cinquantenaire sanglant
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CINQUANTENAIRE SANGLANT
Il était 20h lorsque le colonel Avembe décida d’écourter la séance télé en famille pour monter se coucher. Il était invité à la tribune d’honneur le lendemain à l’occasion du défilé de la fête nationale et tenait à avoir une forme impeccable. Du haut de ses 72ans il en avait connu des défilés, mais celui de cette année était exceptionnel. C’était le cinquantenaire des indépendances et la nation avait décidé de rendre la fête mémorable. Après s’être assuré que son costume était bien prêt selon ses consignes il s’allongea dans son lit et éteignit les lumières. Le sommeil ne tarda pas à l’emporter. Il devait être endormi depuis une quinzaine de minutes quand soudain du fond de son inconscient il perçut une voix aigue, aérienne :
-Avembe !
Il ouvrit brutalement les yeux et fut frappé par l’épaisseur des ténèbres autour de lui. Normalement la lumière du couloir aurait dû filtrer sous la porte et la pâle lueur de lune à travers le voile léger des volets.
-Qui est là ? Hasarda t-il, inquiet.
-Tu le sais très bien !
Une voix sans timbre qui lui glaça le sang.
-Qui êtes vous nom de Dieu ! Hurla t-il paralysé par la peur. Cette voix ne lui était guère étrangère et il priait le ciel afin que ses sens l’aient trompé.
-Tu es sûr d’avoir envie de nous voir ?...
« Nous ? » songea t-il en jetant un regard épouvanté autour de lui, tandis que son vieux cœur commençait à battre dans sa poitrine comme une vieille horloge déglinguée. Il se leva soudain et se rua vers l’endroit où normalement devrait se trouver la porte. Mais il se heurta contre un mur épais. S’étant retourné il courut affolé jusqu’à la fenêtre. Elle n’y était pas. La terreur l’envahit et il se mit soudain à rire. Un rire étrange. Le rire d’un mec qui n’est pas loin d’avoir atteint le fond. Soudain il s’arrêta. Un rire encore plus terrifiant venait de retentir. Un rire enfantin, aigu, diabolique.
- Souviens-toi le 22 mars 1961 !...
Oh comme il s’en souvenait ! Un souvenir pénible. Non ils ne pouvaient pas lui pardonner. Il avait toujours su qu’ils reviendraient. C’en était fait. Alors qu’avec horreur et certitude il imaginait ce qu’ils lui feraient, des formes spectrales d’épouvantails en décomposition commencèrent à prendre corps dans le noir. Soudain la folie s’empara du vieux colonel. Il porta ses mains à sa tête et se mit à hurler. Un hurlement sauvage. Le hurlement d’un loup à l’agonie. Quand il s’arrêta ce fut en même temps que son souffle affaibli de vieillard.
-Ton verdict Hans ?
-IL s’agit vraisemblablement d’un arrêt cardiaque fit Hans d’une voix grippée.
- On dirait bien qu’ils ont tous vu un fantôme ce soir !
-Tous ?
-C’est le sixième mort de cette nuit. Paul et Arnaud sont sur les autres cas. On a hésité à t’appeler à cause de cette satanée grippe. Mais avec six morts sur les bras crois- moi on avait plus le choix !
-Et quel est le verdict des autres ? Demanda aussitôt Hans qui détestait par-dessus tout qu’on le mit sur la touche et peu importait le prétexte. Il était le légiste principal du commissariat et tout le monde savait qu’il était capable de sauter de son lit à 3h et demi pour le boulot. Le petit enquêteur avait voulu lui épargner le grand froid des nuits de Mai. A sa question il haussa négligemment les épaules avant de dire :
-Même chose, arrêt cardiaque !
-Et tu ne trouves pas curieux toutes ces coïncidences ?
–Si justement ! Et tu ne sais pas la meilleure. Tous sont morts en l’écart d’une heure !
Hans lui fis une tape vigoureuse dans le dos.
-Mon vieux ça, ça sera l’enquête de ta vie !
Le commissaire Afane fit irruption dans la pièce, de mauvais poil. C’était un bonhomme grincheux qui détestait qu’on l’arrache de son sommeil.
