dans cette pièce dont j'ignore encore aujourd'hui la spécificité, que nous entreposions le grain en vue de la prochaine étape.
La troisième phase est celle du broyage. On place les grains dans la trajectoire d'un cylindre aux dents cannelées, plusieurs fois, puis dans un autre plus lisse, afin d'obtenir une poudre.
Alors on passe la matière dans un tamis à grands trous d'abord, puis dans un plus petit, en tissu, tissé par ma grand-mère de ce que j'ai compris.
Enfin la farine est prête à la vente – maintenant que j'y pense le destin est un bien curieux farceur, car je ne pensais pas que ma vie serait ainsi vécue qu'on apparenterait un jour mon nom à cette farine qui a fait la renommée de ma famille, et qui fait aussi dans une certaine mesure, la mienne.
La vie était assez redondante je dois dire. Ma famille me portait un amour certain, j'en suis sûr, mais ma différence creusait un gouffre, un peu plus grand chaque jour, entre eux et moi.
Les autres enfants se moquaient souvent, car je ne parlais pas bien, et j'étais aussi plus lent à assimiler les choses. Je ne savais pas lire à cette époque, ou seulement quelques lettres, que je discernais par chance, parfois.
Ce n'est que plus tard, après avoir atteint l'âge adulte, que je me suis efforcé de combler mes lacunes. Mais pour l'heure il est venu le temps de parler d'un personnage emblématique de ma vie. Je me suis senti plus proche de lui que n'importe qui sur cette terre. Il m'a apporté tant de choses, qu'aujourd'hui encore, au crépuscule d'une vie bien remplie, je lui adresse mes remerciements les plus sincères. Cet homme illustre faisait parti de la cour de l'empereur Geoffrey Feudermy. Il était ses yeux et ses bras dans le monde. Au moment où je l'ai connu, les tensions étaient telles dans l'archipel qu'il ne se risquait plus à vagabonder d'un bout à l'autre des terres et des mers, mais à parfaire mon éducation, entre deux de ses devoirs : Monseigneur Deville, tel était son nom. »
« Un chevalier fidèle à son empereur se doit d'être connu de tous, de ses amis, de son peuple, mais par dessus tout de ses ennemis. La qualité principale d'une telle fonction est d'être honorable en toutes circonstances », me disait-il sans cesse, quand je lui demandais comment la situation évoluait, de jour en jour. Et il est vrai qu'à l'inverse de tous, il n'a jamais levé ni son bras ni sa voix contre moi. »
Il est maintenant midi. Nous nous préparons au repas, dans la maison voisine au moulin. La table est dressée, les maigres denrées dont nous disposons sont placées au centre, et après une prière de reconnaissance à la divine Délétraz, nous entamons les hostilités. Mon père saisit une cuisse de dinde, ma mère l'autre, ma sœur et mon frère se partagent le blanc, et on me laisse le privilège de rompre le pain.
Pour moi, en ce midi si prometteur, ce sera la seule chose que je mettrai en bouche, car je n'ai pas à leurs yeux mérité plus.
Mais soudain on frappe à la porte.
Trois fois.
Mon père se lève, inquiet, et se décide tout de même à ouvrir. Je reconnais la voix de mon noble ami, qui vient quérir mes services. Je me souviens de la discussion :
« Brave homme, je vous salue et vous présente tous mes vœux. Dit Deville, en une révérence clinquante, ses armoiries bien en évidence.
_ Monseigneur, je m'excuse mais je suis à table. Vous pouvez revenir plus tard ?
_ Vous n'avez pas le privilège de me congédier mon "brave". Qui plus est je ne suis pas là pour vous, mais pour le garçonnet.
Cette fois je sens une pointe d'agacement dans la voix de mon bienfaiteur.
_ Soit, laissez-le finir son repas au moins, et il sera à vous.
_ Son repas ? Il mangera au palais, un festin s'il le souhaite. Aujourd'hui sa tâche sera ardue, et sans porter de jugement sur vos manières, ce n'est pas un quignon de pain qui lui permettra de la mener à bien. »
Le chevalier se retourna avec prestance – je revois sa cape virevolter et son armure scintiller sous un soleil radieux – avant de tendre sa main énergétiquement, sans toutefois me regarder, pour que j'y loge la mienne, et qu'ensemble nous prenions le chemin du palais.
Nous arrivons maintenant à la place forte. Des murs se dressent comme une palissade, et des pointes de métal menacent quiconque s'en approche. Autour de nous les soldats saluent mon mentor, mais refusent de m'accorder un regard, préférant me dédaigner du bout des yeux, comme si je n'avais nullement ma place à ses côtés.
J'en fais pourtant fi.
