Chère Inès...

Eclat De Nuire

Le Jeudi 29 Avril 2010

Chère Inès,

Je ne sais pourquoi, mais j'ai une furieuse et dangereuse envie d'écrire ses mots en signe d'ouverture: "Je ne sais si c'est une affaire de poids." Ce sont les premiers après de longues semaines d'abstinence littéraire, à chercher dans mon esprit la force d'écrire en étant heureux. HEUREUX. Un grand mot qui n'existe pas. Un grand mot qui depuis son invention fait fantasmer des générations entières de gens insatisfaits. Des kilos de pilules blanches à sourire. A dormir. A oublier. A rêver... Non: INTERDIT.

J'ai trouvé dans mon piteux état sur voix de guérison, au travers la dangereuse transparence d'une pensée plus claire, d'un raisonnement direct et injuste, le bon droit de voler au dessus de toutes leurs interdictions, leurs lois pré-écrites par la main du grand seigneur Dieu de parchemin, le divin illuminé qui a un jour trouvé dans son cœur la cruauté ou l'humour nécessaire pour rédiger la Bible. Avait-il seulement un cœur, ce moraliste insipide, pour condamner tout ce qu'il n'était pas? Avait-il seulement une plume, pour écrire cette chose obscure et molle, hachée, informe, numérotée comme un théorème, et que d'obscurs crétins osent appeler "Poésie". La nullité de forme de ce torchon n'illustre que la pauvre et haineuse richesse du fond. Un tissus d'une morale dévastatrice, et pour cause: c'est le rôle de la morale de servir l'indéfendable et de présenter comme juste et fondamentale une loi qui relève de l'imposture.

Pour proclamer quelle liberté obéir aux autres?


Aux autres...

Servir. Voilà un mot que j'exècre. En cette époque d'Union et de déraison, l'individu n'est plus rien. De l'extrémisme individualiste, nous sommes passé dans un temps où l'on se doit de servir ce que l'on ne défend pas. C'est normal, dit-on, en somme, disent-ils, pour vivre en société. Mais est-ce humain? Je crois malheureusement, et contre l'avis général, que nous ne sommes pas fait pour vivre tous ENSEMBLE...

Ils nous font croire qu'il est possible d'être fasciste, qu'on en a le droit. Non. Nous ne pouvons pas. Ces gens sont une aberration, un tel état d'esprit et de négation de l'autre n'est pas possible, ne peut exister dans ce monde où l'on ne cesse de fantasmer un "monde meilleur" qui n'existera jamais que dans nos rêves. Et que l'on ne s'y trompe pas: les fascistes ne prônent pas l'individualisme, comme on le dit trop souvent, mais l'exact contraire, la négation de cette notion d'individualité et de choix, prônant le pouvoir d'un petit groupe de penseurs sur une foule d'êtres identiques, des moutons, en bref: La masse sordide et pleine d'ignorance qui, arrivé à ce stade d'obéissance et de servitude, n'est plus digne d'être appelé "PEUPLE"

Alors où allons-nous... Pouvons-nous seulement convoquer le dur pouvoir de l'interrogation. Pouvons-nous. Pouvons-nous... Il n'y a plus dans nos questions, et depuis trop longtemps, ce ton enlevé en fin de phrase, presque dansant, qui impliquait aussitôt l'attente - peut-être insatisfaite - d'une simple réponse. Aujourd'hui les questions n'existent plus : pire, on s'en étonne quand, au hasard d'une archive on entend la voix d'un journaliste finir sa phrase sur le haut de sa voix, et attendre. Attendre la réponse. Nous n'attendons plus rien. Nous savons qu'il n'y a pas de réponse. Pas de réponse digne d'être écoutée. Pas de réponse. Parce qu'ils ont décidé qu'attendre était un supplice, que le temps étant de l'argent, l'attente... Plus de question. Trop long. Pas assez rentable.

Servir. Trop longtemps servir cette cause immonde du gagne-temps. A quoi bon vivre vite, et pour quel résultat. Sur son lit, Inès, on s'aperçoit qu'à trop courir on a manqué la moitié de chaque chose vécue... au nom du gagne-temps. Alors vivons lentement, c'est moins fatiguant, et décidément plus entier. Servir la cause des autres qui ne vivent pas plus vite, mais plus fort. Ceux-là sont nos cibles. Ceux qui gagnent leurs lois à la loterie du vote, ceux qui font de chaque ville une tranquille bergerie où sont tondus en silence les moutons de leur fascisme démocratique. Faut-il aussi saigner les moutons? OUI. Les réveiller de leur sommeil à grands coups de hache. Les surprendre avec joie et colère dans le lit trop tranquille de leurs certitudes. Frapper leurs esprits avec violence et irrespect, chercher l'enfer pour tous et faire taire la TRANQUILLITÉ. Saigner les habitudes. Égorger sans pitié les principes de morale et de pouvoir. Le seul pouvoir ne doit être que celui de l'Art et des mots. Car ainsi le monde avance. Ouvrir sur l'impossible les portes de ce jardin pourri où l'on stagne avec plaisir parce que la moisissure y est douce et confortable.

Allons-nous décapiter cette ombre?

Je me pose des questions. Bon nombre d'entre-elles questionnent la société, et le reste me questionnent moi-même. Toutes sont sans réponse franche parce qu'à chaque demande il y a plusieurs possibles solutions. Or, l'écrivain que j'ose prétendre être n'est pas une machine à choisir, mais à questionner. C'est ma seule et unique rupture avec le monde, mais elle remet tout en cause.

Et au fond, qui sommes-nous... Des simples fantômes, des pages d'écritures bien rédigées, parfaites? Non. Nous sommes des monstres. De vrais monstres comme on savait en faire autrefois. Nous sommes les plus purs produits de ce monde décadent, les énièmes échecs de leur morale insipide.

Quelque chose d'étrange s'est produit la semaine dernière, et je ne cesse d'y penser. A dire vrai, cela m'obsède. Cela m'agace tout autant. Mais qu'y puis-je... Seulement rien. Salement rien. C'est tout. J'ai allumé la télévision pendant une minute, peut-être moins. Oui, mois d'une minute. Quelques secondes. Ce fut un moment bref et bizarre. Sur l'écran est apparu l'image tremblante du visage ridée d'une vieille femme. Elle avait certainement plus de quatre-vingt-cinq ans. Les cheveux d'un blanc immaculé en désordre sur sa tête, deux boucles d'oreilles d'un goût incertain, et un peu de rouge à lèvre, venant contrevoir de son poids rouge le bleu-gris outrageux du far à paupières. Elle a ouvert la bouche en regardant dans le vide droit devant elle, ou peut-être me regardait-elle droit dans les yeux, pour dire ces mots dont je doute maintenant de l'exactitude. Ais-je rêvé. A-t-elle dit cela:

"Quant au mauvais vieux temps..."

J'ai éteint. Mais je ne voix plus que son visage la nuit, elle est toujours là, muette, cette phrase flottant dans ses yeux vides de décision, ses airs de prêcheuse d'outre tombe et ces putains de mots qui me reviennent au visage. Toujours présente, obsédante. Terrifiante. Un écho.

Ma chère Inès. Je t'invite là. Ici. A cette page achever, ajouter une marque. Écrire, parfaire, sans doute, ce parfum trop fort, cette lumière trop vive, ce jeu trop usé.

Je vous laisse par votre plume le soin de me faire exister.

Bien à vous,

Oskar Cyrus

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