Chronique de Barcelone - La Nuit de la Saint Joan

Melvin Dia

S01E1 - Premier épisode des Chroniques de Barcelone

— La Rambla del Raval, por favor ?

— Vous y êtes ! Français ? 

— Ah ok... répond Mika en regardant autour de lui. Comment vous avez deviné que j'étais français ?

— L'accent ! Ton « Por favor… ».

—  Ok ! Mika sourit. Sinon tu sais où se trouve le chat de Botero ? demande-t-il à son interlocuteur. 

— Un peu plus bas. En fait, suis moi je vais à côté. 


Pam, pam ! Mika sursaute. Encore une fois ! Et à peine deux mètres de lui. Les gamins rient, et s'en vont, à quelques mètres; puis recommencent leur petit manège, un peu plus loin. 
— C'est la Sant Joan ce soir ! C'est autorisé. répond Javi.

— La quoi ?

 — La grande fête qui annonce l'été à Barcelone. Javi au fait, en lui tendant la main.

— Mika. Enchanté.

— Toute la nuit, et un peu le lendemain, les gens sont autorisés à faire sauter des pétards, dans toute la ville !

— Ok ! je comprends mieux maintenant.

— Voilà, tu y es Mika. C'est le chat de Botero devant toi. Moi je tourne à droite. Hasta luego !


Ils se serrent à nouveau la main, puis Javi s'en va dans une petite ruelle du Raval. Bruits de pétards à nouveau ! Les mêmes gosses, et une épaisse fumée s'échappe sur cette contre allée. Mika qui a marché plusieurs heures dans toute la ville a bien pris la température de cette Sant Joan sans même savoir ce qu'elle signifie. Arrivé depuis deux jours, pour la première fois à Barcelone, l'ambiance lui plait. Mais pour le moment, il décide d'attendre son rendez-vous de 20h00 à une terrasse,  juste en face du gros chat en bronze, lieu que lui a indiqué son pote qui l'héberge pour la soirée. 
Une bonne demi-heure, un premier mojito sifflé lentement, et toujours pas de réponse de cet ami. Il lui envoie à nouveau un message. C'est à ce moment que repasse Javi. 
— Toujours là !? lui demande l'espagnol.

— Comme tu vois ! Je t'offre un verre ? propose Mika en l'invitant à s'asseoir.

— Ça marche ! En vacances ? demande Javi en prenant place. 

— Oui, et des vacances qui tournent à la galère. Ça avait bien commencé pourtant… Et toi sinon ? 

— Une visite d'appartement dans le quartier. Qu'est-ce qui t'arrive ?

— J'attendais un pote mais apparemment, il s'est embrouillé avec sa copine. Du coup, il me fait galérer !

— “When it comes about girls, there's no friendship” leur dit un gars à la table voisine.

— Comment ? demande MikaLa voix à l'accent italien répète à nouveau la phrase en anglais. 

— Oui j'ai compris mais… dit Mika.

—  Eh bien, je suis avec mon coloc que vous voyez là. On devait se faire une soirée entre potes,  et comme toi je galère. Une histoire avec sa nana... dit la voix à l'accent italien. Pardon les mecs, moi c'est Matteo,  j'ai entendu votre conversation et je n'ai pas pu m'empêcher; finit avec le sourire Matteo, débardeur qui laisse apparaître un physique de salle de muscu, le tout agrémenté de tatouages sur l'épaule et l'avant-bas.

— Ne l'écoutez pas ! Ce soir, y a pas de copine, c'est la fête ! dit Tom, en posant son téléphone sur la table. 
Ils rigolent, et rapprochent leurs tables. Une nouvelle tournée de cervezas pour les trois, et pour Mika un mojito. Ce dernier se sent presque obligé en nouveau venu à Barcelone. Il ne sait pas pourquoi, mais le mojito s'impose comme la boisson des vacances !
— Putain ! Barcelone c'est mortelle ! Deux jours que je suis ici… Les meufs, l'ambiance, le temps, la plage... Les gens sont cools ici !
— T'as pas idée ! ajoute Matteo.
Une nana en fauteuil roulant à qui il manque une jambe, la bouche qui part de travers, et au look de Cindy Lauper défraîchie, s'est plantée devant leur table, et en direction de Mika : 

— Hola guapo, tienes una moneda ? dit-elle.

— Qu'est-ce qu'elle veut ? leur demande Mika dont les notions en espagnol sont très limitées.

— Que tu lui donnes une pièce ! lui dit Javi.

— Ou plus ! dit Matteo en rigolant.Mika a commencé à sortir de sa poche une pièce. 

— Mais tu ne devrais pas. lâche Tom.

— Solidarité entre blacks on va dire, leur dit-il amusé après qu'elle est partie. répond Mika.

