Chroniques d'une sortie de route volontaire-3
romualdmartin
Je n'ai pas écrit le début de l'histoire, je le sens pas de vous faire chier avec plus de quarante balais de tergiversations existentielles. D'un autre côté, je suis le premier qu'elles ennuient. Y a de la vie de famille, souvent de la merde servie sur un plat d'argent, y a de la vie de plaisir, de fuites, de défonces, d'amitié à la con, de faux semblants, d'errance d'ados jamais finies.
J'ai à peu près fait toutes les conneries des gamins de mon âge. Malheureusement j'avais l'obligation morale de taper dans l'excellence. Fallait assoir le mythe dans les yeux de mon troupeau. Je devais être le parfait cogneur, le plus grand alcoolique de la bande, le fêtard qui n'arrête jamais, le comateux qui comate plus, rien de la petite pucelle terrée au fond de la boite ne devait transparaitre.
Bah c'est loupé. Je ne sais pas dire bonjour ni merci, y a qu'au revoir que je sache faire correctement. Ca me fait un prétexte pour me casser des soirées de merde. Je peux quitter les raconteurs de vie assoupis aux comptoirs sans scrupules. J'en ai toujours ras le cul des soirées ou l'on se branle ensemble de peur de s'emmerder. Le « au revoir », c'est la vie, le ticket du retour à la normale. Je m'offre du silence, de l'air à respirer. Ça m'évite d'aller me planquer aux chiottes ou de cramer cinquante clopes sur un balcon. Je reste courtois et je me libère les pattes, plus personnes qui joue dedans. Ça me fait des culs dans le dos, mais c'est mieux qu'une chorale d'haleine quand on y réfléchit.
C'est tout seul que je profité de l'été. Il fait un peu lourd, j'en ai la chemise qui mouille autant que les petites putes qui se promènent le dos nus et le cul en l'air. Je bénie ce petit vent qui leur fait dresser les seins, elles sont en chaleur les garces, mais je suis pragmatique, ce n'est pas avec ma gueule que je lèverais un truc, ou alors une moche malade qui cherche à être achever d'un coup de piolet dans la chatte.
Je peux juste promener mes yeux, comme chaque jour, pas de jury aujourd'hui, la terrasse est vide, y a les cendars qui trainent et qu'attendent d'être fourrés.
Même rituel, un clope, un café, je saute de cul en cul, caressant l'espoir de sucer du nichon. J'ai rien à faire aujourd'hui, à part mesurer la lenteur du temps que se partagent ceux qu'on rien à branler. De temps en temps, je lève la tête, je regarde tous les maigres en costume, pressés d'aller payer leurs chaines à la sueur de leur front.
Moi aussi on m'a demandé de faire le mouton, je vous rassure. J'ai appris ma prière comme tout bon gamin dont la mère à vêler pendant les trente glorieuses.
« Cherche du travail, achète une maison, fais des mômes, met des fleurs à tes fenêtres, tond ta pelouse le weekend, caresse ton chien quand tu rentres fatigué vu que bonbonne baise plus, regarde un match et beugle comme un veau en descendant des bières, et n'oublie pas, une fois plus productif, laisse toi crever jusqu'à la retraite »
J'ai eu ces rêves comme tout crétin qui se respecte, le sacro-saint principe de gloire collective, là ou t'es quelqu'un si t'es comme tout le monde, je vous laisse mâcher le paradoxe, moi rien que l'odeur, ça me file la nausée.
Certains diront que j'ai perdu le match, que je n'étais pas motivé, ça les cautionne, leur fait croire qu'ils sont courageux, travailleur et méritant.si au moins je peux servir à ça. De mon côté ça n'est que de la conséquence logique, pas le moyen d'avoir une maison, logique, submergé par la flemme de mettre de côté depuis le deuxième jour de ma naissance. Puis, les fleurs ça pue, je ne suis pas du genre à mettre un dixième du PIB d'un pays d'Afrique dans une bagnole juste pour le loisir d'avoir à la laver à la moindre chiure d'oiseau. Je n'aime pas les chiens, ça gueule, faut ramasser leur merde dans des pochons, gentiment offert par la mairie de ton bled. J'ai une logique simple, si t'aime pas mettre tes mains dans la merde, bah t'achète pas un truc qu'en produit, comme si on ne passait pas suffisamment de temps les mains dans la sienne à se torcher le cul, à regarder ses chef d'œuvres de lendemain de cuite. Pas de maison, pas de pelouse, ça fait des weekends de gagner ou tu peux ouvrir un livre.
