Christmas Carole (3/6)

Olivier Verdy

Une petite fille profite des festivités de Noël en cherchant un cadeau pour son frère. Elle se montre naturellement gentille, ce qui, en cette période pourrait s'avérer magique.

Elle n'a certes pas un gros poids, mais le mouvement est suffisant pour que les deux voitures puissent se séparer après s'être longuement frottées.


L'homme regarde «Ca» et lève son pouce en remerciement puis accélère. Il ne faudrait pas qu'il soit en retard au travail. «Ca» regarde les feux arrière s'éloigner puis disparaître au premier croisement. Le calme revient dans la rue. Un trou remplace la citadine partie. La place semble tellement petite qu'on n'imaginait pas y garer une voiture. Les mains de «Ca» sont sales et elle les frotte un peu. Pas de mouchoir ni de torchon à portée de main. Elle remonte sur le trottoir et regarde la rue qui remet son costume de début de soirée. Il est temps de se reprendre sa route.


«Ca» cherche à éviter les boulevards, car ils ne sont en général que remplis de voitures bruyantes et proposent peu de vitrines. D'un autre côté, elle doit aussi ne pas trop s'aventurer vers le quartier de la rivière. Et d'un troisième côté, elle a néanmoins envie de profiter et d'admirer les illuminations tout en rentrant chez elle. La fillette est partagée entre le désir de rentrer au plus vite pour cette soirée spéciale et celui de profiter des instants où justement elle est excitée par ce qui va arriver ; ce soir, c'est l'anniversaire de son petit frère. Cinq ans. Il va devenir un grand.

Des cris d'enfants devant des lumières clignotantes attirent «Ca» qui, d'un pas alerte, se rapproche afin de voir ce qui provoque la joie des petits. . Arrivant devant la boutique, elle n'est pas déçue par le spectacle. Ici toute la magie de Noël est portée par une thématique transport : Des avions chargés de cadeaux tournoient dans le ciel. On aperçoit même des vaisseaux spatiaux dans un angle. Mélanges de générations et d'époques, des Spitfire croisent des Concorde ou un chariot de père Noël. Tous semblent cependant concentrés sur une mission essentielle : délivrer des colis.


Plus au niveau du sol, le côté droit est dédié aux activités nautiques : des bateaux, des portes-containers, des hors-bord ou des péniches dansent un ballet sans fin dont la destination est le minuscule port où ils peuvent décharger leurs précieuses cargaisons. Quelques animaux marins tels que des dauphins agrémentent un océan bleu clair et si calme qu'un marin du Vendée Globe s'y ennuierait. Une fois sur la terre ferme, les tonnes de cadeaux sont acheminées par de grandes routes sur lesquelles roulent divers camions, semi-remorques, voire engins de travaux publics ou transporteurs d'essence. Sans oublier que différentes voitures partagent ce réseau en toute bienveillance et que le cheval italien ou le félin anglais restent sagement dans leur file tout comme les célébrités Citroën d'une autre époque. Ici encore, un enchevêtrement routier impressionnant permet de circuler entre les différents villages qui agrémentent le paysage. Et le décor ne saurait être complet si un réseau ferré ne venait pas le mettre en mouvement. Des poignées de gares sont reliées par des rails qui se croisent, traversent des tunnels, prennent des aiguillages ou font clignoter des passages à niveau. Plusieurs trains transportant des marchandises ou des passagers circulent à vive allure et sans retard dans tout le paysage rendant celui-ci encore plus vivant. Le jeu de lumière est en phase avec la scène : plus sombre dans le haut du ciel, plus bleu vers la mer et plus vert sur la terre. Un ton plus clair met en relief les montagnes enneigées du second plan. L'intensité augmente au fur et à mesure que le jour se lève puis décroît jusqu'à la nuit. Les villages allument leurs décorations pour la nuit, les bateaux et trains, leurs phares. Puis au petit jour, tout s'éteint de nouveau et un soleil rassurant se lève de nouveau.

