Chronique d'un nihiliste transit

Alexis Venifleis

Laisser l’eau couler pendant que je me brosse les dents, regarder vingt fois Transpotting, payer trois fois le même jean Diesel usé, perdre mon temps au sein de relations amoureuses périmées, dormir plus de deux jours de suite, enchainer successivement 5 cigarettes à la suite, jeter ma bouffe par la fenêtre…
J’ai toujours adulé le gâchis, le mien particulièrement, puisque vous le récupérez, il fait vendre. Je gâche des mots sur manuscrits qui publiquement recyclés, agrémentent mon compte en banque. Un gaspillage mercantile aux allures paradoxales.
Je ne suis qu’un écrit vain. Définition de pauvre dramaturge qui transfigure son talent, dont le travail prend désormais tout son sens ; porter sur ses épaules la lourde tâche d’aligner une suite de mots, alliant esthétisme et force du contenu dont la portée s’avère obsolète. Autrement dit, je vous livre du gâchis en boite, vous l’ingurgitez. Fustigez moi, dénoncez mon insolence, et ma prétention. De quel droit puis-je proférer de tels propos, sans renommée ni légitimité. Cela étant, je ne plaiderai pas coupable, et j’ai un avocat d’exception. J’ai nommé, Oscar, un Irlandais, une vieille connaissance, qui a réponse à tout et qui m’emmerde royalement. Je cite l’intéressé: “Dire qu’un livre est immoral ou moral n’a pas de sens, un livre est bien ou mal écrit c’est tout”. Fin de citation, l’affaire est close.
Cela dit, j’ai une question à poser à cet irlandais qui se dit incollable. Suis-je un Artiste?
Il m’aurait certainement dit qu’est artistique celui qui vit, ressent l'Art, dans ses veines, dans ses mains, son corps. Quand ça prend au cœur; que ça travaille l'esprit jour et nuit, que ça obsède. Que ça devient instinctif, d'un geste presque systématique, inconscient, qui se perpétue. Que ça participe de façon unanime à la création de chacune des idées, des pensées, des opinions, des actions. Tout doit être guidé par cette chose inexplicable, un ressenti pulsionnel. L'art est à la fois la réflexion et la spontanéité le tout dans l'extrême maitrise, la technique. La construction d’une alchimie d'émotions et de sensibilités. La touche en suspend, les heures de travail, qui s'évaporent en quelques secondes. C'est l'éphémère, et en même temps, l'immortel. L'irreproductible, et le pérenne.
Hélas, le pauvre, je doute qu’il soit au courant qu’au XXI siècle la vocation marque le pas au profit de l'imitation mercantile.
Ce vieil irlandais doit savoir, les arrivistes ont prit le flambeau. L’Art tel qu'il l'a connu perd de son standing. Le cinéma de Chaplin se fend la poire devant Hollywood qui auditionne un vivier d’arrivistes. Les frères ennemis J.P Sartre et A. Camus partagent la fierté d’intégrer Loana au club des grandes plumes. Edith Piaf et sa vie en rose broie du noir en écoutant Yelle. Tout et n’importe quoi se prétend artiste. L’inverse et son contraire. Les Artistes et les artistes.
L’heure du constat en ligne de mire, et je contemple l’ère du gâchis dans laquelle s’inscrit ma plume. L’impact de ces mots qui exacerbe la montagne d’ordures artistiques que moi et une grande partie de mes pairs cultivons. Au moins, me dis je, si je dois pourrir l’écriture, autant rendre ce spectacle public.