Reste les bières, ça je sais très bien m'occuper, parfois à tort, je plaide coupable. Mais bon, dis-toi que l'alcool c'est comme ta main pendant une bonne branlette, ça te trahis jamais.
Je vous invite pas à boire, chacun se démerde, par contre pour la branlette, foncez, ça vous évitera d'aller renifler du cul à n'importe qu'elle morue, d'aller peloter des derches quand ce n'est pas la saison, ou alors vendez votre baraque et claquer tout aux putes avec la gloire de soutenir le petit commerce.
La bière, c'est comme ça que je commence toutes les soirées. C'est mon tapis rouge vers l'entrée du festival. L'apéro te fait la bise et finit par te bouffer la langue sans te prévenir. Une fois que t'es de biais, tu te noie dans le pâté qu'on te file, tu finis par sucer les cornichons pour te sentir vivant. Le petit filet acide qui vient de rappeler que ne t'es pas juste un sac chargé a quatre grammes.
Apres l'entracte de bestioles crevées, y a les piliers qui débarquent en convoi, ils sont presque à se tenir par la ceinture, comme une cordée de poivrot, luttant pour ne pas se péter la gueule sur le premier trottoir qui traverse sans prévenir. On sort l'artillerie lourde, chacun se met aux commandes de son tabouret, bien décidé à ne pas lâcher sa position. Ils organisent des rondes pour aller aux chiottes, faudrait pas perdre un seul bon de territoire.
Moi généralement, je suis à l'autre bout, comme un outsider, je ne peux pas lutter avec ces mecs-là. Mais je suis poli, je leur souris et il m'invite au combat. Je lève ton verre d'une main, creuse ma tombe avec mes pieds, je sais que je ne me relèverais pas, c'est systématique.
Apres quelques litres en mauvaise compagnie, je fais comme eux, je chie sur ce que je ne suis pas foutu capable d'avoir, je me mets à haïr les gens que je ne pourrais jamais devenir, c'est le chant du cygne ou la complainte de la médiocrité, ça dépend de quel côté du zinc je me trouve et de l'heure qui l'est.
Puis arrive l'heure de trop, celle où je sors du rad en vainqueur. C'est le moment d'arpenter le trottoir pendant que la terre tourne encore un peu. Evidemment, de temps, ça m'arrive d'ouvrir la bouche, de poser des jalons dans lesquels j'évite de marcher ou de m'affaler. Arrive le temps de la petite bataille, celle de la honte ou je suis bien content d'être la dernière personne encore débout dans l'immeuble, debout étant un bien grand mot à cette heure-là. Ce grand moment de cinéma ou je ne suis pas foutu de mettre la clé dans la serrure, cette salope se débinant des que je m'en rapproche. Je me retrouve plié en deux, à savoir laquelle des deux serrures est la bonne, la vessie qui hurle, mon froc qui craint la trempette, j'en suis presque à danser du cul sur le palier.
La porte s'ouvre, pas le temps de recevoir ma médaille. Je cours aux chiottes pour rassurer le falzar et faire fermer sa gueule à ma pute de vessie. Ça faisait au moins deux ou trois heures qu'elle m'interrompait dans mes conversations, toujours à me dire que j'ai trop bu. Je dois avoir une vessie avec des ailes dans le dos. Elle allait jusqu'à m'empêcher de mater tranquillement les nichons de la meuf que je voulais dresser comme un drapeau au bout de ma bite. J'ai juste gagné à me faire traiter de gros lourd, j'accuse de l'embonpoint mais quand même. J'ai su me tenir, j'aurais pu prendre une gifle quand ma main s'est retenue d'aller chercher une olive imaginaire entre ses deux grosses loches qu'elle me foutait sous le nez.
Trop saoul pour baiser de toute façon, le serpent doit dormir. Tu l'accompagne, t'aime pas le voir triste. Enlever tes fringues, c'est un luxe que je ne peux pas tout le temps me permettre. Je suis sous la couette, j'ai la nuit qui percole dans le crane, le froid qui me gagne, je m'enroule, malade et je m'éteins pour ce soir.
Je me piquerais au café demain matin, baigné dans l'odeur de vinaigre.