Je m'attarde plutôt sur les détails d'importance, comme l'équipement standard de notre armée, la configuration des manœuvres de combat, et aussi le lieu en lui-même.
Le pont-levis est abaissé et nous le traversons. Le même débit phénoménal d'eau hurle sa force en dessous, mais j'y suis habitué. Dans les écuries je vois la même race de cheval que celui de mon bienfaiteur, puissant et distingué. Je profite à cette occasion d'une distraction de Monseigneur Deville, lequel répond à un gradé, pour avancer jusqu'à l'animal majestueux pour le saluer.
L'équidé se redresse, continuant paisiblement à mâcher le foin si fraîchement attrapé. Il me fixe de ses deux yeux noirs, et à la différence de toutes les âmes jusqu'ici, je ne ressens aucun poids, aucun jugement, si ce n'est l'agréable sensation d'être perçu pour ce que je suis réellement : un petit garçon de dix ans.
Je porte ma main à son encolure et le caresse délicatement. Il souffle, puis me tend son museau, où je réitère mon action.
Soudain je suis chassé par le maître des lieux. Il me hurle des jurons. Alors je me retire, en perdant l'équilibre, avant que deux mains agiles ne me réceptionnent en empêchant ma chute. Je me souviens clairement de la dispute :
« Maître Galeb, n'avez-vous donc pas d'autres montures pour vous occuper ? Vous faut-il vraiment cracher toute votre verve sur un enfant innocent ?
_ Je... Monseigneur ! Pardonnez-moi ! Je ne pensais pas que l'idiot du village était avec vous !
_ Et bien voici précisément d'où vient le problème, vous ne savez pas qui est le plus idiot des deux ! »
Je me souviens m'être fait la réflexion qu'il voulait en dire plus. En raison d'une certaine lassitude du manque de manière du peuple continental, du haut de ses trente-trois âges, mais je gageais à sa démarche si fier que son bon sens lui refusait cette futilité. Il s'adressa à moi, en s'accroupissant, et me pria d'excuser cette brute. Je l'écoutais d'une oreille mais je sentais pourtant qu'on me montrait clairement l'erreur que l'on faisait en m'amenant ici.
Nous reprîmes la route de la cour, puis après avoir franchi une seconde palissade, je fus émerveillé de voir la garde personnelle de l'empereur. Ils se faisaient appeler les "Imperatoris".
Aucun d'entre eux ne posa le regard sur moi, tous dévoués à une tâche unique : se parfaire au combat et à la stratégie pour défaire n'importe quelle menace planant sur l'empereur. Comme avec le cheval quelques instants auparavant, je me sentis libéré. Puis lorsqu'ils s'aperçurent de la présence de leur général, tous se mirent à genoux, formant une ligne digne des plus grandes processions.
Nous parcourûmes donc cette allée humaine – non sans fierté pour ma part –jusqu'à parvenir à des marches au sommet desquelles se tenait une jeune femme de dix-huit âges, debout.
Des cicatrices avaient marqué sa peau et des brûlures ponctuaient ses bras nus. Elle m'observa sans jugement pour finalement porter son regard à son maître, en lui tendant une épée magnifique – Je me souviens à présent que pendant tout le trajet mon protecteur cheminait à fourreau démuni.
Monseigneur Deville regarda sa lame, plongea ses yeux dans ceux de sa seconde, et opéra un petit signe de tête en me désignant. Alors sous un soleil au paroxysme de son règne, on me tendit l'arme du plus noble des hommes ayant jamais croisé ma route, que j'attrapai en m'inclinant, avant de la lui tendre à mon tour. »
« Tu vois, Adiscar, l'une des tâches fondamentales qu'incombe à un homme de mon rang est avant tout de rendre justice. L'empereur ne m'a pas uniquement choisi pour mes compétences de guerrier, mais aussi pour mon discernement. Une épée, dans l'imaginaire collectif, est porteuse de mort. Mais en vérité c'est davantage un symbole, une métaphore. Comprends-tu ces choses là ?
Je lui répondis que oui en bégayant, troublé par l'intensité de l'instant mais aussi par mes dispositions naturelles.
Dans certaines situations, après avoir étudié les positions de deux partis, il est nécessaire de trancher le vrai du faux, et de lever le voile sur une impasse. Un chevalier se doit d'être le juge, le père, le bras et le cœur de toute une nation. Il se doit de rester fort quand d'autres faiblissent, et de porter la lumière où les ténèbres s'immiscent.
Je le regardais de nouveau en buvant chacune de ses paroles, même si certains mots dont il usait n'avais pas de sens pour moi à cette époque. Je les gardais dans un coin de ma mémoire, pour un jour en découvrir le sens véritable. Toutefois je comprenais le fond de son message, et de l'admiration que je lui portais tantôt, c'était à présent une adoration totale que je ressentais envers lui.
