Chroniques d'une sortie de route volontaire-6

romualdmartin

chroniques de ma promenade dans le monde des vivants

Cela faisait quelques jours que j'étais en squat dans une piaule du côté du 11eme. Ce n'était pas vraiment chez moi, du coup, je n'y venais que pour pioncer et le reste du temps c'était de la tournée de terrasse, de verres à boire, de bouquins à lire et de temps à tuer. Le proprio a dû avoir pitié et m'a dit que, comme pour l'instant personne n'en voulait, il me la prêtait, le temps que je me refasse, comme si j'étais démonté par trop d'errance.

Fallait nettoyer un peu, dormir sur une paillasse, c'est pas gênant, c'est mieux qu'un banc, qu'un trottoir ou une bagnole, mais une paillasse au milieu des poubelles des autres, ça devenait chiant. Les murs de l'appart puaient l'aftershave faisandé, le sol était invisible sous les moutons de poussières, bienvenu à « crasse land ».

Je me suis levé un matin, plutôt frais, pas d'alcool la vielle, la purge ca a du bon quand t'as l'espoir de te ressaisir. Me voilà parti pour le ménage. J'ai commencé prudemment par un état de lieux, enfin c'était plutôt une longue liste de merde à jeter en se pinçant le nez.

Le seul truc qui manquait au décorum c'était un cadavre sous l'évier. J'ai attaqué par la vaisselle, elle était bien morte depuis 10 ans. Un gros sac et tout à la benne, autre chose à branler que d'extraire des nouilles de la faïence. J'avais beau avoir eu des rêves d'archéologue quand j'étais môme, aujourd'hui, fallait être efficace et au moins faire de la place pour pouvoir faire deux pas sans rencontrer une bouteille vide ou des conserves malades. Même l'air semblait avoir dépassé la date limite de consommation.

Tout était mort, comme la dignité de l'ancien locataire, la cafetière, le frigo. C'était mon Tchernobyl, mais j'étais du mauvais côté de la frontière.

Sans café je me réveille pas, je suis même plus chiant que la moyenne nationale et de loin. Je me rue sur la cafetière, je vire le filtre sale, je passe le tout sous l'eau, je me dis « fait toi un jus et tu seras dispo pour le débarquement du monsieur propre qui pionce en toi», premier échec. Le filtre avait eu le temps de fossiliser, obligé de le décoller au pic à glace, comment perdre vingt minutes au lieu de la foutre en l'air et d'en racheter une trente balles.

Une fois démoulé, direction poubelle, je fais la chasse aux champignons dans le broc. Fallait voir ça, on aurait dit un mini terrarium, y avais presque des arbres la dedans. Je te vide tout ça dans les chiottes et je les vois, les champignons, qui s'agrippent aux parois des gogues, bien décidé à ne pas mourir. Je les menace avec la chasse, la flotte tourne et, rien à foutre, les voilà en varappe.

En soi, pisser ou chier sur de la verdure je m'en fous, mais c'est qu'ils puaient ces fils de putes. J'avais trop peur qu'en lâchant une pèche ils viennent se coller à mon saint anus. J'attrape le premier produit que j'ai sous le bras, celui qui est censé enlevé toutes les taches que tes sales gosses font sur leur fringues ou sur les murs de ta baraque, j'en verse un litre, ça fume. Le mélange javel champignons, ce n'est pas franchement le petit déjeuner rêvé. Re chasse d'eau, toujours rien à foutre, ils tenaient. De colère j'ai fermé le couvercle en les laissant dans le noir, ils finiraient par lâcher, ce n'est pas trois champottes qui vont faire la loi, surtout pas dans mon lieu d'aisance.

La cafetière c'était mort, rien à faire, je fous tout dans l'évier à tremper, essayant de pas trop y penser, je me dis juste que le prochain café va encore me couter 4 balles à une terrasse de beauf.

