Chroniques alexandrines 8

katondutick

Où il est question de Sébastien Lapaque , du Monopoly et de l'Isola Bella

Chez le coiffeur. Il essaie de combattre ma calvitie naissante avec une lotion aux orties. La vitrine est enjolivée par un bouquet de ces fleurs qu'on n'apprécie plus. De beaux iris émergent d'un vase en argent et cela me rend d'humeur sereine. En feuilletant un magazine , je découvre les histoires d'amour qui rythment le quotidien des gens en vue.  En règle générale, je suis là pour alimenter le stock de revues de la boutique.Cinq minutes me suffisent pour parcourir les vicissitudes et les embellies du cœur d'autrui.Ce n'est pas sans un amusement certain que j'appréhende le travail des journalistes qui nous jouent du violon. Parvenir à faire croire que les embrassades ou les œillades d'un chanteur à la mode comptent plus pour la marche du monde que celles d'un magasinier ou d'une conductrice de métro est une imposture qui me laisse pantois.Il est vrai que le sentiment ne va pas fort dès lors que le fond de l'ère effraie.Combien me désolent ces femmes, esseulées, dans des endroits trendy, qui achèvent leur spleen devant un mojito avant de ressourcer leurs illusions  en regardant le dernier nanar sur internet.Autre temps autres mœurs. Enfin ,avec les femmes on n'est jamais sûr de bien les comprendre.On essaie et on se retrouve tout godiche dans la plus vilaine des impasses.Celle qui blesse. Tenez, cela me rappelle une anecdote.Dans mon jeune temps, j'étais amoureux d'une douce et belle jeune fille,Isabella. Mon sentiment de pauvre ayant réussi a sauvegarder sa place entre ses villégiatures à Porto Rotondo, en Sardaigne, et les foulards griffés, je dus la quitter pour quelques semaines. Au fin fond de mon gris semblant de Paris suburbain, je m'étiolais entre deux baillements.Un matin, ma concierge- on ne disait pas gardienne- me fait un signe derrière la vitre de sa loge.Je pousse la porte et elle me tend une série de cartes postales.24 en tout.Ma chère et tendre Isabella avait tenu à rédiger un petit mot sur chacune d'elles.Je fus ému à n'en savoir que dire.Il y avait tant de générosité et tant de candeur dans ces écrits, cette recherche patiente de ces images qui devaient parler des endroits où elle aimait aller se promener, se baigner, discuter, jouer au Monopoly.Que sais-je ? Moi, lorsque je rédige une carte postale, depuis cette magique matinée , je ne peux m'empêcher de me dire :Et si c'était la dernière ?Aucune raison raisonnable n'explique ce funeste présage.Seulement la volonté de rendre hommage à Isabella, qui appartient à mon passé.Alors je m'ingénie à inventer des acrostiches, des formules absconses, des géométries euclidiennes dérivées des calligrammes, voire des alphabets inédits entre cyrilliques et runes fantaisistes.C'est le délicieux livre de Sébastien Lapaque sur la carte postale qui m'a replongé dans mes souvenirs où Isabella était la reine de mon île.Il y a des misogynes, il y a eu des Valmont, il y a eu des Roméos, mais jamais je ne cesserai d'aimer les femmes sans la pure vision des cartes d'Isabella.Par un de ces hasards que le destin réserve aux gens de foi, Isabella habitait en face de l'Isola Bella, sur le Lac Majeur, celui de Mortimer Shuman, dit Mort . Il ne neige pas souvent sur le Lac Majeur, météorologiquement parlant, mais combien dans le fracas de nos existences robotisées, voire déshumanisées,  auraient envie de recevoir 24 cartes écrites par une Isabella, ou une détentrice d'un  autre prénom et qui font de la rencontre un songe infini .Je n'ai pas eu la chance de comprendre que ces cartes contenaient le cœur et la logique du monde.C'est sans doute pour cela que j'écris beaucoup.Mes amis s'étonnent que l'on puisse noircir des dizaines de pages sans éprouver la moindre difficulté pour trouver les vrais mots.Il n'ont peut-être pas eu l'occasion de recevoir 24 cartes postales mises à la boîte le même jour par une jeune fille de 17 ans qui avait l'âme aussi bleue que l'étendue marine qui borde la Sardaigne.

Et c'est ainsi que Cadet Rousselle apprécie le vermicelle .

Signaler ce texte