J’ai choisi San Francisco et son berceau de beatnik en point de fixation temporaire, comme un symbole. En quête de renouveau, mais également d’introspection spirituelle, j’ai pris mon envol dans l’espoir de caresser mon rêve américain. Et cet unique outil descriptif et retranscriptif communément appelé l’écriture ou la possibilité de toucher avec les yeux la vérité d’un mensonge idyllique. Et pourtant je m’avoue vaincu face à la réalité d’un Eldorado cauchemardesque.
Et ces touches qui dessinent l’esquisse picturale de Frisco. Un clavier en guise de pellicule mentale de façon à immortaliser le décor. L’instantané qui s’éternise, à l’image de ce soleil qui bat son plein ici dans la baie. L’astre rayonne sans pareil sur la Silicon Valley, et ensoleille les routes particulières de Gold Mountain. Mois d’août oblige, les touristes assiègent les attractions locales, et l’ambiance festive est de rigueur. Union Square respire, Soma s’affirme et Fisherman’s Wharf retrouve son standing, quand North Beach s’epanouie. En pleine Californication, j’ai pris mes fonctions la semaine passée pour le San Francisco Chronicle. J’exerce un travail archaïque qui fait rêver les nouveaux sortants des CFJ, IPJ et autre Celsa. Un job en voie d’extinction qui consiste a collecter, écrire et véhiculer les informations pour la plèbe. Un détenteur de la news, que je hiérarchise comme bon me semble. M’occupant plus spécifiquement du department features, le choix des articles promotionnels pour les artistes (écrivains, musiciens, peintres), est soumis aux aléas des mes envies évanescentes. Une partie de leur notoriété est à la merci des mes phalanges, lesquelles tiennent rigueur de la pige.
Je détiens un pouvoir sadique, fort d’une responsabilité corruptible.
Bref, je vous décris le rêve pour mieux dénoncer l’implacable fatalité.
De mon bureau, je défi du regard cette couverture accrochée au mur du Time Magasine datant de 2007 titrée “La mort de la culture Française”. Eve Angeli et son bouquin arrive à point nommé pour les funérailles. L’exception française n’est plus, et notre culture ne s’exporte guère. Seuls quelques rescapés demeurent sur le champs de bataille international. Comme des missionnaires, de vrais casques bleus. D’illustres plumes françaises contemporaines à prendre avec des pincettes sont contingentées. Houellebecq le plagieur en tête de file aux États-Unis, Amélie Nothomb en terre asiatique, et BHL quelque part sur la planète. Une erreur de casting lié au nombrilisme romanesque français? Non, les maisons d’édition sont catégoriques, aucune copie n’est à revoir. Le problème vient de la traduction qui est à la peine. Le français est difficilement retranscriptible et la langue de Molière ne peut rien face à l’emprise de celle de Shakespeare.
Sourire narquois, j’imagine une coupe du monde la littérature, avec les cadors Bukowski et Salinger, l’outsider Joyce James, et le petit poucet français Begbeider dans la même poule. Inconnu du grand public sa cote grimpe, il fait ses premiers pas dans la cour des grands depuis peu. Les bookmakers ne lui attribuent pourtant pas la moindre chance. Un Oscar Marcel Proust serait remis par Jack Kerouac.
Je crois que “la France a peur”. Nous ne sommes pas en 1976 Gicquel est évidemment défunt, et cette fois c’est de l’étranger que provient la phobie. D’ailleurs même a l’échelle nationale la littérature française ne domine pas les débats en 2009. L’américain Dan Brown a supplanté sans problème notre cher et tendre Marc Levy.
Anna Gavalda trop frileuse reste au chaud chez le dilettante, Virginie Despentes pas assez couverte réapparait pour la rentrée littéraire sur la pointe des pieds, totalement métamorphosée. Et ce n’est pas tout la liste est longue: Marie N’Diaye, Jean-Marie Gustave Le Clezio (Prix Nobel 2008 dont la terre entière se fiche royalement), Gilles Leroy, Florian Zeller pour ne citer que les principaux.
Cela va sans dire, je fais partie du lot.
Seule Muriel Barbery semble tirer son épingle du jeu, en attisant les foudres de l’oncle Sam, grâce a l’élégance de son hérisson. Emmanuel Carrere s’affirme tant bien que mal.
Du reste, un bilan donc bien maigre, nos écrivains s’essoufflent, souffrent d’embolie épistolaire, et enterrent avec eux le prestige littérature jadis flamboyante.
Nos sauveurs se trouvent ailleurs, dans d’autres secteurs. Ce sont eux qui véhiculent l’image de la patrie en récoltant Golgen Globe, Oscar et autre disque d’or. Marion Cotillard et Audrey Tautou dans la main, craignant l’ombre de Mélanie Laurent. David Guetta, confirme son leadership, et s’en met plein les poches. Résultat, ils sont si peu que je suis tenté d’y intégrer Tony Parker, le chanteur, parfois basketteur.
Ce sont nos ambassadeurs, et je me joins à eux. Voici notre mission si nous l’acceptons: Redorer la culture hexagonale. Et puis merde, inutile de changer, continuons à vendre de la merde.
Alors lecteur français, tu dois savoir, l’herbe n’est pas toujours plus verte de l’autre coté de la prairie. Au contraire c’est un territoire sauvage, surchargé d’orties. Le rêve américain est une supercherie pour gosse assoiffé de conte de fée. Le nouveau continent capitalise même son mythe, et cela marche à merveille. Tu tombes dans le panneau et me rejoins au fond du puits. Crétin.
D’ailleurs pour l’anecdote, Maxime t’a aussi pris pour un bleu, la maison est aujourd’hui verte.
Quand San Francisco t’entube, San Francisco.

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