— Si tu commences comme ça ici, j'te donne pas deux heures dans le quartier.

— Pourquoi qu'est-ce qu'il a de particulier ?

— C'est un peu la favela ici.

— Des putes, des pakis, des marocains, des gays, les africains, ou les hipsters… 

— Ok tout ce qui donne de la vie alors ! entonne Mika.

— On peut dire ça. dit Tom, en passant la main sur sa barbe.

— Sinon, qu'est-ce qu'il y a à faire ce soir ? demande un Mika excité par la perspective de la nuit qui approche. 

— On peut commencer sur la plage, propose Matteo.

— La Sant Joan ça se passe là-bas ! Tom

— Moi je n'ai rien prévu.

 — Alors vamos a la playa ! dit Mika, l'une des seules phrases qu'il connaisse en espagnol.

Ils sont arrivés sur la plage de Bogatell, à quelques centaines de mètres de la trop touristique Olympic, avec déjà quelques bons grammes dans le sang, en augmentant leur taux d'alcoolémie de quelques bières achetées à la volée sur le chemin. Il fait chaud ce soir. Les lumières du port scintillent. Et les bruits de pétards, eux, ne s'arrêtent pas. 
Le bord de mer n'est plus qu'un amas de groupes d'amis et d'inconnus qui se sont entassés sur le sable, et qu'il faut enjamber si l'on veut se frayer un chemin. Le tout dans une parfaite osmose. Des familles, des jeunes, des moins jeunes s'étalent sur cette partie de la ville.Mika, et l'expression est toute trouvée, se sent comme un poisson dans l'eau à quelques mètres de la mer. Pas jusqu'au point d'imiter les quelques téméraires qui sont allés piquer une tête dans l'eau obscure. De toute façon l'essentiel se passe sur le sable.Mais il aime la simplicité du dress-code : tongs, shorts, débardeurs… Et il se laisse fondre dans le tableau qui se présente à lui. Avec en toile de fond, les pakis qui sans relâche arpentent l'arène proposant leurs ”cervezas”, avec ce soir une sorte de service trois étoiles qui inclut des mojitos  sortis de glacières, et toutes les autres substances qui font une soirée. Sans oublier les masseuses asiatiques, leurs massages et leurs tatouages éphémères. En avant scène de cette toile de nuit, Tom qui danse avec une nana autour d'une petite bande qui est venue avec son enceinte qui envoie une musique au rythme latino. Et, Javi qui commence à tanguer sous l'effet de différents mélanges mal dosés...
— Ca sent la beuh de partout ici ! lance Mika en se tournant vers Matteo.

— T'en veux ? MatteoSans même attendre la réponse de Mika , il lui tend le bout de joint qui lui reste dans les mains.

— Mika ! Tête étonnée de ce dernier qui se retourne pour identifier la voix inconnue qui l'appelle de derrière.

— Angélique ! de l'auberge, dit la jeune voix féminine.— Oui, oui… répond Mika qui tente de reconnecter le prénom et le visage. L'auberge où il est resté la veille dans le Gotico, et où il a commencé un début de flirt; elle lui avait tenu la jambe toute la nuit.— Comme ça va mon pote ! balance le gars qui accompagne Angélique. On s'est vu y a trois heures quand tu jouais de la guitare dans le centre ville !  

— Quoi ? De la guitare, qu'est-ce que tu racontes mec ? dit Mika qui visiblement ne comprend pas.

— Si, c'était toi le black, lui envoie ce mec à l'haleine chargée en s'approchant de trop près de Mika.Ce dernier met sa main devant pour stopper l'avancée de l'importun.

— Bon laisse-le. Et Angélique de mettre sa main sur l'épaule visiblement de nouveau intéressée par Mika. Alors ta soirée ? — C'est qui ce type ? demande Mika.

— Un ami, mais aussi un relou. Mais il est descendu de Toulouse pour me remonter. dit-elle en haussant les épaules. 

— Je vais me chopper un verre. dit Mika qui s'est déjà mis un un peu à l'écart. 

— Elle est mignonne la fille. Mais ce gars “es un tonto” lâche Matteo en mettant la dernière main à son nouveau joint.

