Christmas Carole (2/6)

Olivier Verdy

Une petite fille profite des festivités de Noël en cherchant un cadeau pour son frère. Elle se montre naturellement gentille, ce qui, en cette période pourrait s'avérer magique.

Surprise devant son feu, la petite sursaute et revient à cette réalité très, voir trop rapidement ; la dame aux mandarines l'observe. Elle est plantée devant elle. Sans sac cette fois, mais toujours avec son accoutrement particulier.


— Tu ne veux pas me dire comment tu t'appelles ?


La petite serre ses poings puis relève ses deux index et ses deux pouces. Ces derniers sont ensuite mis en contact.


— Tu ne sais pas parler ? C'est ton prénom ça ? On dirait un « C » ? C'est ça ? Un « C » ?


La petite ouvre alors ses mains et colle le bout de ses doigts pour faire comme un triangle.


— Un « H » ? Charlotte ? Chimène ?

— ...

— Un « A » ? C'est un A ? Camille ? Carla ? Ah ! tu veux un câlin ? Ma pauvre petite. Je tenais à te remercier pour ce que tu as fait tout à l'heure. M'aider à ramasser mes mandarines. Tiens je t'en ai amené une. Elle est pour toi. Où est ta maman ? Tu n'es pas toute seule quand même ?


Un non de la tête suffit à clore la conversation et la dame serre la fillette dans ses bras quelques instants.


— Je ne peux pas rester plus longtemps avec toi. Je suis déjà en retard. Je te souhaite un joyeux Noël jeune fille.


Les deux femmes échangent alors un regard rempli de tendresse, les mains serrées. Elles se séparent ensuite et quelques instants plus tard, «Ca» est de nouveau seule sur son banc, plus riche d'une mandarine qu'elle met précieusement dans sa poche avant de se lever. Il est l'heure de rentrer.


Évitant les rues trop fréquentées et en même temps celles un peu trop sombres, «Ca» marche lentement en direction de chez elle. Regarder les façades, les décorations de Noël, les devantures aménagées et remplies de cadeaux a toujours émerveillé la petite fille. Elle se rappelle ces années où elle arpentait la ville serrant tantôt la main de son papa tantôt celle de sa maman ; ils partaient tous les trois puis les quatre après la naissance du petit Charles et se promenaient dans les rues animées, son papa lui montrant les vitrines où des trains électriques faisaient la course avec des voitures de sport le tout arbitré par une poupée mécanique. Ses parents les emmenaient eux aussi à la fête foraine où elle pouvait alors faire deux ou trois tours de manège, essayer d'attraper le pompon et rire à gorge déployée à chaque fois que son cheval passait devant sa famille. Pour se réchauffer, ils avaient droit à leur chocolat chantilly, ou parfois aux marrons chauds. Les petites mains de «Ca» n'arrivant pas à les casser, c'était souvent un de ses parents qui les ouvraient pour qu'elle puisse croquer dedans à pleines dents. Et cette sensation de presque se brûler avant le petit goût en bouche lui reste, à ce jour, comme un de ces meilleurs souvenirs. Ils rentraient ensuite en faisant de longs détours pour admirer un parc décoré, regarder les gens à la patinoire ou simplement remonter la grande rue là où les décorations se succèdent un peu comme si on avançait en direction du paradis. Même Charles semblait apprécier ce spectacle, presque assis dans sa poussette les yeux grands comme des agates et la bouche à demi ouverte.

Et malgré la fin de ces promenades annuelles, «Ca» continue de s'extasier devant ce déchaînement de lumières et d'animation en tout genre. Devant une boutique de tissus, boutons, et autres laines, «Ca» étudie la mise en œuvre des objets, les pelotes marron sont disposées en tas, on dirait des bûches, un sapin a été monté à l'aide de tissu vert et brun, des bobines de fil font office de boules et du tulle de différentes couleurs garnit les guirlandes. Le feu laine orange et jaune est posé sur des boutons cendre. On devine dans le conduit en papier crépon un bonhomme rouge et blanc dont le bonnet orné d'un pompon dépasse. On l'imagine presque se brûler les fesses. «Ca» en sourit. Un dernier tour de vitrine plus tard, la petite se remet en chemin tournant dans une artère un peu plus calme. Elle marche sur le trottoir, séparé de la chaussée par une ligne continue de véhicules garés les uns à la suite des autres. Les seuls passages sont les porches d'entrées quand ceux-ci ne sont pas obstrués soit par un deux roues très serré soit par des conteneurs à ordures déjà dehors à cette heure. Pour traverser, il faut trouver un passage pour piéton à peu près accessible ou se faufiler entre deux  voitures.


—Oh putain les cons ; comment vais-je sortir moi de cette place ?


