cimetière

Camille Catelan

bribe, une de plus, de je ne sais quoi

Je l'observais posté devant une large tombe de granit noir, une sorte de tombe conjugale à deux places. Il y avait des nuages, il avait gardé ses lunettes de soleil, et je me demandais pourquoi il restait piqué devant la tombe des Larmeroux et Robert. Les bouquets desséchés encore entourés de plastique qui allait mettre un siècle à se décomposer, tellement plus longtemps que les fleurs et les corps, étaient sordides. Sans toutes ces fanfreluches, la pierre aurait eu quelque chose de solennel. Ainsi décorée elle inspirait la tristesse et mettait en évidence le mauvais goût de nos cérémoniels. Dix minutes s'étaient écoulées, toujours aucun mouvement significatif du jeune homme. J'avais cessé de le fixer, laissant mon regard parcourir la sépulture Bullier, puis celle des sœurs fidèles compagnes de Jésus. Clairement, il ne pouvait s'agir d'un habitué, trop hésitants avaient été ses pas à l'approche. Ce n'était pas sa famille qu'il allait voir, vêtu en parfait touriste, rien d'un Parisien, même très probablement américain. Il a fini par s'en aller en direction opposée de mon banc, d'un pas lourd réduisant les semelles en mousse de ses tongues à des crêpes chavirées de quelques millimètres d'épaisseur. Je me suis toujours perdue dans les détails. Pas moins de trois insectes étaient venus me rendre visite lors de ma pause, je les observais eux aussi avec attention avant de les chasser. Il fallait que je décampe avant le prochain passage de touristes. Même si j'avais soigneusement choisi mon banc de façon à être situé dans le coin le moins passant du cimetière, quelques coriaces visiteurs finissaient toujours par débouler, motivés par les noms des célébrités, partis sur la lancée de Simone et Jean-Paul en début d'allée. Il y avait aussi les employés, ceux qui s'occupaient de l'entretien des tombes. Celui qui me donnait des frissons était le tailleur de pierre, toujours vêtu d'un sweat à capuche porté capuche rabattue lors de ses opérations d'inscriptions. Je n'ai jamais réussi à voir son visage. Accroupi dans les espaces étroits en pleine mer de dalles, le bruit de ses outils alerte de sa présence. Lui, après, s'efface alors que les noms des morts restent, et les chiffres. Pour finir il arrose la tombe qui ensuite sèche comme si une pluie s'était abattue rien que sur elle. Les nuages justement ont commencé à se faire orageux, l'air était chargé d'humidité. A la sortie, j'avais l'impression d'être dans une autre ville, ville au climat tropical, métropole-jungle du futur, où les sommets des grattes-ciels disparaissent dans la brume opaque. Le haut de la tour Montparnasse n'était plus visible, on pouvait l'imaginer infiniment plus haute, une colonne-ascenseur vers l'ailleurs. J'ai cru un instant que la maison d'édition où je travaillais avait été remplacé par une entreprise de pompes funèbres - respect et tradition - mais ce n'était qu'au prochain coin de rue qu'il fallait tourner. Implacable rappel: les bâtiments ne disparaissent pas, la réalité des villes est en béton et les façades numérotées. Après la pause déjeuner au cimetière, je suis retournée à ce qui avait gardé l'apparence d'une usine, mais qui à l'intérieur recelait des machines à café et des écrans. Les livres, produits finis, étaient stockés ailleurs, quelque part en banlieue.

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