Chroniques d'une sortie de route volontaire-4
romualdmartin
Ce n'était pas le bon jour, enfin ça aurait dû l'être. La veille au soir, j'avais eu droit à mes instants de gloire. Y a bien deux trois bourgeois qu'on voulut me piquer mon tabouret mais un regard suffisait, je pense que le poing levé en beuglant des conneries aussi. J'ai presque failli l'emmener pour aller pisser, mais les chiottes sont trop petits, meme pas pensés pour tirer quelqu'un. Pour peu que t'ai des grands bras, tu peux meme pas ta taper une queue. La soirée avait commencé gentiment, quelques verres de dégustation servis à la pinte, j'ai une grande gueule et presque un passe vip, ils le savent derrière le zinc.
J'étais donc saoul, rien de bien folichon, je parlais à qui le voulait bien, je faisais mon animal de foire avec les quelques radasses qui trainaient et épanchaient leur détresse sexuelle sur un coin de table. Perso, même saoul je ne serais pas passé dessus, je ne suis pas là pour défendre la cause animale. Je comprends, rien qu'à leurs chicots, que leurs mecs les aient lâché sur un tronçon de route où ne passent que des routiers en surdose de kilomètres.
La boutique a fermé, à peu près au même instant que mes yeux. On a fini par se foutre d'accord, j'ai lâché le tabouret, retrouvé mes jambes pleines de fourmis. J'ai levé la main, comme un bateau quitte le port et je suis parti, rempli de grâce et d'alcool de qualité.
Les trente-six marches qui me séparaient de mon pieu on pliée rapidement, il m'a suffi de lancer mon poids en avant et la gravité et la maladresse de mes genoux ont fait le reste. Je me suis affalé contre la porte, quelques secondes de petite bataille, la porte s'ouvre. J'ai fait un pas, je l'ai fermé d'un coup de latte, un demi-tour et hop dans le pieu en oubliant l'essentiel.
L'essentiel ce n'était pas d'aller pisser ni de me branler, c'était la fête des pères. Ouais, même les meilleurs ou les pires des arsouilles peuvent être papa. Ça n'a rien de compliqué, c'est juste une histoire de tringlerie et de calendrier. Ceux qui arrivent pas c'est surement qu'ils ne veulent pas de mômes, mais bon, si ils n'ont pas de volonté, c'est peut être mieux qu'ils n'en fassent pas. Si c'est pour que bonbonne accouche de moins que rien, de petits branleurs qui veulent rien foutre, ça vaut pas le coup, on a assez de glandu pour l'instant ici.
Le réveil sonne pas, la conséquence de se coucher et de s'oublier trop vite. Le soleil caresse le mur d'en face, me chauffe la gueule, je transpire de l'éthanol, comme souvent en ces jours de matin tièdes. J'ai le bras qui se tend par reflexe, trop dépendant de la technologie celui-là. Je choppe mon grelot, je regarde et l'heure me fait comprendre que j'ai encore chié.
J'ai deux gamines qu'attendent depuis deux heures sur le pas de la porte de mon appartement que je me pointe, fête des pères oblige.
Tu parles d'un père, une poivrasse vautré dans un lit qui laisse deux gamines en plan à une semaine de séparation d'avec leur mère, le daron modèle, modèle de chiotte, mannequin chez Jacob et Lafond. Je me sentais un peu coupable, pas le temps de prendre de douche, même si, franchement, pour l'odeur, j'aurais pu faire un effort. J'étais en retard de toute façon, valait mieux arriver à la bourre mais avec de l'aftershave bas de gamme sous les oreilles. Ca évite le coté sac à merde à la réception du colis.
Je me sape, avec mes fringues odeur de fête, tabac froid, sueur et vinasse et je prends la route, enfin la route c'est un bien grand mot, ça n'avait rien d'héroïque, je me suis enfourné dans le métro.
Le métro, ici, c'est Bagdad certains jours, pas à cause des arabes sapés en robe, ça je m'en branle tant qu'ils me forcent pas à la porter, je parle au niveau température. Sa majesté le chauffeur a le doigt sur le bouton de la clim mais préfère nous regarder suer dans ses petits écrans, il doit kiffer les gonzesses qui suintent de l'entrejambe. Elles par contre, se retrouver le pif collés sous les aisselles de mecs comme moi, ça leur ruine un peu la journée. Mais bon, c'est le chauffeur qui décide, c'est lui le patron, il peut meme décider de plus nous emmener en cas de soucis. Ça donne envie de transformer le droit de retrait en droit de lui foutre mon poing dans la gueule.
Apres quarante-cinq minutes de cuisson, je ressors en puant plus qu'en arrivant.je m'excuse platement pour ceux que j'ai croisé. Je sors de la station, prend mon courage à deux mains. Je ne sais pas si je m'en voulais plus d'avoir picolé autant ou de louper la fête de pères, mais je me sentais merdeux.
C'est d'ailleurs le premier truc que j'ai fait en arrivant. J'ai sonné, les sphincters à l'agonie, mon ex ouvre la porte, je me fends de trois mots d'excuse, on me dit que ce n'est pas grave, hop, direction les chiottes pour quelques litres de spray maronnasse. Désolé les filles si un jour vous lisez ce truc la, mais c'était ça ou vous auriez tapé les bisous à un daron couvert de merde.
J'ai pu lire deux fois le journal avant d'être sur d'être bien vide. Le cul propre, les mains lavées, un coup de flotte sur la gueule, je ressemblais à peu près à un père, à une haleine de poney près.
J'ai eu droit à mes cadeaux, elles m'auraient chié dans les mains je l'aurais pris comme le plus cadeau du monde vu mon arrivée, mais non, elles avaient pris le temps de me faire des petits trucs, m'ont seriné qu'elles ne m'en voulaient pas etc. j'étais le seul con.
J'ai pris mes présents, on a bouffé ensemble, tous les trois, comme si rien ne s'était passé, ni entre moi et leur mère, ni entre moi et la picole, ni entre moi et les chiottes.
C'était une belle apres midi finalement.