Un homme, la quarantaine plus bedonnante que rugissante, tente de faire le tour de sa voiture. Il regarde devant et le peu de place entre son pare-chocs et celui du véhicule qui le précède. Il se rend derrière pour constater qu'une barrière sur laquelle sont appuyées les poubelles l'empêchera aussi de reculer. Il se place côté rue et étudie la longue file d'un air désespéré ; Il se poste ensuite côté trottoir : le résultat n'est pas meilleur. Sa voiture est là, coincée. Une jolie citadine grise et anonyme parquée dans une rue qui s'assombrit avec la nuit, se prépare à passer sa soirée sans pouvoir sortir. L'homme semble désemparé. Pousser sa voiture depuis le trottoir ? Cette réflexion le fait sourire, car même s'il se sent fort, il sait qu'il n'a pas suffisamment de puissance pour pousser la petite quatre chevaux dans ce sens. Jouer aux touchettes ? Après tout les autres sont venus se coller et il n'a rien demandé. Lui est rentré ce matin après une longue nuit de travail et il y avait de la place. Et il n'a gêné personne ni forcé le passage pour se garer. Il le savait. Il aurait dû être plus vigilant quand il a loué ce logement. Il savait au fond de lui-même qu'un appartement sans place de parking en pleine agglomération, cela peut être tendu. Mais voilà, le logement était agréable, bien situé, en centre-ville. On a les inconvénients de ses avantages. Et vice versa. Cela ne résout pas son problème de voiture. S'appuyer sur le pare-chocs de devant, taper dans la barrière, cela demanderait une bonne dizaine de manœuvres. Et même avec ça, l'utilitaire devant est près, vraiment trop près. Où est l'arrêt de bus le plus proche ? Cinq bonnes minutes de marche plus le temps de trouver un bus qui va dans le bon sens égal un retard conséquent au travail ; appeler un collègue ? Peut-être que quelqu'un peut venir le chercher ou le récupérer ? En tout cas, il faudrait qu'il prévienne son responsable.


— Mais qu'est-ce qu'ils sont cons ici ! Ce n'est pas possible qu'ils ne se rendent pas compte de qu'ils font ; ça me saoule.


«Ca» s'est arrêtée et regarde cet homme étrange qui tourne autour de sa voiture en jurant. Elle se demande s'il en est le propriétaire, s'il crie parce qu'elle est abîmée ou s'il la trouve juste jolie. Après quelques instants à observer le chauffeur potentiel, elle comprend qu'il est coincé. L'homme a d'ailleurs entrouvert sa portière et posé une pochette sur le siège. Il est debout à côté, regardant à droite, à gauche. Perdu.


«Ca» s'approche de la voiture et observe à son tour, à la recherche d'une solution. L'homme l'a à peine remarqué. Il semble avoir opté pour la solution ultime : tenter le forcer le passage quitte à abîmer son quatre roues et tout ce qui va autour. Il s'assoit et tente de démarrer son véhicule.

Comprenant ce qu'il veut faire, «Ca» se précipite vers l'arrière et commence à pousser les poubelles, à déplacer toutes celles qui pourraient entraver le recul. L'homme a commencé des manœuvres : avancer, tourner le volant, reculer, tourner le volant, etc.

La petite fille dégage aussi vite qu'elle peut le tour de la barrière de façon à libérer le plus d'espace possible. En même temps, elle prend soin de ne pas obstruer le passage derrière une entrée d'immeuble. Le gain est faible. Quelques centimètres seulement.

La solution est peut-être devant.


Alors que le chauffeur continue ses mouvements, il semble avoir retrouvé un peu de calme et de maîtrise même si ces efforts sont actuellement insignifiants. Il a à peine réussi à faire bouger sa voiture. «Ca» regarde l'utilitaire qui avance un peu à chaque choc avant de reprendre sa place quand la citadine recule. La petite fille se rend compte qu'un autre véhicule devant ralentit la progression. Elle tente de pousser cette voiture, mais celle-ci revient à sa position dès qu'elle arrête de pousser. Une idée lui vient à l'esprit et «Ca» se précipite dans les poubelles à la recherche d'un objet qui pourrait, qui devrait, peut-être, l'aider.

Fouillant une première puis une seconde benne elle trouve enfin de ce qu'elle cherche et, contente d'elle, revient vers la file de voitures. L'homme l'a vue sans plus lui prêter attention, tout concentré qu'il est sur ses coups de volants et de jeux de pédales. «Ca» attend que l'homme avance, que sa voiture pousse celle devant qui, par effet domino, décale celle la précédant. Quand il s'apprête à reculer, la fillette coince un paquet de détritus solides derrière la roue du véhicule l'empêchant de revenir à sa position initiale. Elle se précipite ensuite vers l'utilitaire et fait de même : elle vient de libérer quelques centimètres. L'homme la regarde et recommence sa manœuvre ; avancer en poussant le plus loin possible. Au moment de reculer, «Ca» déplace ses deux cales l'une après l'autre. Encore quelques centimètres de gagnés et le chauffeur commence à entrevoir une issue potentiellement positive. Il engage son véhicule une nouvelle fois et après le positionnement de «Ca», sa voiture peut presque sortir entièrement : le coin de son pare-chocs frotte encore contre celui de devant. Sa tentative pour avancer fait cette fois chou blanc. Les véhicules semblent bloqués et ne bougent plus. Il recommence en tentant de se dégager le plus possible, l'écart est infime. Il s'appuie contre la barrière et son pare-chocs arrière se déforme un peu. Il tourne son volant le plus possible, accélère doucement. Alors qu'il s'approche de l'utilitaire, «Ca» se jette tout contre et tente avec toute la force de ses neuf ans de le pousser. Elle finit même par monter sur le pare-chocs arrière.

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