Comme un malaise

Victor Jlln

- Episode 2 -

Londres. 16 Août 2014

Olivier a une fois de plus la charge de fermer la cuisine seul. Il n'a pas été vraiment efficace ce jour-là. Toute la journée, il n'a pu s'empêcher de se remémorer sa soirée de la veille. Qu'est-il advenu d'Antoine ? L'ont-ils retrouvé ? Alors qu'il préparait un nouveau « vegan burger », il se dit qu'au fond de lui, il éprouvait plus de sympathie pour Antoine que ce qu'il ne souhaitait l'admettre. Certes, ce mec a de toute évidence un problème. Mais toute l'attention et la patience que Viviane et Damien lui accorde ne font que renforcer l'amitié qui s'était créée la veille.

20h13. Pourquoi n'avait-il pas pris le numéro de Viviane ou Damien pour savoir comment va Antoine. C'est qu'il commence à s'inquiéter là. En même temps, les deux étaient partis en furie la veille. Ils s'étaient promis de retrouver Antoine quoiqu'il advienne, quitte à ce qu'ils doivent faire tous les hôpitaux de Londres. C'est tout de même bizarre que les secours soient arrivés alors qu'aucun d'entre eux n'aient appelé les secours. Et pourtant, ils étaient les derniers clients du café.

21h07. Olivier remonte de la réserve au sous-sol. Alors qu'il rentre dans la cuisine, il entend depuis la salle de l'agitation. Visiblement, des clients ne sont pas contents et entendent bien le faire savoir au manager. Les voix lui sont toutefois familières. Certes son patron essaie tant bien que mal de calmer les clients mais Olivier se demande comment on peut calmer ses interlocuteurs alors qu'on est soit même sous coke. Olivier passe la tête par l'ouverture de sa cuisine qui donne sur la salle principale. « Olivier, merci tu es là ». C'est Viviane qui essaie tant bien que mal de communiquer avec Mehmet. Les deux portent exactement la même tenue que la veille, ils n'ont visiblement pas dormi et n'ont pas eu le temps de rentrer chez eux depuis l'incident.

Damien explique à Olivier : « S'il te plaît. Est-ce que tu peux expliquer à ton boss qu'on a besoin de voir les vidéos d'hier des caméras de surveillance. Il faut qu'on les voie pour savoir qui sont les gars qui ont emmené Antoine ». Après quelques explications, plus calmes, à son chef Mehmet, les deux amis obtiennent finalement le droit de voir les images de la veille. Entre temps, une commande est arrivée à la cuisine et Olivier ne peut pas voir les images. Après quelques minutes, ils obtiennent l'autorisation d'emmener les extraits de la vidéo pour les montrer à la police et passent voir Olivier.

« Encore merci pour ton aide avec ton boss. »

« Pas de souci. Vous avez pu trouver quelque chose ? J'ai redemandé aux deux serveurs d'hier soir. Et aucun de nous n'a appelé les urgences. C'est bizarre cette histoire tout de même, j'y comprends rien. »

« Non, on n'a rien trouvé. On a passé la nuit et la journée avec Damien à faire tous les hôpitaux de la ville. Aucune trace d'Antoine. On a rencontré un médecin au Saint Leonard Hospital, on a pu discuter pas mal avec lui. Je pense qu'on va lui montrer la vidéo, comme ça il pourra voir les symptômes d'Antoine avant que les ambulanciers l'ont emmené. On s'inquiète surtout pour sa santé. C'est la première fois qu'on le voit dans cet état. »

« Je suis désolé d'entendre tout ça. Si je peux faire quoique ce soit pour vous aider, surtout n'hésitez pas. »

« Ok merci. Je te passe mon numéro au cas où. »

22h15. Olivier fini son service va boire une bière au comptoir. Il aperçoit les écrans vidéo derrière le bar. La fin de son service lui a complètement fait oublier de regarder les images. La vidéo est arrêtée sur le moment où Antoine est emmené sur un brancard. Les ambulanciers sont de dos. Olivier est toutefois interpelé par l'insigne sur le manteau d'un des urgentistes. Il ne la reconnait pas. Certes, il n'est à Londres que depuis trois mois, mais il habite devant the Royal London Hospital, et se fait réveiller toutes les nuits par les ambulances. Même si le logo ressemble à s'y méprendre à celui des ambulances londoniennes, quelque chose ne colle pas. Et si ce n'était finalement pas des ambulanciers qui avaient emmené Antoine hier ? Et pourquoi ils n'ont pas attendu que Viviane et Damien montent dans l'ambulance avec leur ami. Olivier compose le numéro que Viviane lui a laissé.

22h47. Olivier se tient devant l'immeuble dont Viviane lui a donné l'adresse au téléphone. Damien l'attend à la fenêtre du 4ème étage et lui dit qu'il arrive pour lui ouvrir. Quand Olivier rentre dans l'appartement, il remarque des flèches dans l'escalier et les couloirs qui mènent au numéro 27, la colocation des trois amis. Probablement les vestiges d'une soirée et qu'ils n'ont pas pris le temps de retirer se dit-il.