Cette épée est mon symbole. Elle se nomme Fhìrinn'lenn, comme le cheval est mon blason. Le bleu de sa peau symbolise la noblesse, les valeurs les plus hautes auxquelles je suis assermenté. Le fond d'argent pour son compte symbolise la clairvoyance et, comme je te le disais, le discernement. »
Après qu'il m'a éclairé sur toutes ces notions, le général reprit son épée qu'il replaça dans son fourreau, d'un geste élégant et d'un regard impartial. De nouveau il me tendit sa main et ensemble nous cheminâmes vers la dernière partie de notre voyage : le palais de l'empereur.
C'est tout d'abord un jardin d'un raffinement remarquable qui combla ma vue. Des arbres aux fruits généreux ponctuaient symétriquement une haie impeccablement entretenue. Puis à mesure que l'entrée se dessinait dans la distance, je remarquais des arbres taillés à l'image des divins, d'autres en l'honneur de faits d'armes, puis en dernier lieu, une sculpture symbolisant un monde uni, une sphère engloutie par les eaux, exception faite de quelques tâches de terre, en relief.
Juste avant de frapper à la porte, Monseigneur Deville plia genou devant moi, pour se mettre à ma taille, et me fixa droit au font des yeux :
« Tu t'apprêtes à saluer la clé de voûte de notre empire, Adiscar. C'est un privilège immense, considération faite de ton jeune âge. Pour toi les choses vont bientôt changer, alors sois-en digne, et ne t'adresse à l'empereur que s'il te le demande. Sois humble, et imite-moi dans mes mouvements. Fais juste une révérence quand tu arriveras face à lui, et tout se passera bien.
Me dit-il en m'adressant un petit clin d'œil.
Enfin la porte s'ouvrit, et nous pénétrâmes dans l'atrium. De nouveau je fus subjugué par la beauté des lieux, et un peu désarçonné aussi, quand je pensais à quel point la vie était ardue hors de ces murs. Un couloir, puis un autre, un escalier, une porte, une salle inconnue ; la salle du trône.
Ce qui me frappa en premier lieu fut l'absence de mobilier dans cette pièce immense. Un simple murmure était à ce point amplifié qu'on aurait pu entendre le moindre battement de cil et déterminer sa provenance exacte sans mal. Des légions de fenêtres guidaient pourtant une partie de la lumière au centre de la salle, quand l'autre venait illuminer une tapisserie brodée contre un mur, derrière le trône de son altesse. Nous n'étions que deux face à cet homme de rang suprême.
Mon bienfaiteur tira sa révérence – et je rougis encore de honte quand je repense à la première impression que j'ai pu faire à l'empereur – et je murmurais encore sans relâche : "révérence et tout se passera bien, révérence et tout se passera bien..."
Mais je fus interrompu à la fois par un regard en arrière, souriant toutefois, de mon seigneur et maître, mais aussi par l'intervention puissante de sa majesté :
« Crois-tu donc que je sois un monstre, sans cœur ni satiété, pour répéter ainsi que tout va bien se passer ?
Me lança le dirigeant, sur un ton amusé. Je ne répondis qu'en bégayant, écarlate.
Maître Deville, peut-être allez-vous m'expliquer la description que vous avez faite de moi à cet enfant mortifié ?
_ Mon empereur, rassurez-vous... Je n'ai pas eu de qualificatifs trop durs à votre encontre. Je vous présente mon nouveau palefrenier, et aussi mes excuses, pour son manque d'expérience.
_ Un nouveau palefrenier ? Vous ? Le héros solitaire ? Vous me surprenez général, mais soit, je comprends et je respecte votre décision. Pensez-vous qu'il sera à la hauteur de vos attentes ?
_ J'en suis convaincu, répondit-il en délaissant le sol pour remonter son regard au niveau de celui de son maître.
_ Vous pouvez tout deux vous relever. Quelles sont les nouvelles des campagnes, général ?
_ Les petites gens souffrent des distentions entre la grande et la petite noblesse. Le coût de la vie augmente tellement qu'un simple sac de farine représente une denrée inestimable. Les familles se déchirent, les conflits éclatent un peu partout sur l'île et il me devient difficile d'être juste, tant les circonstances sont chaotiques. Bientôt les dynasties elles-mêmes menaceront de s'effondrer. Mon empereur je vous le dis sincèrement, si nous perdons les faveurs du peuple, nous nous dirigerons invariablement vers la plus grande guerre civile de notre temps.
_ Mais que peut-on faire de plus ? Nous avons déjà diminué les taxes plus que de raison, j'ai ouvert mont territoire de chasse à la population, nous n'allons pas vendre notre patrimoine aux autres territoires !
