Clandestin
chimiezele
Lorsqu’elle entendit la porte s’ouvrir derrière elle, Maria ne tourna pas tout de suite la tête. Des petits pas s’approchaient, effleurant le parquet taché.
Trois jours auparavant, des bruits sourds et feutrés avaient résonné au-dessus d’elle alors qu’elle se trouvait dans la cuisine.
- Il faudra bien qu’un jour je songe à faire du ménage dans le grenier mais avec tous ces événements, je n’ai le temps de rien. Et Georges qui est parti en compagnonnage pour 2 mois !
Maria souffrait un peu de sa solitude forcée. Heureusement qu’elle avait de temps en temps les voisins qui venaient lui acheter des œufs et des lapins.
Les crissements se répétèrent les jours suivants. Maria essayait de deviner s’il s’agissait d’un rat, d’un oiseau de nuit ou d’un chat errant. Mais elle était bien trop occupée à la ferme, avec les poules, les lapins et les cochons pour s’en inquiéter d’avantage. De plus, la première fête du village était dans 2 semaines, avec le concours du plus gros lapin. Le gagnant aurait droit à un voyage à la ville voisine avec une nuit d’hôtel payée. La date restait à la convenance du vainqueur. Si elle gagnait, elle attendrait le retour de Georges. C’était un de leurs rêves les plus fous lorsqu’ils se retrouvaient le soir devant la cheminée. Ils pouvaient en discuter pendant des heures. Mais Georges avait dû partir comme compagnon pour apprendre le métier de boulanger. Maria devait donc engraisser Jeannot, son lapin de concours.
Ce matin-là, après avoir ramassé les derniers journaux qui trainaient sur la table de la salle à manger, elle ne fut donc pas surprise d’entendre des petits pas derrière elle. Elle ne bougeait plus, de peur de faire fuir ce clandestin, ce faiseur de bruits, ce détrousseur des sens. Car depuis 3 jours, Maria avait malgré tout du mal à dormir, l’ouïe aiguisée, à l’affût du moindre craquement. Lentement, elle tourna la tête, son corps face au bahut, la main gauche encombrée par les journaux. Ce geste, cependant, ne suffit pas pour voir qui osait marcher sur son parquet, même taché. L’animal était encore là, elle sentait son souffle ténu. Elle décida alors de tourner son corps vers la droite, penché en une courbette dangereuse, au risque de tomber à genoux et de faire détaler l’intrus. Puis, elle fit une pirouette maladroite, posant son pied gauche avec plus de force qu’elle ne l’aurait souhaité. A sa stupéfaction, elle vit devant elle un lapin gros comme un lièvre, d’un gris perle douillet. Son angoisse se dissipa et elle prit dans ses bras ce cadeau. Il devait bien peser ses 6 livres, il n’en manquait plus que 2 pour pouvoir gagner le concours. Son Jeannot n’en était qu’à 4 livres ½ .
Le lapin se laissait faire, heureux des caresses que Maria lui prodiguait.
- Comment es-tu arrivé jusqu’ici ? Et surtout comment as-tu fait pour te retrouver dans le grenier et maintenant sur mon parquet ? A moins que tu ne viennes pas du grenier mais tout simplement de dehors ? Pourtant, tu n’appartiens pas aux voisins, je connais tous leurs lapins !
Maria arrêta de se poser des questions, heureuse de ce don de la providence. Elle allait l’alimenter, elle gagnerait le concours et Georges serait fier d’elle.
Les 2 semaines passèrent trop vite mais suffirent à mener Jeannot Bis à peser ses 8 livres.
Georges ne rentrerait que dans un mois. Elle irait donc concourir seule avec son nouveau lapin. Elle gagna le concours ; même Jeannot Bis avait l’air heureux.
Le lendemain, il demeura introuvable. Maria était même montée au grenier. Rien. Pas de Jeannot Bis. Elle fut toute triste. Elle décida de ne plus y penser jusqu’au retour de Georges qui se fit plus tôt que prévu.
Il arriva en fin de journée, par surprise, derrière elle ; il se tenait dans l’entrebâillement de la porte, à la tapoter doucement avec ses doigts : on aurait dit le son de petits pas. Elle se retourna et vit qu’il tenait à son bras, un manchon de fourrure couleur gris perle, et avait dans le regard, une lueur espiègle qu’elle avait déjà aperçu chez Jeannot Bis.