-Cinq morts de crise cardiaque en une nuit. C’est quoi toutes ces conneries ?
-Vous faites bien de vous interroger commissaire parce que le mec d’ici a lui aussi succombé à une attaque.
-Seigneur ! Murmura le commissaire, horrifié. Y a-t-il des témoins ?
-Non !
-Et la dame qui a appelé au poste l’avez-vous interrogé ?
-Oui, répondit le petit enquêteur. C’est la domestique. Ils ne sont que deux à la maison. Il parait que notre bonhomme était veuf depuis quelques années. Et tous ses fils vivent à l’étranger. Alors pour pas être trop seul la domestique vivait avec lui. C’est elle qui a découvert le corps étendu sur le lit.
- Que faisait –elle dans sa chambre à une heure du matin ? Rugit le commissaire, suspicieux.
-Elle dit qu’elle n’arrivait pas à trouver le sommeil et s’est rendue à la cuisine pour boire un verre de lait. Elle a remarqué qu’aucune lumière ne filtrait sous la porte, ce qui était inhabituel. Parait que notre homme était un claustrophobe. Une fois elle a failli perdre son boulot pour avoir oublié d’allumer le soir. Elle a donc décidé de vérifier.
-Et vous l’avez cru ! Rugit à nouveau le commissaire/.
-A votre place j’y croirai aussi hasarda Hans. Ne trouvez vous pas étrange qu’à 69 ans un type soit claustro ? De quoi avait donc peur Ossiffafa ? Je crois que c’est la question que vous devriez vous poser. Quant à moi je vais devoir disposer si vous n’avez plus besoin de mes services.
-Tu peux t’en aller Hans. Et pour l’amour de Dieu soignes moi cette grippe !
-Allez salut!...ou plutôt à tout à l’heure. J’espère que les morts de cette nuit ne gâcheront pas le cinquantenaire !
Aussitôt après son départ, le petit enquêteur resta un moment dubitatif. La dernière remarque de Hans l’intriguait soudain. Et si quelqu’un voulait réellement gâcher le cinquantenaire ? L’accession à l’indépendance n’avait pas fait que des heureux ! Et si finalement quelques nostalgiques de la période coloniale avaient décidé d’exprimer leur rage en marquant d’un sceau funeste la célébration à venir ?
-Dites commissaire, n’avez vous pas remarqué que les victimes de cette nuit étaient toutes de hauts gradés de l’armée ?
-Oui et c’est très étrange. Pensez vous qu’il puisse s’agir d’un même responsable dans tous les cas ?
-Autrement comment expliquer toutes ces coïncidences… ?
-Vous avez peut être raison. Une piste ?...
-Possible mais je dois d’abord en être sûr. Et si ce à quoi je pense est réel nous auront une nouvelle victime dans…mon Dieu 39minutes ! Vite j’ai besoin de vous !
-Qu’ai-je à faire ? Demanda le commissaire.
-Appeler tout de suite le mindef. J’aurai besoin d’une autorisation pour fouiller dans les archives du ministère !
-Que compter vous trouver là ? S’étonna le commissaire.
- Faites-moi confiance. Croyez-moi, je sais ce que je fais.
Il semblait si sûr de lui que le commissaire capitula.
-Très bien mais faites gaffe de ne pas me rendre ridicule !
Il sortit aussitôt et appela le mindef. L’instant d’après le petit enquêteur avait son quitus.
-Alors ?...S’enquit le commissaire aussitôt que le petit enquêteur les rejoignit dans la salle de conférence du mindef. Deux enquêteurs du ministère leur avait été imposés pour la fouille.
-Le cartel f ! Fit le petit enquêteur en prenant place autour de la table. Ca vous dit quelque chose ?
La plupart des personnes présentes étaient bien jeunes et n’en savaient rien. Le petit enquêteur lui-même n’en connaissait l’histoire que grâce à son incomparable culture.
-C’est pas ce regroupement d’anti indépendantistes d’il ya une cinquantaine d’années ?
