Comme un malaise
Victor Jlln
Tournai, Belgique. 19 Septembre 2015
Olivier est fier de ce qu'il a fait. Mais il est à la fois terrifié de ce qu'il va se passer par la suite. Il se sent impuissant face à la scène qui se déroule devant ses yeux. Devant lui se tient une scène qu'il n'aurait pas imaginée un mois auparavant.
Viviane mène la marche. Elle est suivie de Damien. Ils sont tous les deux escortés par des agents fédéraux. Leurs vêtements sont tâchés de sang et de boue. Les cernes qui se dessinent sur leur visage laissent deviner leur manque de sommeil.
La foule accumulée autour d'eux est importante. Olivier passe incognito dans cette foule de curieux qui bravent la pluie. Tous ne sont pas armés de parapluie, et pourtant aucun d'entre eux ne veut rater une miette du spectacle qui se déroule devant eux. L'histoire fait du bruit dans l'actualité. Les photographes, chaînes de télévision ne vont pas tarder à arriver. Les gens murmurent, chuchotent entre eux.
Viviane et Damien sont escortés hors de la clinique où leur cavale s'est terminée. Malgré la situation, c'est du soulagement qui se laisse entrevoir sur leur visage. Avant de monter dans le fourgon qui va les mener tout droit au commissariat, le regard de Viviane croise celui d'Olivier. Elle lui fait un clin d'œil. Puis elle glisse à Damien : « Eh, au moins en prison on n'aura pas besoin de mettre des étiquettes sur nos vêtements ! ». Damien explose de rire. Les policiers sont déconcertés et se regardent ne sachant pas comment réagir.
Londres, Grande Bretagne. 15 Août 2015
Olivier se demande encore pourquoi il se tient dans cette cuisine. Voilà trois mois qu'il a décidé de venir à Londres. Il ne s'imaginait pas trouver aussi vite un travail. Ni être exploité de la sorte d'ailleurs.
De sa cuisine, Olivier voit tout ce qui se passe dans le café. Aujourd'hui, il a encore fait des « vegetarian burgers » et des « vegan burgers », qui l'ont encore une fois mis hors de lui. D'une part, il ne comprend pas pourquoi certaines personnes se mettent en tête d'être végétalien, et ces burgers sont justes impossibles à faire. Un empilement de légumes impossible à faire tenir ensemble. Résultat, Olivier a encore reçu des remarques narquoises des deux serveurs en service ce soir.
Alors qu'Olivier s'apprête à nettoyer la cuisine, il est une fois de plus interpellé par les rires exagérés des trois personnes près de la fenêtre. Un jeune homme d'environ 28 ans mime visiblement quelque chose à ses deux amis. Cet homme dégage à la fois une extrême maladresse et un charme ravageur. Alors qu'il fait des gestes tous plus incompréhensibles les uns que les autres aux deux personnes qui l'accompagnent, il renverse sa pinte de bière sur la table. Et pourtant, aucun des trois amis ne semblent s'en préoccuper. La corbeille de pain et les cacahuètes au pied de la table confirment la gaucherie de ce bel homme. Autour de la table s'esclaffe une jeune blonde de 25 ans. Celle-là ne peut définitivement pas passer inaperçu, se dit Olivier. Quoique, après avoir passé quelques temps à Londres, Olivier a bien compris que la mode actuelle consiste à porter les vêtements les plus improbables ensemble. Le courant « hipster » apparemment, encore un truc de végétalien quoi.
Les deux serveurs sont derrière le bar. Ils semblent en train de maudire cette table qui va leur valoir un sacré coup de ménage à la fermeture du café. Paul, un des deux serveurs, se décide à aller mettre de l'ordre à la table. Alors qu'il approche, le jeune homme d'une trentaine d'année qui est assis avec ses deux amis, se met à discuter avec lui.
Olivier se met au ménage. Il est 21h23, il n'est pas question qu'il fasse des heures supplémentaires ce soir. Alors qu'Olivier s'attaque au nettoyage du premier frigidaire, Paul rentre dans la cuisine « Oliver, come. There's some fucking guys here and I don't understand a fucking word of what they say ». Olivier, un peu étonné répond « Yes, sure. But why me ? ». A quoi Paul lui répond en sortant de la cuisine : « They're french ». Comme si Olivier n'avait pas assez à faire ici, il doit en plus s'occuper de ces fucking français qui ne savent pas aligner plus de 3 mots en anglais.
C'est la table qu'Olivier observait depuis la cuisine que Paul lui a indiqué. Alors qu'il s'avance pour prendre leur commande, les trois amis s'arrête tous les trois de parler. La fille lui demande dans un anglais parfait : « Please excuse us for the inconvenience, but you're colleague should be in bad day and … ». A quoi Olivier répond : « Vous prenez pas la tête, Paul est tout le temps comme ça.. C'est juste, … sa manière de vivre sa fucking life ». Un sourire apparait sur le visage des trois interlocuteurs.