Lorsqu'Olivier franchit le seuil de la porte de l'appartement, Viviane semble sortir tout droit de la douche. Une serviette retient ses cheveux mouillés et elle porte un boubou africain, probablement son pyjama. « Alors qu'est-ce que tu as vu sur la vidéo Olivier ? C'est qui ces gars, ce ne sont pas des urgentistes finalement ? Il faut qu'on aille voir le docteur Stone direct pour lui montrer la vidéo. Il pourra nous dire à coup sûr à quel service appartiennent ces enculés ». C'est la première fois qu'Olivier entend une insulte de la bouche de Viviane. Son énervement et sa précipitation font comprendre à Olivier qu'elle et Damien sont à bout de nerf … Damien continue : « Je vais appeler l'hôpital pour voir si le Docteur Stone travaille. »

Pendant que Damien passe l'appel, Olivier prend le temps de découvrir l'appartement dans lequel il se trouve. Il ne ressemble en rien à toutes les colocations qu'il a vues jusqu'à maintenant. Lui a toujours habité dans des studios, seul. Ce qu'il l'interpelle en premier ce sont tous les messages inscrits sur des bouts de papier qui sont collés au mur de l'appartement. Olivier n'ose pas bouger d'où il se trouve pour en lire un. Il se dit que ça doit surement être des mémos ou phrases anglaises pour que les trois expatriés enrichissent leur vocabulaire. Il faisait la même chose quand il étudiait pour devenir contrôleur aérien. Sauf que lui, ce n'était pas de l'anglais mais des formules de mathématiques qu'il collait au mur.

Damien revient, apparemment énervé : « Il ne bosse pas ce soir. La secrétaire n'a pas voulu me donner son numéro de portable. Il commence demain à 7h30 du matin. On n'a pas d'autre choix que d'attendre demain matin. » Viviane proteste : « Mais tu lui as expliqué la situation ? Elle ne pige rien cette secrétaire. Attends je vais l'appeler moi ». Olivier sent qu'il est temps d'intervenir : « Vous savez, je pense qu'une nuit de sommeil ne vous ferait pas de mal. Je sais que cette situation est frustrante mais il n'y a rien de plus que vous pouvez faire ce soir que vous n'ayez déjà fait. Après tout, Antoine a été pris en charge, il n'y a pas tant de raison que ça de s'inquiéter ». Olivier était à moitié convaincu de ce qu'il venait de dire. Il poursuit : « Demain matin, on ira à 7h00 à l'hôpital et parlera au docteur Stone dès qu'il arrivera. OK ? ». Les deux amis acquissent, à contre cœur.

Viviane répond : « Donc tu viens avec nous. Tu n'as qu'à dormir dans la chambre d'Antoine ce soir ». Olivier est tout d'abord surpris de la spontanéité de la jeune femme. Mais après tout, c'est lui qu'il viendrait avec eux demain matin parler avec le docteur, sans même s'en rendre compte. Damien, qui voit qu'Olivier reste perplexe devant la proposition de sa colocataire qui sonne comme un ordre intervient : « Ok. Heu… Ce que Viviane a voulu te dire dans des mots bien à elle, c'est que si tu veux venir avec nous demain matin, tu es le bienvenu. Et vu qu'on va se réveiller tôt, pas de problème si tu veux dormir à l'appart. ». Viviane lui répond agacée : « C'est exactement ce que j'ai dit Dam. Bon je vais me coucher moi ».

Olivier ne sait plus trop où se mettre. Il n'avait pas du tout envisagé dormir ici cette nuit. Mais d'un autre côté ne pas aller voir le docteur Stone demain lui paraît inconcevable. Damien lui fait découvrir l'appartement : « Tu vas surement trouver notre appartement bizarre, comme tout le monde. Tu as du voir qu'Antoine a quelques soucis. Donc on a dû apprendre à vivre avec. On a essayé de rendre son quotidien le plus facile possible ». Olivier a tellement de questions à poser à Damien. Il se demande quel est le véritable problème d'Antoine ? Comment les trois colocataires en sont venus à habiter ensemble ? Comment Viviane et Damien trouvent-ils la patience de s'occuper d'Antoine ? Pourtant la seule question qu'Olivier ose demander : « Tu pourras me passer votre mot de passe pour internet stp ? ». Ce à quoi Damien répond le plus naturellement du monde : « Ah on n'a pas le Wifi ici. Généralement on va au rez de chaussé, chez Ibrahim, il tient un Internet Cafe ».

Olivier se retrouve finalement dans la chambre d'Antoine. La pièce est très simple. Il y a très peu de meubles, tout est rangé, sur chacun des murs est accroché une grande photo de nature. Ces photos sont très belles, mais des messages inscrits au centre de la photo viennent les gâcher. Ces messages semblent inscrits en différentes langues qu'Olivier ne connait pas, l'un semble être en bulgare ou une langue des balkans, un autre en islandais, les autres Olivier n'en a aucune idée. Sur le bureau sont alignés méticuleusement des stylos. Antoine ne risque pas d'en manquer à son retour. Quelqu'un frappe à la porte. Olivier répond : « Ah c'est toi Viviane, je croyais que tu dormais ». « Euh non c'est encore moi, Damien ». « Ah excuse-moi, je dois être crevé. J'ai vu ton boubou et je t'ai pris pour Viviane ». Olivier se fait la réflexion que ce gars cachait vraiment bien son jeu, derrière ses airs de garçon bien élevé se cachait un gars bien différent « Ah oui, c'est Antoine qui nous les a offert. Un conseil, n'essaie jamais d'en mettre un. C'est tellement confortable que tu ne le retireras jamais ». Après avoir convenu d'une heure de réveil avec Damien, Olivier s'endort en étant pressé de savoir ce que donnera le rendez-vous avec le docteur Stone le lendemain.

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