-Bravo commissaire ! Félicita le petit enquêteur. L’histoire dit qu’ils étaient une petite centaine. Des concitoyens qui du temps du colonialisme jouissaient d’une situation plus que privilégiée auprès des colons auxquels ils obéissaient et du peule qui leur était assujetti. Ils étaient un peu comme leurs bras droits. Aussi voyant dans l’indépendance un danger pour leurs positions ils s’y opposèrent farouchement. Et lorsque le pays acquis quand même son autonomie ils se retranchèrent dans les forêts de l’Est avec pour seul objectif de s’organiser et de reconquérir le pouvoir par la force. Ils se firent appeler le cartel f. Cependant ils ne purent accomplir leur funeste dessein car très vite l’Etat décida de résorber la révolte. Le 22 mars 1962 le bataillon salvation conduit par Bata Siméon aujourd’hui général fut lancé dans la jungle avec pour mission de capturer les membres du cartel. Mais au lieu de respecter l’ordre les soldats procédèrent à l’exécution du cartel. De retour de la mission Bata Siméon faillit être inculpé par le tribunal militaire, puis sans qu’on ne sache trop pourquoi l’affaire fut étouffée. Une seule version fut rendue officielle : les soldats avaient ouvert le feu en riposte aux attaques des rebelles. On s’y habitua et même l’histoire finit par effacer ces événements de la mémoire collective. Pourtant en 1982, 20 ans plu tard les membres du bataillon salvation perdaient la vie dans l’explosion d’un chalutier au large de Bakussi. Personne ne se fit le rapport avec les événements du 22 mars 1962. Et je viens de faire une découverte époustouflante. Tenez vous bien : nous sommes la veille du cinquantenaire et 6 membres sur les 10 survivants de l’explosion trouvent la mort de façon mystérieuse.
Le commissaire bondit littéralement de son siège :
-Quoi ? Vous voulez dire que tous les morts de cette nuit étaient des membres de ce fichu bataillon ?
-Vérifiez vous-même ! fit le petit enquêteur en lui passant un dossier sorti des archives. Le commissaire le détailla rapidement des yeux. A la fin il fit un constat affreux.
-Bon sang si vous avez raison eh bien ils ne sont plus que trois types à descendre !
-Plu tôt quatre, rectifia le petit enquêteur.
-Non, insista le commissaire. L’un des quatre rescapés, le colonel Fopoussi, est décédé il ya 5 ou 6 ans je crois…Il avait un cancer de la prostate.
-En voilà au moins un qui a eu une mort naturelle !
-Excusez moi fit l‘un des militaire si je vous comprends bien ces types auraient été tués par des complices ou tout au moins des personnes qui veulent venger le cartel ?
-Non. Ce que je crois, fit le petit enquêteur c’est que ces hommes ont été tués par les membres du cartel en personne !
-Vous rigoler j’espère…
-Je suis au contraire très sérieux.
Un silence de mort s’installa dans la pièce.
-Alors, hasarda quelqu’un, ces types ont été tués par des fantômes ?
-Ca expliquerait bien la peur inscrite sur leurs visages !
Le silence se fit encore plus pesant. Pendant un moment l’air sembla comme chargé d’électricité. Ce fut le commissaire qui finit par le briser.
-Alors que faire dans ce cas ?
-Aux problèmes spirituels solution spirituelle ! Nous auront besoin d’hommes de Dieu !
-Il n’y a vraiment aucune autre solution ? Fit le commissaire, dubitatif.
-A moins que nos armes puissent venir à bout de spectres je n’en vois pas d’autre !
-Bon sang, je n’avais jamais pensé de toute ma carrière arriver un jour à de telles stupidités !
-Il sera 2heures dans 15 minutes ! Avertit quelqu’un.
-Alors qu’attendez-vous bon Dieu ? Appelez un prêtre ! Hurla le commissaire.
-Vu qu’on ignore où le cartel va frapper cette fois je pense qu’il en faudra trois, suggéra le petit enquêteur
-Alors qu’on en appelle trois une bonne fois pour toutes ! Et donnez directement à chacun d’eux l’une des adresses suivantes : Essame Ferdinand, le colonel Papouta Alihou … je crois que c’est le secrétaire d’Etat à la défense Bata Siméon…
-Pardon commissaire, objecta quelqu’un, je pense que l’adresse du général Essame ne nous sera d’aucune utilité. En ce moment même il est à paris où il doit subir une chimiothérapie…
-Alors qu’on m’apporte un téléphone avec son numéro toute suite ! Et demandez à l’un des prêtres de se rendre ici…ou plutôt dites lui de se rendre au rond point cossova. Nous l’y prendront directement !
