Christmas Carole (4/6)

Olivier Verdy

Une petite fille profite des festivités de Noël en cherchant un cadeau pour son frère. Elle se montre naturellement gentille, ce qui, en cette période pourrait s'avérer magique.

«Ca» réfléchit. Ses vêtements la bloquent. Elle n'arrive pas à aller plus loin que son coude à cause de son manteau. Alors, elle entreprend de l'enlever sous les commentaires tentant de l'empêcher. Partagée entre l'envie de récupérer son jeu et sa conscience, la dame brune tente tout de même de raisonner la jeune fille. En tee-shirt, «Ca» replonge sa main entre les grilles et cette fois peut effleurer les clés. Elle se tord au maximum et malheureusement, ses petits doigts ne peuvent que toucher les clés sans toutefois les attraper. Il faudrait une sorte de petit crochet. Ou une pointe.

«Ca» fouille dans sa poche et prend ses propres clés. Cette fois, l'adulte devient plus virulente.


—Ne fais pas ça, c'est un coup à perdre les deux clés. Et si ce sont celles de chez toi comment vas-tu faire pour rentrer ?


Mais «Ca» est déjà couchée, son bras se faufilant entre les interstices. D'un regard, elle demande un peu plus de lumière qui arrive dans un soupir de résignation.


«Ca» regarde ses doigts le plus loin possible. Elle cherche, tâtonne puis trouve les clés là sous son majeur. Elle a coincé l'anneau de ses propres clés, celle de chez elle et celle de la boite aux lettres, autour de son annulaire et commence à le faire glisser pour reprendre sa grosse clé.


La femme est accroupie à côté d'elle et elle entend un léger souffle concentré. La lumière se fait de plus en plus précise et guidée par une voix à la fois douce et ferme : à droite, encore un peu, encore un peu, droite encore ; stop. «Ca» passe sa clé dans l'anneau. Elle le sent. Levant tout doucement sa clé, elle peut s'assurer que le poids a bien augmenté. Elle replie alors son crochet vers la paume de sa main entraînant le trousseau entier. Sa main se referme alors. Les deux jeux sont bien tenus. Lentement, son bras sort de la grille jusqu'à être bloqué par son poing, trop épais pour passer. «Ca» doit alors glisser son autre main par le trou voisin afin d'attraper le trousseau de la dame. Attrapant la perle, la femme peut retirer puis poser sur le sol à côté d'elle son précieux colis. Puis elle s'assure que «Ca» sort entièrement son bras avec et lui montre l'autre jeu.

Dans un grand soupir de soulagement, la femme remercie chaleureusement la petite fille. Elle essuie ses clés dans un mouchoir jetable avant de les glisser dans la serrure de sa voiture.


— Encore merci. Jeune demoiselle et à charge de revanche. Tu as sauvé ma soirée.


La voiture démarre alors que «Ca» remet son manteau et resserre son écharpe. C'est l'hiver après tout et il fait froid. Pour la première fois, «Ca» voit un véhicule sortir du parking et alors qu'elle commence à s'éloigner, une camionnette commence déjà sa manœuvre de stationnement.


En remontant la rue qui mène a à la maison, «Ca» aperçoit la dame de la boulangerie sur le pas de la porte. Elle est gentille, parfois elle donne un bonbon à «Ca» quand elle vient chercher le pain pour sa maman. Après elle a l'air un peu malade. Elle a du mal à marcher et se tient toujours le dos. Et c'est peut-être aussi parce qu'elle est grosse. «Ca» pense d'ailleurs que c'est la femme du boulanger parce qu'elle a déjà vu le monsieur. Tout en blanc et plein de farine il est venu dans le magasin quand elle était la. Et ils avaient l'air de bien se connaître.

Peut-être que «Ca» pourrait avoir un bonbon ou un petit gâteau pour l'anniversaire de Charles. Elle fouille rapidement dans sa poche. Parfois, il lui reste quelques pièces. Mais pas ce soir. Rien du tout. Elle n'a même pas un cadeau pour son petit frère. Enfin un second cadeau, car elle lui a fait une carte à l'école. C'est elle-même qui l'a dessinée, coloriée et même fabriquée. Un dessin, représentant Charles et sa sœur, est sur la première page, entouré dans un gros cœur rouge. Quand il va ouvrir alors un « bon anniversaire » en relief se détache. Derrière, on peut apercevoir un paysage rempli de maisons sur des collines et des avions, dont celui de son papa et devant une maison, sa maman, «Ca» et Charles se tenant la main. Des cœurs dessinés ou collés entourent la famille.

Enfin, «Ca» a écrit « joyeux anniversaire » et elle a signé de sa plus belle écriture. Cependant, si elle pouvait avoir un petit plus pour accompagner la carte, ce serait encore mieux. Mais ce n'est pas facile quand on a neuf  ans et pas d'argent. C'est pour cette raison que passer à la boulangerie aurait été peut-être une bonne idée. «Ca» décide d'aller regarder la vitrine du magasin des fois que la boulangère lui offre quelque chose. Au moment où elle arrive et l'interpelle d'un bonsoir madame, la vendeuse rentre avec ses affaires non sans lui retourner un bonsoir petite demoiselle.


