CHARCLO

Sylvie Benguigui


 Il n'est point de nouvelles qui ne puisse s'annoncer

Un homme est mort ce soir, faites-vous à cette idée

Mais repartez tranquilles, allez, tous, bien au chaud

Et que chacun remette les pieds dans ses sabots.


Demain il fera beau, demain sonnera le glas

De cette nuit si froide que tout le monde oubliera

Et puis chacun pour soi le monde se lèvera

Et tout, dans chaque vie, reprendra ses pleins droits


Ne le dites pas trop fort, c'était un temps de chien

Que cette nuit d'hiver où personne ne fit rien

On va tous oublier et notre conscience avec

Que ce pauvre Charclo n'avait plus d'allumettes


Se dire qu'un feu de bois l'aurait gardé en vie

Aurait dû se glisser au-dessus de nos soucis.

Mais on n'avait pas l'temps, pas le goût, pas l'envie

Juste un petit désir : dormir dans notre lit.


C'était bien légitime, me direz-vous, quand même

Mais tout est légitime en ce Monde, même cette scène

Mais que cela nous touche ou touche nos enfants

Et nous prenons le Monde à témoin de ce sang


Le monde est égoïste, on ne va pas le refaire

Un temps de guerre serait pire mais c'est déjà la guerre

Celle des prix, des idées, des cartels, des étoiles

Et puis des mondes aussi, tout ça en fond de toile


Mais la pire, c'est les prix parce que là est le piège

Qui fait fondre nos sous comme neige au soleil

On achète, on achète, on n'en as pas besoin

Et c'est comme ça qu'un jour on se retrouve au coin


De la rue, de la poste, du bureau de tabac

A craquer l'allumette avec nos petits doigts

Zut ! c'était la dernière et dehors il fait froid

Et dire que je ne peux pas me mettre sous un toit


Tout le monde a bien vu Charclo au coin de la rue

Mais « on » a préféré le laisser dans son jus

Parce que « on » c'est un con et qu'il n'y a pas plus con

Que de ne pas croire au piège de la consommation.


Et sur les lacs gelés de ses paumes glacées

Se dessinent des craquelures prêtes à se fendiller

Charclo est mort ce soir, adieu donc à la vie

Et dire qu'un feu de bois l'aurait gardé en vie !


© Sylvie Benguigui texte

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