Dix minutes plu tard les équipes divisées rejoignaient chacune sa cible. Le commissaire conduisait l’équipe qui s’était rendue chez le colonel Alihou et le petit enquêteur celle qui allait chez Bata Siméon. Joints au préalable par téléphone les deux hommes ne furent pas surpris de les voir. Tandis qu’Alihou installait ses visiteurs le commissaire essaya de nouveau de joindre le général Essame. Il avait essayé en vain sur le chemin mais cette fois ce fut la bonne.
-Ferdinand Essame ! fit une voix légèrement fatiguée au bout d’un moment
-Ici le commissaire Afane depuis le Cameroun. Veuillez m’écouter très attentivement mon général. Nous n’avons que peu de temps. Cette nuit six des survivants du bataillon salvation viennent de trouver la mort, chacun en l’espace d’une heure. Et nous craignons que vous soyez le prochain sur la liste. Nous avons un homme de Dieu avec nous. Il vous dira ce que vous avez à faire. Je vous le passe…
A peine l’homme de Dieu eut il porté le combiné à son oreille qu’il fut submergé d’une salve d’injures. Il ne put retenir que quelques élucubrations véhémentes : menteurs éhontés ! Jaloux ! Vous croyez me faire peur avec vos sornettes ? Sortez de l’ombre et osez vous montrer en plein jour ! Bandes de lâches !
Puis on raccrocha violemment.
Ils essayèrent de rappeler sans succès. Le général avait pris soin de laisser le combiné décroché.
-Merde ! Jura le commissaire, ce type va se faire descendre comme un clown !
-Alors c’est sérieux tout ça ? Balbutia Alihou, angoissé.
Depuis que les policiers lui avaient briefé la situation la terreur l’avait envahi. Il avait aussitôt ordonné à sa famille de monter s’enfermer dans le grenier.
-Ouais plus que sérieux ! Fit le commissaire. Maintenant vous allez faire exactement ce que le prêtre va vous ordonner. Il nous reste à peine deux minutes avant que le cartel ne frappe de nouveau.
En apprenant qu’il lui restait peut être seulement deux petites minutes à vivre le colonel perdit son sang froid.
-Je le savais ! Hurla t il comme un dingue, je le savais qu’après la mort des autres dans cette fichue explosion nous allions aussi y passer ! J’avais beau leur dire que cette explosion ce n’était pas normal, personne n’a voulu m’écouter. Mais je savais moi que c était le signe le signe que le cartel allait prendre sa revanche. Et maintenant c’est notre tour !...
Puis sans réfléchir il se jeta aux pieds du prêtre :
- Sauvez-moi mon père ! Sauvez moi je vous en supplie ! Je ne veux pas mourir non ! Je ne voulais pas tirer… Je savais que c’était injuste mais je n’ai pas eu le choix. Dans l’armée les ordres c est les ordres. Dites leur de m’épargner je vous en prie…
Il semblait au bord de l’hystérie. Le prêtre posa une main chaleureuse sur son épaule :
- Calmez-vous mon fils. Nous allons prier le Seigneur !
Les lumières s’éteignirent soudain. Le commissaire murmura :
-Seigneur !
Le général Bata Siméon n’accueillit pas la police avec le même enthousiasme qu’Alihou. A peine le petit enquêteur et sa suite eurent-ils été introduits dans la demeure qu’il se mit à leur crier dessus.
-Oui j’ai donné l’ordre de tirer et alors ?...Hurlait-il comme pour se défendre contre sa propre conscience. C’était des antipatriotes. La mort c’est tout ce qu’ils méritaient ! Et je le referai sans hésiter si j’avais à recommencer. Et fantômes ou pas j’hésiterai pas à les buter à nouveau…
-Ecoutez, hasarda le petit enquêteur, nous sommes là pour vous aider…
-J’en ai rein à foutre de votre aide, rugit il. J’ai mon flingue et c’est plus qu’assez pour me débarrasser d’un pseudo cartel fusse t-il même nommé f. Maintenant vous allez me faire le plaisir de débarrasser le plancher !