Les enfants sont sous le charme, les parents aussi, mais ils le montrent moins. Les petits pourraient rester des jours dans l'espace-temps boutique à regarder la vie défiler.

«Ca» est aussi émerveillée par le spectacle. Elle a réussi à se glisser sur un côté et contemple de manière presque méthodique ce qui se passe pour chaque saynète quand la journée avance. Est-ce que les dauphins dorment la nuit ? Est-ce que les bateaux ne bougent vraiment pas ? Est-ce que les lumières du village sur la montagne s'allument en même temps que celles de l'aéroport ?

Et puis, ce monde du transport et du voyage apporte un voile de tristesse dans les yeux de «Ca». Cela lui rappelle des souvenirs, à la fois lointains et proches, et en même temps si douloureux. Ceux de son papa.


 «Ca» se rappelle qu'il était là pour ses sept ans, mais que ça fait deux Noëls qu'il n'est pas avec elle. Cela doit faire environ deux ans que c'est difficile pour la petite fille. Il a disparu. Il est parti. Et dans sa tête de neuf ans, tout se bouscule, car elle ne sait pas où ni s'il reviendrait. Et les grands lui racontent des choses différentes quand ils veulent bien lui donner une quelconque explication. Ce qu'elle entend le plus souvent, c'est qu'on lui dira tout quand elle sera grande, mais que pour elle, il lui suffit de savoir qu'il est parti loin. Alors «Ca» a récupéré ce qu'elle entendait à droite ou à gauche quand son oreille traîne vers le coin cuisine ou chez sa mamie quand les grands parlent sérieusement à la fin des repas. Et avec toutes ces informations, elle s'est créé sa propre version. Et plus le temps passe, plus elle se dit que son histoire est vraie.

C'était le temps où papa et maman se disputaient souvent. «Ca» croit savoir qu'en fait, papa en voulait encore un. Mais maman disait qu'ils n'avaient pas les moyens. Papa argumentait qu'il comprenait, mais qu'il ne fallait pas se priver et qu'un jour, peut-être, ils feraient le tour du monde. Maman répondait qu'ils pouvaient à peine mettre de l'essence pour partir en week-end. Et puis, ils arrêtaient de se disputer. Mais «Ca» avait compris que papa voulait les emmener en voyage. La fillette avait aussi entendu que papa ne travaillait pas tout le temps et que cela semblait être un problème. Après, elle ne travaille pas non plus tous les jours. C'est trop dur : il faut des moments pour se reposer et jouer. Mais maman et papa disaient que c'était dur de ne pas travailler et papa a répété que s'il partait alors alors il pourrait le faire plus. Et «Ca» n'avait pas compris pourquoi il partirait ailleurs alors qu'il pouvait rester avec Charles et elle ici. Papa parlait aussi souvent qu'il aimait bien travailler avec les avions. Mais pas trop souvent. Il volait juste un peu pour les enfants. Mais «Ca» ne l'avait jamais vu alors elle se demandait bien pourquoi il disait ça.


Un matin, «Ca» était prête pour partir à l'école, maman s'occupait de Charles et papa prenait son café. Un jour normal. Elle avait embrassé papa, puis était allée dans la voiture. Charles et maman étaient arrivés et ils étaient partis. Pendant la journée, «Ca» avait appris que la terre est ronde et qu'on peut faire tout le tour et revenir au point de départ, mais que ça ne prend pas le même temps suivant le moyen de transport. À la fin de l'école, maman n'était pas venue. «Ca» était allée rejoindre Charles, car leurs deux écoles étaient collées. Ils avaient attendu. La maîtresse avait réussi par téléphoner à des gens. Et puis, mamie était arrivée, les yeux un peu rougis, fatiguée, hagarde et désemparée. Elle avait récupéré les enfants puis les avait ramenés chez eux. Pas un mot ou presque aux questions des petits. « Et pourquoi c'est toi mamie qui vient nous chercher ? Et où est maman » ? Charles était surtout triste de ne pas avoir son goûter alors que «Ca» sentait que quelque chose clochait.