«Ca» se retrouve seule devant la boutique et commence à regarder les décorations de Noël mises en place. Ici, tout est orienté plaisirs de la table : Un napperon, un chemin de table, trois assiettes et des grands verres à pied. On peut apercevoir une bûche pas loin de la cheminée ; différents types de gâteaux sont disposés vers les assiettes et des croissants dépassent d'une chaussette, comme un présent au père Noël. Et en plus, ça sent bon. «Ca» aime bien passer devant ce magasin juste pour se délecter de l'odeur du pain qui croustille ou du chocolat fondu. Admirant un dessert, «Ca» se dit que cette année, elle aimerait bien goûter une bûche au chocolat avec des oranges quand un sourire énorme vient traverser tout son visage. Elle vient de trouver le cadeau de son frère : la mandarine que la dame lui a donnée tout à l'heure.

Voilà qui fera une excellente et merveilleuse surprise. Et comme Charles ne s'en doute pas, il sera tellement heureux d'en manger une. Les oranges et donc les mandarines, qui ne sont que des petites oranges pour «Ca» donnent de la force ; et Charles a besoin de force parce qu'il est un peu malade.


«Ca» ne se souvient plus comment ni quand ça a commencé. Mais un soir, elle se rappelle que pendant qu'ils mangeaient tous les trois, il avait toussé plusieurs fois et puis vomit. Maman l'avait fait dormir. Il n'était pas allé à l'école les jours suivants et ce, jusqu'à ce qu'il tousse moins. «Ca» était contente car elle n'aime pas que Charles soit malade. À peine était-il retourné à l'école qu'un soir ; il était devenu tout blanc et était tombé de sa chaise. Le docteur était venu et avait dit que ça recommençait et qu'il fallait bien surveiller, qu'il était jeune et qu'il allait être fort et que ça irait bientôt mieux. Sauf que «Ca» a l'impression que « bientôt » c'est tellement long. Parfois, Charles ne va pas à l'école pendant des jours parce qu'il est fatigué. Alors il reste à dormir ou à regarder la télévision. Parfois, mamie vient passer la journée avec lui. «Ca» aimerait bien aussi rester mais maman ne veut pas. D'autres fois, il se rend à l'école et il est tout content. Il revoit ses copains, il s'amuse et puis un soir, le docteur revient et ça recommence ; bien sûr, maman ne veut pas tout lui dire ; «Ca» sait qu'il a une maladie qui est longue et qu'il y a des virus qui veulent du mal à Charles. Mais il est fort et bientôt il aura gagné ; c'est pour ça que la mandarine est une excellente idée. Charles va être tellement content. Il va la manger et cette mandarine magique va l'aider à guérir et à prendre des forces. Maman pleure parfois quand elle est couchée. Au début, «Ca» pensait que c'était à cause de papa mais en fait, elle se dit que c'est parce que Charles souffre, que maman ne sait pas quoi faire pour le soigner et que ça la rend triste.


C'est la troisième fois en cette fin de journée que «Ca» se laisser aller et qu'elle pleure. Ce n'est pas tous les jours facile d'être une petite fille de 9 ans à qui on demande beaucoup. Et puis entre un papa parti et un petit frère malade, elle se dit qu'elle a bien le droit de pleurer un petit peu. Après, elle sera forte pour que maman et encore moins Charles ne voient qu'elle est triste et qu'elle aimerait juste parfois être une petite fille de neuf ans qui s'amuse et voudrait être joyeuse.

La boulangère ne revient pas, «Ca» regarde un peu dans le reflet de la vitrine si son visage n'est plus triste. Elle se donne une petite claque sur chaque joue parce qu'elle a vu sa maman faire ça et que ça marche. Il est temps de remettre son sourire ; elle vérifie machinalement la présence de la mandarine dans sa poche puis d'un pas trottinant se dirige vers chez elle.

Le dernier virage lui transperce le cœur. Ce n'est pas tant le froid qui vient lui piquer le visage et les doigts. Ce n'est pas non plus la rafale de vent qui vient de traverser toute l'avenue pour lui cingler les joues. La présence au milieu de la rue d'un camion de pompiers, sirène allumée, juste devant son entrée et la silhouette de sa grand-mère, de dos et bras croisés vient de stopper «Ca» dans son élan. Elle est là, sur le trottoir, arrêtée net, elle qui fredonnait il y a quelques instants. Interdite.

Elle se demande et comprend et se demande et refuse de comprendre en même temps.

Pourquoi sa grand-mère est-elle la ? Pour qui est-elle là ? Pour Maman ? Pour Charles ? Pour Charles. Le cœur de «Ca» s'est emballé. Il cogne dans sa poitrine et elle n'arrive plus à reprendre son souffle. Sa grand-mère regarde vers la porte d'entrée. Le camion clignote et la petite devine les portes arrière ouvertes. La fillette s'approche doucement un peu comme si elle avait peur de découvrir trop vite ce qui se passe. Elle est sûre que Charles est malade, très malade pour qu'il y ait une ambulance qui soit venue le chercher. C'est plus grave que le docteur.

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