-Ne soyez pas inconscient je vous en prie…
-Inconscient moi ? Tonna soudain le général comme si on venait de lui jeter de l’eau froide en plein visage. Mais qui êtes vous pour vous autoriser le droit de me parler ainsi ? Vous savez au moins à qui vous vous adressez ? J’ai combattu moi pour libérer ce pays, pour que des types dans votre genre puissent dormir en paix dans la quiétude et la sécurité qu’offre un Etat indépendant ! Et parce que grâce à mon travail vous jouissez aujourd’hui de la possibilité de gagner deux galons dans un pays stable et libre vous avez le toupet de vous présenter devant moi pour me traiter d’inconscient ?...
A son tour le petit enquêteur perdit son sang froid.
-Ne confondez pas général je vous prie la force et la sagesse, parce que si en aviez un peu il ya cinquante ans vous auriez compris qu’on ne tire pas sur des gens à cause de leurs convictions fussent elles antipatriotes !
-Eh bien je vais vous apprendre une nouvelle cher ami, enchaîna le général, il arrive un moment où seule la force reste l’issue. Et si vous ne l’avez pas encore compris ne soyez pas étonné de n’être pas encore monté commissaire !
C’en était trop. Le petit enquêteur lui envoya un coup de poing en plein visage. Alors que le général, surpris, s’apprêtait à riposter les lumières s’éteignirent. 2heures venait de sonner. L’heure du cartel était arrivée.
Le général Essame se retourna dans son lit, espérant que cette fois il trouverait enfin le sommeil. Depuis sa conversation téléphonique avec ses interlocuteurs qu’il prenait pour de petits rigolos qui voulaient l’emmerder, une sourde colère anesthésiait ses neurones et l’empêchait de trouver le sommeil. Il savait que cette fureur n’tait pas bonne pour son cerveau qui souffrait déjà d’un début de cancer pour lequel il avait subi le matin même une chimiothérapie. Il se mit à penser à la jolie infirmière qui allait passer le voir le lendemain matin afin de retrouver son calme. Ce fut presque réussi. Et pourtant alors qu’il allait retomber dans les brumes du sommeil il perçût comme un bruit de pas dans le couloir. Il tendit l’oreille soudain inquiet. C’était un bruit très étrange. On aurait dit des pas de vieux souliers d’une cohorte de soldats. Il se souvint soudain que les antis indépendantistes en &santé ! Près de la porte les pas s’arrêtèrent. Il attendit, le cœur en branle bas.
-Qui est là ?
Le silence qui s’en suivit lui fit encore plus peur que le bruit des pas. Et tandis qu’il commençait à se demander ce qui allait se passer, de sombres spectres commencèrent à prendre forme dans le noir. Il leva le bras en direction de l’interrupteur mais une douleur dans la poitrine le fit retomber. Il porta sa main à son cœur et se mordit cruellement les lèvres. Non il ne rêvait pas. Tout ça était bien réel. D’ailleurs comment pouvait-il en être autrement puisque les types portaient encore sur leurs guenilles les marques des balles reçues sur le poteau d’exécution ? Et puis cette puanteur…On aurait dit une odeur de souffre mêlée à celle de pourriture.
Et cependant ce ne fut pas cette vision apocalyptique qui brisa soudain la coquille fragile qui retenait la démence du vieil homme. Non, ce ne fut pas ces guenilles encrassées digne d’un rodéo d’horreur qui voulurent arracher à sa gorge ces hurlement d’horreur qui refusaient de partir, mais les visages…Des visages patibulaires tapis derrière l’ombre désastreuse d’une colère ancestrale, des visages marqués de balafres évoquant de sombres rites diaboliques…D’impitoyables masque de haine et de terreur.
Le vieux colonel prit sa tête entre ses mains et se mit à hurler. Un hurlement sauvage. Le hurlement d’un loup à l’agonie. La troupe infernale se mit à s’avancer vers lui. Essame Ferdinand se couvrit instinctivement la face. Et cependant avant même que les mains immatérielles ne s’acharnassent sur lui il sut que ce n’était ni la puanteur d’outre tombe que trainait la sombre cohorte, ni leurs doigts qui se rapprochaient comme de vilains crochets qui allaient le tuer, mais sa propre terreur. L’instant d’après une double douleur lui fendait la tête et le cœur et le tua. Avant de mourir il se souvint du commissaire. Comme il avait raison ! Comme tous ces ragots lui semblaient soudain vrais !
