comme une étoile en plein jour

blondie

Novembre,

Je suis triste, si triste. Ca ne va pas. Pas bien du tout. En plus, j'ai mes règles. Mal dans mon ventre. Mal dans ma tête. Mal dans mon cœur. J’aimerais fermer les yeux et vider mon esprit. Table rase, pour de bon. Ne plus rien sentir, rien éprouver. Un désir de néant. C’est fini avec Antoine. Depuis ce midi. Comme ça, sur un coup de tête. Ou plutôt, sur un élan de ras le bol. C’est pas faute d’y voir cru à notre histoire… Depuis plusieurs mois, ça battait de l’aile comme on dit. On n’a rien voulu voir. On a continué comme si de rien n’était, une page blanche s’est installée entre nous et avec le temps, des petites tâches indélébiles se sont mises à danser la farandole. Et aujourd’hui, on a tout détruit. Destruction fatale. Résultat des courses : rupture brutale. Mais rupture définitive cette fois-ci. Reviendrai pas sur mon choix. C’est terminé. Terminé les disputes. A force de pleurer et vomir, je suis vidée. Comment en est-on arrivés là ? Les mots de ce midi étaient si violents. Ils résonnent encore en moi et ne veulent pas partir. J’ai beau secoué la tête, rien n’y fait. Pourquoi l’amour que je rencontre porte toujours un masque ? C’est quoi mon problème ?

Le téléphone sonne. C’est lui. Ca me peine, me culpabilise, m’affole. Non, je ne décrocherai pas. A quoi ça servirait de parler après tout ce qu’on a dit ? Sûrement qu’il veut qu’on recolle les morceaux, une fois de plus. Une fois de trop oui ! Ah non, c’est fini. Pourquoi est-ce qu’il insiste comme ça ? Peux pas supporter l’idée qu’il soit malheureux à cause de moi. Pitié, arrête d’appeler. C’est douloureux et ça ne sert à rien. On est allés trop loin. On ne peut pas revenir en arrière et ensemble, on n’a même plus de présent. C’est dur à entendre mais faut que j’arrête de me voiler la face. Ma relation avec Antoine est un mensonge, construite autour d’un idéal. Un idéal auquel je ne crois même pas. Je ne sais pas ce que je veux. C’est ça mon problème. J’ai envie de décrocher le téléphone. Non, je vais le débrancher. Faut que je sois forte, jusqu’au bout. C’est fini. Terminé.

Au début, on s’enfermait chez lui et faisait l’amour toute la journée. Parfois, on sortait louer un film en bas ou alors, on allait manger chinois. Ensuite, le boulot a repris. On se voyait moins souvent mais ça se passait toujours aussi bien. Puis, petit à petit, l’oiseau fait son nid… Je me demande si j’ai commencé par m’ennuyer avec Antoine avant de ne plus le désirer sexuellement ou après ? Peut-être en même temps. Ensuite, est venu le moment où tout m’agaçait. Parallèlement à mon changement, Antoine a laissé la jalousie et la méfiance s’installées chez lui. Alors on se disputait. Pas longtemps, une heure ou deux. Puis, venait le moment des réconciliations. Je faisais celle qui n’était pas affectée, gardant mon sourire et ma joie de vivre, oubliant le pourquoi du comment, espérant qu’il n’y aurait pas de récidive, me persuadant que ça n’était qu’un mauvais moment et que le lendemain, tout serait effacé. Mais la réalité finit toujours par nous rattraper.

J’ai dansé la

                        Valse sur ta

                                                Nuque et j’ai

                                                                        Perdu pied

Le vent m’emporte dans un tourbillon

Sans savoir où il m’emmène,

Je me laisse guider

Comme une étoile en plein jour

Je fonce tête baissée

J’arête avec les poèmes, c’est trop mauvais. J’ai l’impression d’avoir mangé de la mayonnaise périmée. Tu peux me le dire toi ce qui ne va pas. Qu’est ce qui tourne pas rond chez moi ? Nuage ronronne en guise de réponse. C’est mon chat. Toujours au poste. Toujours là pour me câliner ou me consoler. Et ça marche. Merci petit ange.

Le 1er décembre.

