Clown

lislandais

C'est son rôle, il fait rire. Sourire, le plus souvent.
Il exploite les situations anodines, les contextes mous, les histoires de tous les jours, pour construire ses récits amusants, pour échafauder ses histoires rigolotes.
Il visualise la scène, la décompose image après image, chronologiquement, puis la recompose. Il cherche le décalage impromptu, la rupture drolatique.

C'est difficile d'amuser les Hommes.
Les êtres humains sont si graves. Ils aiment le malheur, chérissent les environnements glauques, adorent les complaintes métaphysiques, les esprits torturés qui se racontent; ils y voient la réplique de leur propre désespoir et une occasion d'admirer leurs tourments.

Ils vouent une admiration sans limite à l'exposition impudique de l'âme humaine, comme s'il s'agissait d'une manifestation d'intelligence et de sensibilité extraordinaire.
Je souffre, donc j'existe.

Lui, le clown, est un répit récréatif, l'exutoire désopilant de leurs pitoyables apitoiements.
Un clown ça fait rire; c'est comme ça; c'est écrit. Il est un gentil troubadour, un bon bougre qui magnifie les complaintes morbides de ses contemporains, en fredonnant quelques couplets hilarants. Il conte en grimaçant, pour que les quidams puissent ensuite entonner leurs mélopées existentielles.

Il est pourtant comme eux. Malheureux. Cela ne devrait tromper personne. D'ailleurs, seuls les adultes s'amusent en regardant le spectacle d'un clown; les enfants ne rient pas.
Heureusement, le clown se sent libre. Enfin, il aspire à l'être. Et l'enjeu conditionne sa volonté de s'extraire de ce narcissisme égocentrique qui l'agace et l'emprisonne.
Il voudrait être le Céline des saltimbanques; capable de dire ses angoisses avec la pudeur de l'humour et être aimé et admiré pour y être parvenu.
Il en a fait son éthique personnelle.
Il préfère se moquer de ses souffrances à lui, plutôt que de les laisser l'emporter, comme cette houle des éclats compatissants de la foule, qui lui donne la nausée.
Il sait que les vraies souffrances, celles qui font mal, ne s'exaltent pas, ne peuvent être mises à nues. Qu'elles réclament le cathéter de la dérision pour émerger.
Mais combien comprennent cela ?

Alors ne vous y fiez pas : cet amuseur-là est un clown triste.
Car lui aussi voudrait qu'on le prenne au sérieux.

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