Chronique d'une révolution ordinaire.
Clement Billaux
http://www.youtube.com/watch?v=6VTKwYYDwHE&feature=player_embedded
« Lucie ma chérie, vient voir les poussins ! »
[...]
Obscurité. Néant.
Enfermé dans une espèce d'inaltérable coquille de rigidité, je prends peu à peu conscience de mon existence.
''Je suis''... cette pensée est pour moi à la fois nouvelle et intimidante, mais aussi teintée d'un exotisme qui m'attire irrésistiblement. Comme ces espèces de friandises visuellement repoussantes qu'on vous propose sur des stands, mais que vous gouttez quand même par curiosité... Ca ne vous est jamais arrivé à vous ? Entre nous, l'expérience culinaire vaut le détour ! Et puis au pire, vous ne risquez que l'intoxication... Bref.
Pour ma part, je pense justement que l'heure est venue d'être. Pourquoi maintenant et pas à un autre moment ? Aucune idée. Comme dans un rêve éveillé, je me contente de suivre ce qui semble être un embryon d'instinct.
''Je suis''... ça me fait tout bizarre quand même, je n'avais jamais eu ce genre de réflexion avant. C'est ça, ce qu'on appelle une pensée subversive ?
Jusqu'alors agencé dans une espèce de formole anesthésique, je m'étais simplement contenté de me laisser porter, indifférent à l'injure du temps sur ma peau. A dire vrai, c'est fou ce qu'on peut être passif lorsque tout va bien !
Le Système me protégeait, le Système me logeait, le Système me nourrissait, et en retour je ne remettais pas en cause le Système. Je continuais à évoluer dans un milieu taillé sur-mesure à mes exigences, béat. Avouez que c'est tentant !
D'ailleurs, pour être tout à fait franc avec vous, je dois quand même vous confier que d'autres circonstances m'auraient certainement poussées à l'immobilisme. Je ne pense pas, donc je suis tranquille. Seulement voilà, n'est ce pas ? Avec l'âge le corps mûri, l'esprit suit la tendance, et ce vêtement si parfaitement taillé finit rapidement par craquer de tous les côtés. Si encore, tel la mue d'un serpent, il se contentait d'admettre sa date de péremption et faisait peau neuve, ça passerait ! Mais là, rien. Pas la moindre petite concession.
Même dépassé, même sur le point d'imploser, le Système rechigne à tirer sa révérence. Pire, il s'accroche! Lui qui prônait votre bien-être comme étant sa seule raison de vive, il se met à vous écraser pour mieux rester. Comme ce raciste en garde à vue qui maintient que non, il n'a pas insulté ces xf34zu*(censuré) de chintoks, il devient une authentique contradiction vivante...
Pathétique. Fascinant.
Alors je vous pose la question, à vous qui semblez si conscients : Est-on forcément obligé de courber l'échine ? Peut-on réellement accepter toutes les brimades, sous le seul prétexte qu'elles nous confèrent une quiete-way of life ?
Non, ne vous donnez pas la peine de répondre. De toute manière, ma décision est prise. Nous connaissons tous la réponse ! Surtout vous. La formuler demande juste un peu de courage... Et puis franchement, qu'est-ce que je risque hein ? La mort ? Au moins aurai-je essayé de vivre !
Non vraiment, je ne comprends pas comment j'ai pu rester inactif durant tout ce temps. C'est tellement absurde quand on y pense.
...Absurde n'est pas le mot. Facile serait plus approprié !
Alors aujourd'hui, devant vous, je me lance. Moi, j'en ai.
Je bande mes muscles, je musèle cette peur de l'inconnu qui tente d'instiller le doute dans mon esprit, et je pars à l'assaut du Système. Il résiste, je persévère. Je persévère, il résiste :
Coups de buttoirs effrénés, cris de souffrance internes, maigres victoires, larges défaites, la bataille est au moins à l'échelle de ce que j'affronte. Un colosse gâteux et craquelé, mais un colosse quand même... Ma seule volonté suffira-t-elle à en venir à bout ? Aucune idée. Au moins, et ce pour la première fois de ma vie, je sais qu'il y a un but à ce que je fais! J'ignore où je vais, mais je sais d'où je viens. J'ai été un amas de cellules indifférenciées, je suis aujourd'hui un être pensant maître de ses actes, alors nul ne peut savoir ce que je serai après. Peut être serai-je même plus fort que le Système !
Ce qui expliquerait pourquoi tant de peur se cache derrière son modelisme indolent.
Je me bats.
Encore, et encore, et encore, et encore, je me bats, et seule une pensée subsiste : Quelqu'un suivra-t-il mon exemple ?
[...]
Observant les rangées d'œuf avec fascination, Lucie a les mains collées contre la paroi translucide du plexiglas. Vraiment, elle ne regrette pas d'être venue...
Soudain, c'est là. Dans une cascade de cris enchantés, ce qu'ils attendaient tous arrive. Lentement, brutalement, laborieusement, il arrive. Comme les autres enfants placés à côté d'elle, la jeune fille s'émerveille de ce si petit miracle.
« Maman, maman !
-Oui ma chérie ?
-Regarde, le poussin sort de sa coquille ! »
Suivant le mouvement lancé par ce premier pionnier, ce sont bientôt des dizaines d'œufs qui se craquèlent. Non, vraiment, elle ne regrette pas d'être venue...
-=[Texte écrit le 12 octobre 2008]=-
J'en suis! :)
· Il y a environ 14 ans ·sirinove
Je dirais mêmes plus; splendide ! Digne des plus grands !
· Il y a environ 14 ans ·Remi Campana