Bouge pas beaucoup du lit ces jours-ci. Pour éviter de penser à Antoine, je refais le monde. Et ça part dans tous les sens. D’ailleurs, ça part tellement dans  tous les sens que je suis incapable de me focaliser sur un sujet en particulier. Impossible de me concentrer sans qu’une image d’Antoine vienne se mêler à mes pensées. J’espère qu’un jour, il va me sortir de la tête celui-là. J’en ai marre de douter. Est-ce que j’ai fais le bon choix en me séparant de lui ? Est-ce que je ne vais pas le regretter ? Non, je sais au fond de moi que non. Mais j’ai du mal à l’admettre. A admettre que je ne suis pas faite pour l’amour. J’ai le moral à zéro. Si au moins je bossais, ça irait mieux mais là, y’à pas de boulot en perspective. Aucun casting à l’horizon. Et pour couronner le tout, Lili, ma meilleure amie, est au Canada. C’est vraiment une sale période. J’ai jamais aimé rester seule avec moi-même.

Antoine…

Avec lui, j’ai été trop exigeante. Quand j’ai pris conscience qu’il n’était pas celui que j’espérais car il ne réagissait jamais comme il fallait, j’ai voulu le changer. L’amener vers cet idéal que je m’étais inventée. Mais c’est impossible, je sais bien qu’on ne change pas les gens. Pourtant, je me suis accrochée à cette image et comme il ne l’atteignait pas, je lui en ai voulu. Alors, j’ai pris mes distances sans lui donner d’explication et lui, il est devenu jaloux et un peu trop pesant. C’est moi qui nous ai poussé à la rupture. Mais comme je ne voulais pas être la fautive, j’ai fais en sorte qu’il passe pour le fautif. Et ça a marché. Je l’ai manipulé. J’ai été lâche et fourbe. Je réalise tout ça et je me déteste. Je lui ai fais du mal et je m’en suis fait aussi. Pourquoi est-ce que je ne sais pas ce que je veux ? Pourquoi est-ce que je m’impose, ou laisse les autres, m’imposer des contraintes ? Comment apprendre une langue que l’on ne connaît pas ? Cette langue, c’est la mienne. J’ai toujours parlé avec la langue des autres, jamais avec la mienne. C’est p’être ça le problème… Je ne sais plus du tout où je vais ni qui je suis. Est-ce que je me pose trop de questions ? Est-ce que c’est bien de se poser des questions ? Au moins quand on est avec quelqu’un ça nous évite de réfléchir. J’aime pas être seule. Nuage ? Tu viens me faire un câlin ?

Jeudi.

J’erre dans ma tête. J’erre dans mon corps. Je ne sais même pas ce que je cherche. J’erre, c’est tout.

                                    Le 13 décembre.

Me reconnais plus. Plus envie de sourire. Tout me semble fade. Sans goût. Plus envie de communiquer avec le monde extérieur. Dans ma tête, pas une seconde de répits. Je pense, je pense, je pense. Je ne fais que ça. Que des questions. Aucune réponse. Dans quelle direction aller quand on ne sait même pas d’où on vient ? On m’a jetée dans ce monde malgré moi. Alors pourquoi devrai-je continuer à avancer ? Pour qui ? Vers où ? Et à quoi ça sert d’avancer si c’est pour toujours tomber ? Plus confiance en moi. Ai-je déjà eu confiance en moi ? C’est quoi la confiance en soi ? Sur quoi peut-on se baser dans la vie ? A qui peut-on faire confiance ? Plus de repère. En ai-je déjà eu ? C’est quoi un repère ? Repère de quoi par rapport à quoi ?

Le temps passe et moi, je suis entrain de mourir.

                        Le 16 décembre

Je donne un coup de main aujourd’hui et demain à la maison de retraite où je suis bénévole. Le cœur n’y est pas. Je fais sans réfléchir. Vide. Mécanique quand on a besoin de moi. Je n’ai goût à rien. Rien de chez rien. Même manger. Même dormir. Même écrire.

Mardi.