Ce matin-là, tout avait décidé de me casser les couilles. Déjà il faisait une chaleur intenable pour moi. C'était le plan ou tu lèves un bras et tu perds un litre de flotte en transpiration, quoi que tu fasses, tu sais que tu finiras la journée en puant.

Je regardais la cafetière se noyer, essayant de ma motiver au reste du champ de bataille, le sol. Des cadavres de fin de repas, de fringues, de je ne sais pas trop ce que c'est étaient également étalés partout, j'ai presque failli allez acheter une pelle à neige et tout foutre par la fenêtre. J'ai mis mes plus beaux Mappa. Le t-shirt crade, les gants et la transpiration, j'avais le look parfait du geôlier sous Pinochet.

J'ai sorti des sacs et des sacs de merde. Des mouchoirs collés du foutre des anciennes soirées de célibataire aux conserves à moitié bouffées sous le canapé, tout est parti rejoindre le paradis de la poubelle. C'était ça ou je préparais une pâtée toxique pour l'enculé de chien qui passe sa nuit à aboyer. Il a eu de la chance, je n'avais pas de casserole propre.

J'ai viré au moins 300 litres de saloperies en tout genre, des médocs frelatés de 10 ans, le truc qui te flingue plus qu'il te soigne, soixante-quatre paquets de lessive entamés, deux rouleaux de pq avec lesquels on s'était essuyé sans les dérouler, du cadavre de souris. Comme un fossoyeur, j'ai creusé la merde jusqu'à trouver le tapis. Lui aussi avait été victime du célibat. Il était couvert de peluches de kleenex, tu sentais les soirées ou le foutre tombe de la table et tombe par terre, et vas-y que je t'essuie ca vite fait et que je foute le kleenex râpé sous la commode. J'aurais pu le tondre comme un mouton, mais plonger mes mains dans le foutre mort, ça ne m'inspirait pas, j'ai fait un joli rouleau avec le tapis et je te l'ai viré par la fenêtre sous le nez de la voisine, la cinquantaine aux doigts usés par d'autres d'aller-retour solitaires.

Elle m'a regardé, j'ai eu beau lui sourire, elle a rien décroché. Je lui ai dit que le tapis par la fenêtre c'était provisoire, que je le mettrais à la benne tout à l'heure, qu'elle pouvait allez trouver autre chose pour s'occuper ce matin. Mon sourire, les gants, la sueur tout ça l'a fait fuir, dommage qu'elle soit pas souriante, quand elle est partie ce réfugier, j'ai eu le temps de regarder son cul, par spécialement le plus en vue, mais ça vaut toujours mieux qu'une queue dans une douche crade.

Après quelques combats d'entre les lattes, j'avais un sol, j'ai même pu enlever mes godasses sans craindre de ruiner mes chaussettes. Il me restait la décharge à finir. J'aurais dû celer le frigo et le faire passer par la fenêtre lui aussi. Quelle idée à la con de vouloir l'ouvrir. Dommage que l'on ne puisse pas écrire en odorama, c'est la page ou vous auriez commencé par tousser jusqu'à finir par lâcher une pizza tiède par terre. Je l'ai fait pour vous, ça m'a pris le nez comme un chien bouffe un chat.

Le plat de ce qui devait être des rillettes trônait au milieu du frigo, couvert de pelouse, puant la mort. Il m'a regardé, a souri je crois, j'ai dégueulé. Il m'a fallu du courage pour y foutre les pognes, poubelle directe, je te la ceinture pour ne pas empester dans la rue. Elles ont eu droit à leur voyage en solitaire jusqu'à la benne, l'odeur a fini par se fondre avec celle du resto chinois d'à côté. Je les ai camouflés avec le tapis. Les éboueurs penseraient surement trouver un cadavre en levant le couvercle, ca m'a fait marrer, pas la grosse à la fenêtre.

Quelques milliers de coup d'éponges plus tard, quelques heures d'aspirateur plus tard, quelques litres de sueur plus tard, quelques bières plus tard, j'avais un temple ou je pouvais rester à rien foutre, je pouvais aussi y rester et vous écrire ces quelques lignes.

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