La nouvelle de la mort du général Essame jeta le désarroi chez Alihou. C’est le petit enquêteur qui les en informa à 2h05 après avoir appelé la clinique St Albert à Paris.
-J’ai bien pensé que c’était mon heure quand l’élactricité a été coupée ! fit Alihou seulement à moitié soulagé.
La coupure n’avait en effet duré qu’une fraction de seconde. Le prêtre s’était aussitôt remis à prier, chassant l’esprit mauvais. Il ne s’était interrompu un moment qu’à l’annonce de la mort du Gl Essame.
-Co…comment est-il mort ? Hasarda le colonel.
-Crise cardiaque comme les autres !
-Mon Dieu ! Et que faisons-nous maintenant ?
-Vous n’êtes plus que deux sur la liste, Fit le commissaire. On va juste continuer de prier et…attendre !
Le colonel perdit soudain son sang froid.
-Vous vous en foutez pas vrai ?
-Je vous demande pardon ?
-De ce qui pourrait nous arriver vous en avez rien à foutre pas vrai ? Hurla t-il. Nous sommes à deux pas de la mort et tout ce que vous trouvez à dire c’est prier !
-Vous avez peut être une autre idée ? Rugit le commissaire.
-C’est vous le flic pas moi !
- Calmez-vous ! Intervint le prêtre, puis s’adressant au colonel :
-Vous ne vous êtes pas encore rendu compte que Dieu est votre unique salut ? Nous n’avons pas à faire à la chair et au sang, mais à des esprits et seul un Esprit peut y venir à bout ! Faites nous confiance et répétez après moi…
Après une légère hésitation Alihou finit par se résigner.
-Je crois en Dieu le père tout puissant…
Chez le général Bata Siméon les choses ne furent pas plus calmes. A 2 heures la coupure d’électricité eut pour avantage de faire baisser la tension entre le général et le petit enquêteur, cédant la place à la panique. Mais elle fut de courte durée.
-Alors où sont-ils vos fantômes ? Railla le général quand le courant fut rétabli.
Puis il éclata de rire et se retira dans son bureau au premier.
-Et n’ayez surtout pas l’idée de m’importuner ! Avertit-il avant de laisser entendre le claquement de la porte.
-Encore heureux qu’on puisse rester ! Soupira le petit enquêteur. Vous pouvez continuer de prier mon père.
-Je crains que ce soit une perte de temps si le général ne peut pas être avec nous.
-Essayez quand même je vous en prie !
-Il est 2h03 ! Fit remarquer quelqu’un. Nous ferions mieux de prendre les nouvelles des autres.
Le petit enquêteur commença par la clinique St Albert et fut atterré par la nouvelle.
-Le général Essame est mort ! Annonça t-il dès qu’il eut raccroché.
-Je dois informer le commissaire !
A trois heures le petit enquêteur et ses collègues furent alertés par des cris en provenance de premier. Ils se ruèrent aussitôt vers l’escalier et essayèrent de défoncer la porte du bureau .En vain. Lorsqu’elle céda enfin sous la pluie de tirs des enquêteurs, ce qu’ils virent les remplis de stupeur. Le général était recroquevillé dans un coin, les yeux inertes agrandis par l’horreur. Il tenait encore le pistolet dans sa main, le pistolet qui ne lui avait été d’aucun secours.
-Désormais nous devons nous concentrer sur le dernier survivant, fit le petit enquêteur d’une voix brisée.
En sortant il huma comme une odeur de souffre et de pourriture.
Ils étaient depuis déjà une quinzaine de minutes chez Alihou quand une cohorte de journalistes investit le jardin.
-Bon sang qui a informé la presse ? Tonna le commissaire.
-Calmez vous fit le petit enquêteur. C’est peut être la seule chance qui nous reste.
-Que voulez vous dire ?