Arrivés à la maison, mamie leur avait donné un goûter, et avait tenté de jouer avec eux, leur disant que maman serait bientôt rentrée et qu'elle leur expliquerait pourquoi elle était en retard. Au moment de dîner, il faisait nuit et maman était revenue. Ça se voyait qu'elle avait beaucoup pleuré. Elle avait pris «Ca» et Charles dans ses bras dès son arrivée puis les avait ramenés au salon. Elle les avait fait asseoir et leur avait dit que papa était parti pour un long voyage et qu'elle ne sait pas quand il reviendrait. En tout cas, pas maintenant. Voyant que cela rendait triste leur maman, les enfants avaient aussi pleuré et «Ca» avait voulu savoir où il était parti, s'il serait là pour Noël ou s'il avait bien pris des affaires chaudes, car l'hiver arrivait. Aucune réponse précise ne lui fut donnée. Elle comprendrait quand elle serait plus grande.


Ils allaient devoir se débrouiller tous les trois, enfin les quatre, car mamie serait là aussi. Le lendemain, ils étaient allés à l'école comme d'habitude et puis les jours suivants aussi. Charles demandait parfois où était papa et s'il allait rentrer bientôt. «Ca», un peu plus sage, était néanmoins curieuse et devant les réponses évasives de sa mère et de sa grand-mère, se construisait sa propre vérité : Papa était parti faire le tour du monde en avion sauf qu'il ne reviendrait pas tout de suite. Elle regardait les lettres reçues qui n'étaient plus adressées à monsieur ou madame, mais seulement à sa mère. Ils avaient changé de maison et papa n'aurait aucune chance de les retrouver même si elle avait laissé un dessin de son nouveau logement dans la boite aux lettres au cas où. Mamie et maman en parlaient de moins en moins souvent. S'il devait revenir bientôt, elles n'auraient pas fait ça. Elle entendait parfois des grands dire qu'il était au ciel, d'autres qu'il avait volé. Certains disaient qu'il était peut-être heureux là où il était. «Ca» se demandait même s'il ne travaillait pas tous les jours et peut-être même qu'il avait réussi à avoir ce qu'il voulait.

Et puis un jour, maman présenta un monsieur aux enfants. Il la faisait rire, chose que «Ca» n'avait plus vraiment vu depuis longtemps et elle se dit que c'était sûr. Papa ne reviendrait jamais.

Elle l'imaginait, lui qui aimait voler, conduire un avion pour partir dans le ciel puis se poser à un endroit où il faisait soleil et où il pouvait travailler. Il restait un doute dans la tête de la petite fille : qu'avaient fait le frère et la sœur pour qu'il parte sans eux ? Ils lui faisaient des bisous et lui disaient qu'ils l'aimaient. Il leur faisait de même. Alors pourquoi avait-il disparu sans les emmener ? Cette question, restée sans réponse, la taraudait fréquemment, mais elle savait inconsciemment qu'elle le saurait plus tard même si elle se demandait quel secret elle ne pouvait comprendre.


Regardant la saynète, elle imagine quelques instants qu'elle prend le train dans le bourg devant elle et part rejoindre son papa qui la regarde depuis l'avion, tout en haut, et qu'ils vont se retrouver à l'aéroport. De là, il les emmènera Charles et elle à la mer pour qu'ils caressent les dauphins. La tristesse coule sur sa joue contrastant avec ses voisins qui se chamaillent pour savoir qui est dans quel véhicule pendant que leurs parents tentent de les éloigner en leur promettant chocolats et bonbons à leur arrivée à destination.


Le calme revenu, «Ca» hausse les épaules, essuie ses larmes d'un revers de la main et reprend sa route. Car même si papa est parti, maman et Charles l'attendent.


