COMME UN BOOMERANG...

Robert Drabowicz

Une rencontre aussi surprenante qu'extraordinaire et inattendue entre un tout jeune garçon et une vieille femme diseuse de bonne aventure.

Hagondange, début juin 1955. La fête foraine bat son plein. Il est près de 18 heures, la foule se fait de plus en plus dense. Un très jeune garçon déambule dans les allées d'une démarche impatiente en scrutant tout excité les manèges qu'il a envie de faire. Il sait très bien que les quelques sous reçus de son père et de sa mère ne lui permettront de ne faire que quelques tours de manège. De quoi lui donner envie de retarder ce moment magique où tout va aller très vite. Surtout trop vite pour son petit porte-monnaie. Alors, regarder encore et encore les autres s'ébattant joyeusement dans les autos tamponneuses lui permet de rêver en s'y asseyant à leur place par la grâce d'un imaginaire qui, chez lui, a toujours été autant disponible que très facile d'accès. Emporté dans sa palpitante rêverie, il n'a pas vu cette vieille Gitane qui, installée au bord de l'allée, interpelle les passants pour leur prédire l'avenir moyennant quelques bonnes pièces. C'est tout juste s'il sent sa main se poser sur la sienne puis la serrer pour l'approcher d'elle.
— Laisse-toi faire petit, lui glissa-t-elle d'une voix tout à la fois douce et rocailleuse.

Le petit garçon se tourna vers elle et découvrit une femme très âgée dont le visage flanqué d'un nez crochu était abondamment labouré par les empreintes de la vie. Un foulard rouge et médaillé couvrait sa tête laissant poindre les quelques boucles de cheveux noirs et gris qui avaient voulu se donner un peu de liberté. Sa peau était mate, presque noire. Ce qui choqua le gamin fut ses yeux perçants d'un bleu vert gris tellement clair qu'il crut un court instant qu'elle n'en avait pas. Il n'était pas vraiment rassuré. Ses yeux couraient sur elle à une vitesse folle en se demandant ce qu'elle pouvait bien lui vouloir. Il voulut se dégager, mais la main se fit plus ferme pour le retenir.
— Ne t'inquiète pas mon petit, je ne vais pas te faire de mal, fit-elle en souriant affectueusement.
— Mais je n'ai pas de sous pour ça, juste pour des manèges, protesta-t-il d'un air désolé. 
— Je ne te demanderai rien, je veux juste voir ta main. Je suis très curieuse, tu sais !

La vieille dame caressa longuement le dos de sa main. Peut-être un certain élan d'affection ? Puis elle la retourna et y passa plusieurs fois ses longs doigts en y appuyant plusieurs fois son pouce comme si elle cherchait à palper quelque chose. Au bout de quelques minutes, elle se mit à sourire…

Sans même regarder l'enfant, comme subjuguée par ce qu'elle semblait voir, elle lui dit : 
— Je vais te dire ton avenir. Mais avant, j'aurai vu que tu viens tout juste d'avoir 7 ans. Je me trompe ? 
— Euh non, je viens d'avoir 7 ans le 19 mai dernier, répondit-il étonné qu'elle sache cela. 
— Tu auras une vie heureuse et vraiment bien remplie, celle que tu auras voulu vivre. Tu gagneras pas mal d'argent grâce à un travail passionnant. Tu passeras quelques fois juste à côté de la mort, mais quelqu'un dans le ciel qui t'est très cher veillera sur toi et empêchera cette chose de te prendre. Ta ligne de vie s'arrête au croisement du 7 avec un autre 7 et le chiffre 7 sera celui qui te portera le plus de chance dans ta vie. N'oublie jamais ce chiffre et sers-t'en le mieux et le plus possible. Tu n'auras jamais à craindre quoi que ce soit de tout ce qui se terminera par un 7 !

Elle déposa un baiser sur la main de l'enfant puis la lui rendit lentement en le fixant droit dans les yeux et en plissant les siens. Le petit homme sembla désemparé un instant. Il cherchait des mots à dire, mais n'en trouvait pas. La Gitane avait vu son embarras. Elle lui sourit tendrement et lui dit : 
— Va, petit bonhomme, la vie t'attend droit devant toi. Tu m'oublieras, oh pas tout de suite, mais avec le temps et, crois-moi, il va passer très vite. Juste une dernière chose… 
— Quoi ? demanda l'enfant. 
— Tu penseras à moi et repenseras à tout ce que je t'ai dit le jour où tu aborderas tes 70 ans !

_oOo+oOo_

 ÉPILOGUE...

 Je suis à la veille de mes 70 ans. La vieille dame avait raison. J'ai eu effectivement la vie que j'aurai voulu avoir et elle a été plus que copieusement fort bien remplie. Mon cursus professionnel fut passionnant et très rémunérateur, notamment par mon final en tant que directeur général Benelux. Je dois aussi admettre et souligner que le chiffre 7 fut un vrai porte-bonheur pour moi. J'ai compris dès la première fois, lors d'un saut dans les paras et après avoir frôlé la mort, que la personne dont elle parlait était mon père, décédé tragiquement quand j'avais 19 ans. C'est vrai, le temps passant, j'ai fini par oublier complètement cette lointaine rencontre. Mais, curieusement, lorsque l'on m'a rappelé que j'allais fêter très prochainement mes 70 ans, tout m'est revenu d'un coup.

D'un seul coup, oui… comme un boomerang !

Mais aussi, et avec cela, le souvenir de sa prédiction concernant ma ligne de vie. Je pense avoir résolu l'énigme qu'elle avait dite à ce propos : « Le croisement d'un 7 avec un autre 7 est une rencontre qui fait donc deux 7, comme... 77 ans ! »

Il ne me resterait donc plus que 7 années à vivre ? Décidément, ce chiffre 7… 

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