Chroniques comme ça - 1
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Je suis née à Saint Nazaire, à la clinique près du port, celle derrière le jardin des plantes. Je m'en souviens ainsi, enfin en tout cas c'est comme ça qu'on m'en parle. Mes parents habitaient encore les immeubles près de la gendarmerie, dans le centre de Guérande. Mon frère était déjà sur Terre depuis sept ans, ma mère l'avait appelé Sébastien et il était même baptisé. Ma sœur elle est venue au monde cinq ans seulement avant moi, mes parents l'ont appelé Audrey et même si je n'ai jamais demandé, je suis sure qu'il s'agit d'un choix de mon père. Enfin, quand je suis née, mes parents habitaient dans ce genre de tour où s'entassent tous les jeunes couples amoureux. Parce que c'était une sorte de tradition pour démarrer la vie, et aussi surement parce qu'à l'époque, ils n'avaient pas d'autre choix.
Toujours est-il que je suis née à la clinique près du port et que d'après ce que Maman m'a raconté, la chose s'est plutôt bien passée. Sauf que je suis la seule qui lui ai fait prendre des kilos, mais ça elle ne le dit pas souvent. Elle me le rend bien, cependant, quand même : j'ai deux jambons à la place des cuisses et une peau d'orange à faire baver n'importe quelle sanguine.
Je m'appelle Sophie, alors que mon père voulait m'appeler Cécile – à cause de la chanson de Claude Nougaro qui passait sur les ondes à ce moment-là. Ma mère, et je ne l'en remercierais jamais assez, refusa. Parce que Cécile, c'est moche. Et je mentirais si je disais que je pense le contraire. Je m'excuse sincèrement auprès de toutes les Cécile, mais votre prénom, je vous prie de vous le garder pour vous parce qu'il me file la nausée. Privez-vous aussi de l'offrir aux générations futures. Je déteste principalement trois prénoms : Adeline (pour le cliché de la blonde peste et capricieuse), Murielle (pour ce qu'il me rappelle) et enfin Cécile, parce que c'est moche. J'ai aussi une réticence pour les prénoms en fruit – genre Cerise ou Vanille, et les fleurs aussi. Gardez-vous d'appeler votre fille Fraise ou Rose, c'est un scandale.
Ma mère ne s'est jamais expliqué sur son refus, pour Cécile, mais je sais qu'elle a choisi Sophie parce que c'est le nom d'une gamine qu'elle gardait quand elle était jeune, et qui est morte dans je ne sais plus quelles circonstances dramatiques. Maman voulait aussi ajouter Anne, ce qui aurait donné un pompeux Anne Sophie, mais là, c'est mon père qui a dit non. Alors ils ont fait un marché, un compromis, et je suis devenue Sophie.
Me voilà née, donc, et cette clinique (qui jusque ici était parfaitement inutile) représente pourtant à ce moment-là un intérêt particulier pour mon paternel. Il y a un café, juste en face. « Il t'a donné ton bain, il est resté avec nous deux heures et le soir il est allé fêter ça avec ses potes et ses frangins ! » dit toujours Maman. Et mon père rajoute toujours un banal « Bah quoi ? » avec un air malicieux et innocent que je lui ai emprunté.
Je tiens beaucoup de Papa. J'ai évidemment un bout de caractère de ma mère, mais je crois surtout que j'ai chopé celui de Papa, au fil du temps. Maman m'a surtout filé la carrure, la voix, la folie dépensière et aussi surement le manque de jugement. De mon père, j'ai l'imagination, l'ingéniosité, le visage aussi, la technique et la curiosité. Maintenant que j'y pense, je suis surement la plus équilibrée des trois. Seb, mon grand frère et l'ainé de nous trois, a beaucoup de papa même si biologiquement ils n'ont aucun lien. Je pense que l'avoir comme modèle l'a beaucoup influencé. Sébastien est un gars explosif, et Papa l'est tout autant. A y réfléchir, c'est le seul trait qu'il lui à chopé. Et pas le plus utile. Sébastien est arrogant, malhonnête, opportuniste et lâche aussi. Je ne sais pas de qui il tient ces mauvais traits, et je ne veux pas le savoir. Et surement, il se les est imprégnés lui-même. A force de mauvaises décisions. Mais j'en parlerais plus tard. Audrey, ma sœur de deux ans plus jeune que lui, elle est plus concentrée vers Maman : elle aime sa famille, les méprise lorsqu'il le faut, mais jamais pour longtemps. Elle est honnête, mal cultivée et peu curieuse, mais elle est aussi intelligente et indépendante. Et moi, je suis en plein milieu : à moitié trop conne, et à moitié trop sure.