Sur le chemin de la maison, j’ai entre aperçu Louis. En un regard le passé m’a percuté. Depuis, je suis sonnée. Louis était mon meilleur ami. Les inséparables nous surnommaient mes copines. Je parle au passé car les inséparables se sont séparés. Un jour, il m’a avoué son amour et je n’ai pas su dire non. C’est tellement beau un homme qui vous aime. Alors j’ai craqué. On a fait l’amour. Quand je me suis réveillée, j’ai vu toutes les mauvaises raisons qui m’avaient poussées à agir ainsi. Alors je me suis rhabillée et je suis partie sans lui dire au revoir. Depuis, silence radio.

Je lui ai fait du mal et je m’en suis fait par la même occasion. J’ai été lâche et idiote. Il me manque. J’aimerais le revoir. Impossible après mon attitude. Sans doute qu’il n’a plus envie d’entendre parler de moi. Oui, sans doute… Pourquoi est-ce que je ne suis capable d’avoir des rapports stables qu’avec les papis dont je m’occupe ? Y’a vraiment un problème.

                                    Le 19 décembre

Aujourd’hui, je me suis plainte, j’ai répété un millième de fois que ma vie est sans intérêt et j’ai pleuré sur mon sort. J’ai eu un appel aussi. De mon agent. Je passe des essais demain pour tourner dans un film. Je m’en fiche. Je me fiche d’y aller à ce fichu rendez-vous. Je me fiche que ça marche ou pas. Je me fiche de tout. Pas la moindre nuance en moi. Tout m’est égal. Je ne suis ni heureuse ni malheureuse. Lili me manque. Je suis complètement paumée.

21/12

Ce matin, après les essais, je suis allée à la piscine. Et j’ai rencontré un garçon. Ca fait plusieurs fois qu’on le voit avec Lili mais c’est la première fois qu’il vient me parler. On se revoit ce soir. D’ailleurs, faudrait p’être que je me prépare, il va pas tarder à arriver.

De retour. Toute la soirée, une phrase n’a cessé de circuler sans ma tête : qu’est-ce que je fais là ? Un cauchemar. Quand Greg ouvre la bouche, on est sûr qu’à un moment ou à un autre, il va parler argent. Il donne le prix de tout. Sympa la visite guidée de son appartement ! J’ai cru être à une vente privée. Quand je vais raconter ça à Lili, elle va bien rigoler. Sauf que c’était pas drôle sur le moment. Rarement rencontré quelqu’un qui m’intéressait aussi peu. Pourtant ça m’a pas empêché de mêler ma langue à la sienne. Je fais n’importe quoi. Pourquoi est-ce que je regrette toujours après coup ? C’est pas possible que ce soit ma manière de fonctionner. C’est donc moi qui les provoque ces échecs ? Mes échecs. C’est pas très rassurant. En même temps, si je fais un constat de mes relations passées, y’a rien de rassurant non plus. C’est donc ça le problème. Enfin, les problèmes. N°1 : Je ne sais pas être seule car ça me fait peur. N°2 : Je ne sais pas dire non car j’ai peur du regard des autres. N°3 : Je ne sais pas ce que je veux. Bon, bon, bon. Ca va pas être évident de s’en sortir mais j’ai envie d’y croire. J’ai envie de faire connaissance avec moi et de ne plus avoir ce sentiment de devoir tout faire pour ne pas faire mal aux autres. On peut blesser quelqu’un sans pour autant avoir cherché à le blesser. C’est comme ça. Et je ne le comprends qu’à l’instant. Faut apprendre à être soi-même quitte à faire mal à certains. Tu crois que c’est ça la solution ? Qu’est-ce qui fait que mon rapport aux mecs cloche à ce point ?

Samedi

Pas très envie d’écrire. Juste, Greg a appelé ce midi pour m’inviter à dîner. J’ai pris mon courage à deux mains pour lui dire qu’on n’avait rien à faire ensemble et que je préférais ne plus le voir. Voilà, c’est tout. Enfin c’est tout, c’est pas rien, c’est d’ailleurs bien la première fois que je dis non à un mec. Je crois que je suis entrain d’apprendre ce que je ne veux pas à défaut de savoir ce que je veux.

                                    Le 4 janvier,

22h54. Tiens, Nuage est déjà sous la couette. Quel dormeur celui-là !

