Cimetière

versolite

Dust in the wind

On a franchi la grille du cimetière, de nuit.

J'ai oublié l'heure. Je tiens à la main une lanterne, qui s'allume sur un côté, diffusant une lumière blanche aveuglante. Le couloir de tombes nous apparaît, on avance comme des automates.

Sur mes épaules, une polaire, un manteau de laine sont jetés. Deux foulards - la nuit sera bien plus froide quand on aura rejoint les lits. En marchant, je lève la tête - je me la déboîte - pour voir les étoiles. Sur Paris, bien sûr, on les voit jamais. Ici elles sont tellement nombreuses que je ne peux pas les quitter des yeux. Quand je suis sortie de la Maison des Korrigans, le spectacle me paraissait merveilleux, mais là, dans le cimetière, entre les graviers plongés dans le noir et le ciel, entre les morts et l'infini de l'univers, la sensation est moins agréable. 

J'avance pour voir les tombes. Ma dernière visite à un cimetière ne remonte pas à si longtemps, mais je me rappelle avoir eu plusieurs fois la pensée d'y retourner, quand je passais à côté de celui longeant la maison d'une amie.

Cette dernière fois, c'était dans un coin que je ne connaissais pas, en attendant un bus qui me mènerait à nulle part, pendant l'été. J'étais fatiguée, à bout de patience, mais comme maintenant, j'appréciais ce petit goût de liberté. Ce moment où je ne savais pas tout à fait où j'étais, mais où j'avais le temps devant moi pour ne rien faire.

Comme cette dernière fois, je lis les noms. L'obscurité étant, je les éclaire avec ma torche, qui diffuse sur ces pierres lisses sa lueur blanchâtre, n'aidant pas à la lecture. Je suis comme une archéologue fouillant un nouveau site, sensation renforcée par les marques d'usure sur les pierres, rendant encore plus laborieux le déchiffrage de ces inscriptions.

On redresse des fleurs en pot qui sont tombées à cause du vent, on discute calmement. Pas tristement, mais avec une solennité qui nous est étrangère, qui nous vient ici, dans ce cimetière, de nuit, avec la conscience de tous ces gens autour de nous qui ne se relèveront jamais, et qu'il nous faudra rejoindre un jour ou l'autre. Nos voix d'une gravité résignée font comme ce mélange entre les étoiles et les tombes : elles me tournent la tête, me donnent le besoin de fermer un peu les yeux.

Heureusement, bientôt, il reçoit un appel, et c'est la petite réalité triviale de notre vie parisienne qui nous fait remarquer qu'elle est toujours là, à nous attendre. C'est à quelques kilomètres en voiture, mais ça nous semble le bout du monde.

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