_ L'embargo sur les exportations fait un tort colossal mon empereur. La petite noblesse se paint de la diminution de ses privilèges, et la grande commence à gronder quand on murmure que son tour viendra. Il vous faudrait négocier avec l'extérieur, sans quoi nous étoufferons de l'intérieur.
_ Et bien soit, s'il doit en être ainsi je prendrai la mer prochainement, et j'irai désenvenimer la situation avec les territoires hostiles. Vous pouvez disposer, vous et l'enfant. Je vous remercie infiniment. »
Nous quittâmes le palais et je perçus dans les yeux de mon mentor un soupçon d'amertume, chose que je ne lui connaissais pas. Il ne me tenait plus par la main, plongé dans ses pensées, mais au bout d'un moment, alors que je me repassais la conversation pour en saisir tout le sens, je me mis à lui tirer sur la cape avec insistance :
« Qu'y a-t-il Adiscar ?
_ Embargo ? Bredouillais-je.
_ C'est un mot compliqué qui veut dire quelque chose de simple. Un embargo c'est une punition. Ce qui fait notre force partout dans l'archipel, ce sont les échanges que l'on fait avec les autres territoires et les îles. Notre punition ici, c'est que plus personne n'achète de nos produits. Nous ne gagnons plus d'argent, et nous devons alors trouver d'autres moyens d'en gagner.
_ Je... comprends... articulais-je alors, perplexe.
_ Qui a-t-il ? Profite que je ne t'ai pas encore rendu à tes parents pour poser toutes les questions que tu souhaites, car d'ici quelques petites heures, tu seras de retour chez toi, et la leçon du jour prendra fin.
_ Imp... Impor... Imperato...
_ Les Imperatoris ? C'est un mot de langue ancienne qui veut dire "de l'empereur". Nous sommes les plus fidèles de ses soldats, ses possessions en quelques sortes, bien qu'il ne m'ait jamais considéré comme cela, ou du moins moi je ne l'ai jamais ressenti comme ceci. »
J'entendais à présent les eaux s'écrouler avec virulence entre les roches que j'imaginais déjà, et quelques minutes après, j'apercevais les rotations rapides du moulin. Un soleil au déclin me saluait, tout comme Monseigneur Deville, qui après avoir échangé quelques mots avec ma famille, m'adressa un clin d'œil, puis une révérence, avant de me dire qu'il me reverrait demain.
Je me précipitai alors vers ma mère et mon père, les prenant dans mes bras, la joie dans les yeux et le frisson de la fierté dans la peau. Je dois bien avouer que le repas du soir fut bien plus onéreux que celui du midi, et je gage que mon mentor n'y fut point étranger, mais je m'égare. Alors que tout le monde était rassemblé devant moi, je fus pris de l'envie folle de leur raconter ma journée. Je m'éclaircis la gorge en premier lieu, après avoir porté à ma bouche un peu d'eau, et je commençai mon histoire :
« J'ai... appr... j'ai appris la noblesse. Lançai-je abruptement. J'ai vu l'empereur, et il m'a salué. Nous avons – et je vous promets alors avoir décelé de la surprise dans les yeux de mes proches, car à mesure de ma narration, les bégaiements s'estompaient de plus en plus – nous avons discuté des affaires.
_ Des affaires ?
Demanda ma mère.
_ Des affaires du pays. Je sais... ce qu'être un chevalier. Je suis main... maintenant palefrenier de Monseigneur Deville. Il m'a montré comment monter à ch... cheval et aussi sa garde.
_ Les Imperatoris ? Tu as vu les Imperatoris ?
_ Ils m'ont salué aussi, et reconnu comme palefrenier.
_ C'est impossible fils, personne n'a le droit d'entrer dans le palais de l'empereur, pas sans rendez-vous. Et cette garde est la plus proche de l'empereur. Tout ça voudrait dire qu'il a énormément confiance en toi...
_ Et pourquoi pas ? Ajouta ma soeur. Adiscar n'est pas malin, mais il est honnête ! »
Cette phrase, anodine, sans réelle conséquence, elle a vibré en moi si fort qu'elle a bien failli saper tous fondements de mon éducation auprès de Deville. Mais ce soir là je l'ai encaissée avec un petit sourire, contenant toutes les larmes de mon cœur, quand le frisson d'alors avait déserté mon corps, en même temps que ma fierté.
C'est étrange, comme les gens peuvent parfois penser faire le bien en opérant par son contraire. Je ne sais pas si ma sœur, à un moment ou à un autre de son existence, aurait pu apprendre à se montrer moins brutale – mais ceci n'aurait bientôt plus aucune importance.