Ca faisait longtemps. 13 jours exactement. Lili est revenue du Canada. Trop contente ! Lili est un remède contre la déprime suite à une rupture. 500g de mots rassurants et fortifiants. 1l de blagues super drôles. Une pincée de féminisme. Mélanger le tout dans un grand saladier d’amitié. Rajouter un peu de nonchalance. Et le tour est joué. Si je pense un peu moins à Antoine ces derniers temps, c’est grâce à elle mais grâce aussi au boulot. J’ai été prise pour jouer dans le film. Demain, c’est mon premier jour de tournage dans le premier long-métrage de Michel, le réalisateur. Il n’y a pas encore de titre définitif. C’est l’histoire d’une jeune femme qui, pendant la seconde guerre mondiale, va se déguiser en homme pour rejoindre le front afin de retrouver son fiancé qui a disparu. Mon fiancé dans le film s’appelle Benoît dans la vie. On a fait connaissance il y a plusieurs jours, pendant les essayages des costumes et les lectures. On s’entend plutôt bien et c’est rassurant. Je suis contente car ce rôle me demande de chercher. De trouver cette force d’amour qui pousse n’importe qui à mourir pour sa cause. Comme on va me raser les cheveux pour la seconde partie du film, on tourne en premier les scènes avant et après la guerre. Je suis très heureuse de jouer ce rôle mais j’avoue ne pas être exaltée comme j’aurai pu l’être il y a quelques temps. J’apprends à sourire de l’intérieur. Bon allez, je file dire bonne nuit à Lili et au lit. Faut être en forme pour demain.

                                    Mercredi 9 janvier,

22h02. Je viens de rentrer. Envie d’écrire. Le tournage se passe très bien. Je suis juste un peu fatiguée. Je donne toute mon énergie sur le plateau. A la disposition de Michel. En relation constante avec ce qui m’environne. C’est très agréable mais épuisant. De la bonne fatigue comme dirait grand-père. J’ai de la chance. Comme si les éléments extérieurs, dont je ne dépends en rien, voulaient m’aider. C’est une chance de travailler avec Michel. Et je dois avouer que Benoît ne me laisse pas indifférente. Plus on tourne plus je me fonds dans le jeu. Il y a Nini aussi, la maquilleuse avec qui je passe beaucoup de temps. Elle me confie sa vie, sans pudeur, abruptement, sans brutalité. Elle a une manière de parler sans détour. Frontale. Il y a dans sa voix, un aboiement de vie. Etre à son contact me fait découvrir une nouvelle vision du monde. Me fait prendre conscience de ma position dans la société, mon rôle de citoyenne que je ne dois pas négliger. Elle est photographe aussi, à ses heures perdues comme elle dit. D’ailleurs, aujourd’hui elle a apporté sa collection de photos de murs. Elle était fière et moi, curieuse. Elle est devenue passionnée et moi, émue. Chaque pierre a son histoire, il faut juste vouloir lire le long des fissures. Ah ! Nuage vient de sauter sur le lit. Hm… Un petit câlin qui fait du bien. Qu’est-ce que je l’aime celui-là ! Avec lui, il n’y a que le silence, bercé par ses ronrons. Un silence simple. Un silence plus rempli qu’aucune conversation.

            Le 10 janvier,

6h10. Assise dans la cuisine, j’attends que l’aspirine fonde. Je viens de rentrer. Mal à la tête. On a tourné cette nuit en extérieur et je crois bien avoir attrapé un rhume. Lili m’a laissée une assiette dans le frigidaire. Tarte maison avec salade de tomates. Lili est un amour mais je n’ai pas faim. Direction la chambre. Tout est calme. Le soleil va bientôt se lever. Ca me déboussole un peu. Pas habituée à vivre la nuit. Et puis, une nuit blanche, ça doit changer la vie. Comment je vais faire demain pour retrouver les repères que je n’ai pas. Et ce temps impossible à rattraper. Me sens emprisonnée, vulnérable, dépendante du temps. Je pense à Antoine. A Louis aussi. Je pense sans penser. Il est tard. La tête me tourne. Allez Nuage, au lit !

