Colette

Ode

L'histoire banale d'un homme et d'une femme - l'un quitte l'autre

Colette, une fois la clef dans la serrure, pousse la porte dont la couleur vert anis a légèrement terni avec le temps. Elle pose sur la console noire, son paquet de courses encombrant et questionne d'une voix forte tout en quittant la petite entrée donnant sur le salon.

-          Jean ?!

Pas de réponse.

-          Jean ?! 

Toujours pas de retour, mais du bruit à l'étage; un son presque silencieux comme si quelqu'un essayait de ne pas faire savoir qu'il était là.

Le cœur de Colette a une petite embardée, qu'elle calme en posant une main sur sa poitrine. Sa voix se fait plus hésitante tandis que ses pas la dirigent malgré elle vers les escaliers blancs.

-           Jean ?

-          Je suis en haut.  lui est-il répondu d'un ton sourd.

Soulagée, la presque quinquagénaire monte d'un pas allègre à l'étage donnant sur deux jolies chambres. Elle rentre dans la plus grande et son regard englobe une scène qu'elle ne saisit pas ; face à elle se tient son mari, agenouillé devant une vieille valise marron, ouverte en grand. À sa droite, le placard débordant d'habitude de vestes et de chemises… vide.

Jean, dos à elle, va de la penderie à son bagage sans un regard pour sa femme qui ne comprend pas… ou comprend trop bien, ce qui se passe devant elle.

—   Qu'est-ce que tu fais ? demande-t-elle, regrettant sa voix chevrotante.

-          Mes valises, répond son mari d'un ton brusque.

-          Oh, tu pars en conférence ? questionne Colette sachant déjà que ce n'est pas le cas.

-          Non, je pars, c'est tout. 

Un silence lourd et menaçant s'installe ; Colette pressent que ces quelques secondes sont les dernières où sa vie aura encore un semblant de stabilité. L'heure suivante, lui apportera certainement un fort sentiment de peur et de fragilité… elle le sent, le devine.

—   Je t'ai pris tes bières, tu sais celles que tu m'as demandées tout à l'heure quand je t'ai dit que je sortais. 

Faire semblant, faire semblant.

Son mari lui tournant le dos, elle reprend d'une voix qu'elle voudrait plus assurée.

—   Je t'ai pris les bières pour la soirée de demain, tu sais tes amis viennent voir le match à la maison.

Jean se tourne lentement vers sa femme et le visage fatigué lui répond d'une voix morne.

- Tu m'emmerdes avec tes bières. 

Colette recule d'un pas sans même s'en rendre compte.

- Mais qu'est-ce que tu fais ?

- Je te quitte. 

C'est fou comme d'un coup Colette a l'impression de vivre un cauchemar éveillé, cauchemar qu'elle ne comprend pas et dont elle n'arrive pas à sortir.

Peut-on succomber d'un cœur qui se brise ? Même à cinquante ans ? Y a-t-il un âge pour mourir d'amour ?

Jean l'observe, le visage fiévreux, presque haineux.  Colette ne reconnaît pas cet homme qui la nuit dernière encore partageait son lit.

— Mais pourquoi ? Je… je ne comprends pas… qu'est-ce qui se passe ?

- Je t'aimais et ne t'aime plus, c'est tout ! lui explique l'amour de sa vie d'un ton brusque.

- Mais tu ne peux pas cesser de m'aimer comme ça, d'un coup, en quelques heures, pendant que je fais les courses… balbutie la pauvre femme.

- Tu comprends rien ! réplique son mari.

- Alors, explique-moi, demande-t-elle humblement.

- C'est venu petit à petit, la routine, les soirées repas télé, ton corps qui s'épaississait et moi qui perdait l'envie de tout, avachi dans ce quotidien. Je suis resté par habitude, par facilité, mais aujourd'hui je ne peux plus.

- C'est moche ce que tu me dis.  Colette ne peut empêcher les larmes de couler le long de ses joues pâles.

Jean ne répond pas, il a fini de ranger ses quelques affaires. Il jette un ultime regard derrière lui.

- Tu peux garder le reste.

- Et tu t'en vas comme ça, tu me laisses comme une moins que rien après plus de 20 ans de mariage ! Avec tout ce qui a fait notre vie, les enfants, les amis, la maison de vacances !  Après le chagrin, la rage et une colère sourde envahissent la femme bafouée.

Mais la réponse de son époux, courte, banale et triste à pleurer la laisse sans voix.

- Oui. 

Puis descendant les escaliers, il ouvre la porte d'entrée et la referme doucement derrière lui.

Colette guette tous les bruits et lentement, comme émergeant d'un vieux rêve, elle descend à son tour, le cœur battant, les mains tremblantes, et commence à ranger les courses.

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