Alors qu'Olivier prend leur commande, les trois amis lui apprennent qu'ils sont colocataires et que le vendredi soir, ils passent toujours la soirée ensemble. Une véritable amitié se dégage, et un sentiment de jalousie s'installe dans les pensées d'Olivier. Si lui aussi avait des gens comme ça sur qui il pouvait compter. Malgré leur différence évidente, ils s'entendent à merveille. Si une hispter blonde, un beau-gosse maladroit et un gars qui semble faire passer son apparence avant toute chose sont si soudés, pourquoi Olivier n'avait personne sur qui compter lui ? Il reprend : « Donc ok je passe le message à mon collègue et ils vous apportent ces bières.
Une fois de retour dans la cuisine, Olivier s'étonne de ressentir un sentiment de trop peu. Ces trois amis lui ont à la fois apporté une pause agréable dans sa soirée, mais c'est comme si son corps ne demandait qu'à retourner à leur table.
Une fois son service terminé, Olivier s'accoude au bar et savoure sa bière bien méritée. Par réflexe, il sort son téléphone et jette un coup d'œil à toutes les actualités plus inintéressantes les unes que les autres que son fil d'actualités Facebook lui concocte.
« Et le cuistot !». Olivier se retourne, oui c'est bien la blonde qui l'interpelle. « Viens boire ta fucking bière avec nous autres ! ». Olivier prend son verre sans une hésitation et s'en va les rejoindre.
La soirée bat son plein. Olivier leur explique comment il s'est retrouvé à Londres après s'être fait virer de son poste en France. Les trois colocataires explosent de rire lorsqu'Olivier leur explique qu'il s'est fait virer de son poste de contrôleur aérien en France et qu'ils ont préféré garder son collègue narcoleptique. Il découvre à mesure à ce que la soirée avance que Viviane, Antoine et Damien forment une colocation tout autant attachante qu'étonnante. Antoine enchaîne les maladresses. Il semble parfois tellement ailleurs qu'il prononce des phrases. Lorsqu'il se lève pour se rendre aux toilettes, Damien se lève lui aussi pour lui indiquer le chemin. Il l'attend à la porte et ils reviennent tous les deux en rigolant comme des enfants. Olivier s'étonne de cette scène compte tenu du premier abord que lui a renvoyé Damien. Ce trentenaire, très élégant, qui guette chaque fille qui rentre ou sort du café. Viviane est pour le moins la plus étrange des trois. Certes, son style vestimentaire en envoie de toutes les couleurs, mais elle réussit ce que peu de gens parvienne, faire rire Olivier à chaque blague qu'elle lance. Olivier n'est pas non plus austère, mais cette fille est d'une justesse dans ses paroles, et les conneries qu'elle lâche à la légère sont toutes plus inspirées les unes que les autres. Damien et Viviane semblent en tout cas d'une extrême patience lorsqu'Antoine exprime quelque chose. Pas une moquerie de vient s'immiscer dans leurs paroles lorsque ce dernier se renverse l'intégralité de son verre sur lui. Après 3 bières, Olivier quant à lui doit se mordre la langue pour ne pas rire. Viviane et Damien sont eux à l'écoute de ce qu'Antoine est en train de dire et ne porte aucune importance aux dégâts qu'il vient de causer.
1h48. Les deux serveurs commencent à faire comprendre au petit groupe qu'il est temps de s'en aller, en empilant tout près d'eux les tables, de la manière la plus bruyante possible. Olivier se rend aux toilettes. Alors qu'il se lave les mains, il entend quelque chose tomber par terre puis de l'agitation dans le café. Surement une autre connerie d'Antoine se dit-il. Mais son cœur s'accélère lorsqu'il sort des toilettes et découvre Viviane, Damien, Paul et l'autre serveur autour d'Antoine. Il est allongé par terre. Olivier ne peut voir que ses pieds, mais il semble trembler, ou convulser plutôt. Olivier tente de reprendre ses esprits, et accourt auprès de son nouvel ami.
« Qu'est-ce qu'il se passe ? Ça lui arrive souvent ? ». Viviane lui répond, d'un ton apeuré : « Non c'est la première fois que je le vois comme ça. Merde alors. Antoine ? Antoine ? Tu nous entends ? ». Antoine entre ouvre les yeux et murmure quelque chose : « At.. Atil… ». Damien l'interroge : « Ati quoi ? Qu'est-ce que tu veux nous dire ? ». Olivier demande à Viviane et Damien de quoi veut parler Antoine, mais ils n'ont ont aucune idée. Les secours arrivent et après avoir posé quelques questions à Antoine, l'embarque rapidement dans leur fourgon. Viviane est dans les bras de Damien. Les deux serveurs sont désabusés. Alors que le fourgon démarre, Viviane et Damien se dirigent en dehors du restaurant pour monter dedans. Trop tard, le fourgon démarre à toute allure et ils ont à peine le temps de crier aux ambulanciers de les attendre.
Alors qu'Olivier assiste, impuissant, à cette scène il remercie ses deux collègues d'avoir appelé si vite une ambulance. Ils lui répondent qu'ils n'ont pas eu le réflexe de composer les urgences. Damien et Viviane rentrent affolés dans le café au même moment. « You didn't call emergencies guys ? » demande Viviane. Elle poursuit : « C'est toi qui les appelés Olivier ? » sur un air perplexe.
Olivier : « Non. Ce n'est pas moi non plus… ».