Sans plus réfléchir, «Ca» prend la même direction que la famille qui vient de partir. Quelques arbres s'agitent et découpent le ciel gris ; de grandes formes tantôt jolies tantôt hideuses semblent déchirer le ciel. Instinctivement, la petite fille accélère le pas pour revenir vers une atmosphère plus éclairée, plus bruyante, mais aussi plus rassurante. Ici, les illuminations enjambent la rue, une multitude de vitrines célèbre Noël et des groupes de gens se déplacent par à coups, naviguant entre deux scènes.


«Ca» flâne tout en se dirigeant vers chez elle. Elle salive en imaginant ce qu'ils pourraient manger ce soir. Un gâteau ? Charles raffole des tartes au citron parce que ça pique et que c'est doux en même temps. Elle adore le regarder se remplir la bouche et mâcher, à la fois souriant et grimaçant. Elle sera bientôt avec lui, plus que deux ou trois rues. D'abord traverser le petit parking toujours rempli. «Ca» passe souvent par ici et elle n'a jamais vu une voiture en sortir ou y entrer.


— Oh zut, mais quelle gourde! ce n'est pas possible d'être étourdie à ce point.


Une grande dame brune d'environ trente cinq ans est debout à côté d'un véhicule. Elle tient dans sa main un téléphone portable pommé dernière génération. Dans l'autre, un sac à main, pas si gros, mais qui semble bien rempli. Devant sa portière, une main dans le sac, elle regarde tout autour.


—Allez, mais où êtes vous, montrez-vous, je n'ai pas le temps pour ça. (puis parlant à son téléphone) Attends je ne trouve plus mes clés. Je te rappelle.


La dame range son portable dans son sac et reprend sa fouille en grommelant.


«Ca» la regarde, amusée. La femme semble avoir deux personnalités ; elle est habillée et se tient comme une super héroïne et cherche dans son sac comme une petite fille qui a égaré son doudou.


Un bruit métallique. Un bruit sourd. un second bruit métallique plus caverneux. Le trousseau de clés vient de tomber sur le sol puis de glisser entre les interstices d'une plaque d'évacuation des eaux.


— Oh ! ce n'est pas possible. Je n'y crois pas. Ce n'est pas possible.


La dame se penche et éclaire le trou avec son téléphone. Les clés brillent un peu plus bas. Après une rapide vérification de l'impossibilité de déplacer la plaque, la dame dégaine son téléphone. Le premier interlocuteur ne semble pas disponible. Le second arrive, mais pas tout de suite. Le troisième appel indique que la dame sera en retard, mais qu'elle ne sait pas de combien de temps. Elle s'appuie alors contre sa voiture, visiblement en colère contre elle-même.


«Ca» n'a rien raté et s'approche de la dame tout doucement, de face afin de ne pas l'effrayer. La femme lui jette un coup d'œil distrait avant de replonger sur son écran.

La petite fille est maintenant tout près et est accueillie par un « qu'est ce que tu veux ? Je ne suis pas d'humeur » tonitruant.


«Ca» s'accroupit pour regarder à travers la plaque mais il fait un peu trop sombre pour qu'elle distingue bien les clés. La femme comprenant immédiatement ce dont il s'agit, bredouille un « désolée je suis en colère ». Et se penche en allumant la lampe torche de son portable.

«Ca» cherche puis aperçoit les clés, elles sont trois, reliées par un anneau agrémenté d'une petite perle. La petite fille essaie de glisser sa main entre les barreaux. Et en forçant un peu, elle descend un peu, mais pas assez pour atteindre son objectif. Elle retire sa main, change de position afin de profiter de toute la longueur de son bras et recommence. Sans succès. Et pourtant, les clés ne sont pas loin.


— Ce n'est pas grave petite. C'est gentil mais elles semblent bien trop loin même pour toi.


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