-Réfléchissez bien : pourquoi le cartel aurait-il choisi de frapper aujourd’hui, précisément à la veille d’une fête qui sera fortement médiatisée ?
-Afin d’avoir plus d’écho ?
-Tout à fait ! Ce qu’ils demandent c’est que justice leur soit rendue et que le massacre dont ils ont fait l’objet il ya 49ans soit connu de tous ! C’est seulement après cela que leurs âmes pourront enfin trouver le repos ! Faites moi confiance, je sais ce que je fais.
Le commissaire le tira dans un coin, à l’abri d’yeux indiscrets.
-Il ya une chose que je ne vous ai pas dite. Le président en personne m’a appelé il y a un moment. Je n’ai jamais vu quelqu’un plus effondré. Je lui ai promis que nous ferions tout ce qui est en notre pouvoir pour sauver le colonel Alihou…au moins pour l’honneur de l’Etat. Alors réfléchissez bien à ce que vous faites je vous en prie !
A 3h 20 le petit enquêteur accorda une brève conférence de presse dans le salon du colonel au cours de laquelle il expliqua ce qui se passait et pourquoi. Très peu avaient entendu parler du cartel f ou du bataillon salvation. A la fin il leur fut dit ce qu’il attendait d’eux.
-Avez-vous un poste de téléviseur géant ? Demanda t-il à Alihou, une fois que la conférence fut terminée.
-Oui j’en ai un dans le room cinéma.
-Alors allons y et mettez le en marche !
Vers 3h59 il tomba sur la maison un bruit semblable à celui d’une tempête. Ce fut la panique générale. Même les journalistes d’ordinaire si avares de scoop abandonnèrent leur matériel pour prendre la clé des champs.
Dans le room cinéma la panique était à son comble. Perdant son sang froid le colonel s’était remis à hurler son innocence. Sans voir le cartel il l’implorait déjà :
-Pitié pitié… !
- Ressaisissez-le ! Ordonna le petit enquêteur mais il n’y eut personne pour exécuter ses ordres. Chacun essayait de sauver sa peau, à qui mieux mieux. Ils n’étaient plus que deux dans le room cinéma quand soudain une cohorte de soldats apparut à l’entrée, remplissant la petite salle d’une méchante odeur de pourriture. Jamais encore pour le petit enquêteur apparition ne fut plus dégoutante. On aurait dit une troupe de guerriers sortie tout droit de l’enfer.
Le colonel en eut le souffle coupé. Il n’arrivait même plus à hurler. Il porta ses mains à sa tête et commença à avancer à reculons, le visage déformé par une horreur indicible.
-Pitié pitié … ! Psalmodiait –il comme un détraqué.
Mais les spectres semblaient avides de la moindre compassion. L’un d’eux ouvrit la bouche. Il en sortit un étrange son aigu:
-Vous nous avez refusé la liberté vous nous avez refusé la justice. Vous nous avez empêchés de trouver le repos. Nous avons décidé de nous l’offrir nous même. Maintenant vous serez obligés de dire au monde ce qui vous est arrivé à vous…
-Non, non balbutia le colonel avançant toujours à reculons, je n’ai rien à voir avec ça. Moi je ne faisais qu’obéir aux ordres. Pitié pitié épargnez- moi…
Bientôt il sentit le mur dans son dos et se recroquevilla sur lui-même comme une bête traquée. Le cartel se rapprochait, impitoyable.
Pétrifié dans son coin le petit enquêteur regardait, impuissant, la scène macabre. Et dire que les images qu’il attendait n’arrivaient toujours pas. Seigneur ! Et s’il avait eu tort de faire confiance aux journalistes ? I l s’apprêtait à faire appel au prêtre quand Canal 24 se mit à diffuser l’information. On parlait du cartel f du bataillon salvation et de l’injustice dont l’Etat s’était rendu complice en ne punissant pas les coupables.
Comme éberlués par cette annonce surprise les visages d’outre- tombe se figèrent soudain pour se tourner vers l’écran. Il s restèrent silencieux un moment, incrédules, puis au fil des nouvelles les masques terrifiants commencèrent à s’adoucir puis à s’illuminer. L’instant d’après ils fondaient dans la pénombre comme un nuage qui se dissipe, heureux de pouvoir enfin trouver le repos.