— Un tonto ? — Un idiot espagnol.— Pas ma copine ! let's go ! Et ce gars c'est clair !
Mika s'enfuit, il n'a pas envie de passer le reste la soirée avec ces deux compatriotes. Oui, les fuir avant qu'ils ne lui gâchent sa nuit, en prenant pour excuse d'aller chercher un verre. “Je te paie une bière", lui a proposé Angélique. "Je ne bois pas de bière, et de toute façon faut que je pisse" lui dit-il répondu, et de se diriger vers la petite dune ou une partie de la foule vient se soulager.Puis, ll trouve refuge près du chiringuito, petite cabane qui fait office de bar et où s'est installé un DJ qui crache sur cette partie de la plage un puissant son electro. 
Près de 04h00 du matin maintenant, la soirée bat son plein sur la plage. Musique à fond toujours. La chaleur toujours forte mêlée à la fraîcheur de l'air marin. Les quatre se sont perdus. Mika regarde autour de lui, oui plus aucun signe de Matteo, Tom ou Javi, avec qui il est venu. Plus aucun signe non plus de Angélique et son tonto...  Tant mieux.Il aurait du rester avec ce début de flirt près du bar; cette brune aux yeux émeraudes, et mini-short en jean...  Mais une fois s'être emballés, la tentation a été trop forte de tester encore son pouvoir de séduction sur cette plage bondée. Mais il s'est éloigné de la foule, s'assoir sur un banc à une centaine de mètres, et remettre un peu d'ordre dans sa tête. Et après tout ! ll lui reste quelques heures de cette belle nuit. Et de toute façon, il ne sait toujours pas où il va dormir !
Le jour a pris ses couleurs depuis quelques heures. La journée s'annonce chaude, comme la veille. Quelques bruits épars de pétards se font encore entendre. Mais les gosses dorment à présent.  Mika se rend compte qu'il est revenu au même endroit qu'au début de soirée en reconnaissant le gros chat ! Il se sent moite, poisseux ! Envie de s'asseoir. Oui se poser un se boire un café. Mais aucun bar n'est encore ouvert ! Le quartier dort. Même les pakis qui proposaient des cerveza sont partis dormir, remplacés par ceux qui s'apprêtent à ouvrir leur épicerie.
Mika n'a que quelques souvenirs de sa soirée après avoir quitté la plage du matin, mais confus. Il se souvient d'être partis un groupe de quatre personnes dans une espèce d'immense hangar. La suite, quelques flashs, des lumières...

Café con leche, bocadillo de jamon sur la terrasse des Els Tres Tombs seul bar ouvert à cette heure dans le quartier, pour retrouver quelques forces.
— Matteo, Tom ! lâche Mika.

— Mon pote ! On t'a perdu hier soir. dit Tom qui tire une chaise pour s'asseoir.

— Alors la fin de soirée ? leur demande Mika.

— Une très grande St Joan. répond Matteo qui prend lui aussi place.— Qu'est-ce que vous avez fait après ? leur demande Mika. Silence de l'anglais et de l'italien… À côté quelques papillons de nuit comme eux qui jouent les prolongations, et sur les visages desquels la soirée a laissé ses traces. Aussi quelques vieux, à l'intérieur, des habitués qui lisent leur journal du matin. La faune de nuit à la rencontre de celle du jour.

— Après qu'on s'est perdu… ? C'est un peu flou, je t'avoue. On est allé chacun de notre côté, dit Matteo en son ami anglais. Et, toi Tom, c'est vrai qu'est-ce t'as fait ?

— Moi ? Tom qui réajuste ses lunettes de soleil.

— Oui le mec qui est maqué ! lui dit en rigolant Mika.Large silence de Tom.

— En tout cas l'été a définitivement commencé les mecs ! obtiennent-ils pour seule réponse de ce dernier.

— N'esquive pas ! dit Matteo.

— Eh bien et toi, t'es pas parti avec la française ? lui envoie Tom.

— La française ? demande Matteo qui feint de ne pas comprendre.— Oui la copine de Mika.  Précise Tom.

— Angélique, mais ça n'est pas ma copine, tient à rectifier Mika.Silence de Matteo.

— Et toi Mika, ta fin de soirée? demande Matteo pour changer de sujet.
Même silence...

— Bon les gars, je vois qui s'est passé des trucs hier soir. Voilà ce que je vous propose : on écrit chacun ce que l'on a fait de plus trash cette nuit. On laisse notre papier au serveur qui est un pote, et à la fin de l'été, après la Mercé on revient et on les ouvre tous, dit l'anglais.

— La quoi ? Pour la Mercé ? demande Mika.

— La grande fête de septembre qui ferme l'été. lui répond Matteo— Ah... Mais je ne serai peut-être plus là !

— "Peut-être...". Je te dis : t'as attrapé le virus de Barcelone mon pote ! Et l'été ici, ça vaut le coup mon pote !

— J'avoue que ça me tenterait bien de rester ici quelques mois… Je kiffe cette ville ! 

— On a une chambre de libre,  tu peux rester un bon moment. dit Tom.

— Alors ? Matteo en s'avançant vers Mika.

— Tentant en effet : un français, un anglais, et italien. Superbe combinaison !

— Let's do it guys. On écrit notre histoire de la nuit, enchaîne Tom.

Chacun noirci sur son bout de papier,  et le referme pour le donner au serveur.
À suivre…
Texte : Melvin Dia

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