Vendredi 11 janvier.

00h32. Retour à la maison. Nuage est un petit chou à la crème, tout emmitouflé dans la couette. Hm… il a raison, ça fait du bien d’être allongée.

Ce soir, après le tournage, la régie a organisé un dîner marocain. Bonne occasion pour faire plus ample connaissance avec l’équipe. Car on a beau passer nos journées ensemble, on ne se connaît pas vraiment. Toutes nos discussions sont généralement centrées sur le tournage. Mais ce soir, c’était différent. Et ça fait du bien de changer de sujet par moment. Résultat des courses : amélioration des rapports. Moins professionnels, plus personnels. D’ailleurs, c’était p’être un peu trop personnel avec Benoît. Il m’a demandé de le suivre dans une loge. Ca m’a déstabilisée sans expliquer pourquoi. P’être simplement le fait qu’un garçon m’invite à vivre une certaine intimité. Ou p’être parce que je sens Ben attiré par moi. Ou p’être que. Non, stop, ne pas réfléchir. On verra bien vers où la barque dans laquelle je suis me dirige. N’empêche qu’on y est allé dans cette loge et qu’on s’est câliné. Pas de bouche à bouche mais une tendresse nouvelle et ça fait du bien.

Samedi 12.

Lili est en vadrouille. Moi, j’ai loué un film et commandé des sushi. Là, j’attends le livreur. Aujourd’hui Lili est venue me chercher à la maison de retraite. Comme elle était en avance, je lui ai dis de m’attendre dans l’entrée. Elle a un peu râlé, pas très à l’aise de restée seule dans cet endroit. Faut savoir que Lili déteste les personnes âgées, enfin c’est ce qu’elle dit ! Moi, je l’ai laissée et quand je suis revenue, 5 minutes plus tard, elle était entrain d’aider Juliette à marcher. Juliette c’est une vieille femme qui n’a plus de famille et qui rigole tout le temps. Lili ne m’a pas vue arrivée. Alors je me suis cachée derrière le pilier et j’en ai profité pour les observer. Elles m’ont replies d’amour. Collées l’une contre l’autre, soutenues l’une par l’autre, elles avançaient à petits pas, précautionneusement, jusqu’à la chambre de Juliette. Elles sont entrées dans la chambre de Juliette, quelques minutes se sont écoulées puis, j’ai entendu Lili souhaiter une bonne nuit à Juliette. C’est alors que je suis sortie de ma cachette et que Lili, me voyant, genre ni vue ni connue, a accéléré le pas en lançant, l’air d’être dégoûtée : « Je sais pas comment tu fais pour bosser dans un endroit pareil. C’est l’horreur. Ca sent… La vieille ! », et elle a éclaté de rire. Moi j’ai souris face à sa mauvaise foi. Elle n’a pas trouvé ça désagréable avec Juliette. Lili fait croire qu’elle déteste les enfants et les personnes âgées mais je sais que ce n’est pas vrai. C’est une sorte de carapace, d’image qu’elle se donne. Lili adore se faire passer pour un roc. Ah, on sonne. A table !

            Mardi 15 janvier

23h32. Après le tournage, avec l’équipe, on a bu un verre. Dans le regard de Ben, ambiguïté mélangée à de la séduction. Dans son comportement aussi. Prévenant et attentionné. Et puis sa main, caressant mon dos. Doucement. Rythmiquement. Langoureusement. J’ai d’abord pensé aux autres qui ne voyaient rien. Et cette idée m’a amusée. Ensuite, j’ai pensé à Ben. Est-ce qu’il est attiré par moi ou est-ce qu’il veut jouer au chat et à la souris ? J’ai opté pour la première solution. Cette idée m’a tout de suite plue. C’est à ce moment que je me suis demandée si, de mon côté, Ben me plaisait. J’ai souris en nous imaginant mélanger nos langues. Oui, pourquoi pas ! Alors je l’ai laissé faire pour voir où ça nous mènerait.

Il m’a déposée devant la maison. L’ai pas invité à entrer. J’avais pas envie. Pas encore. On s’est quittés sur un baiser déposé dans ma main. C’est vrai, ça m’a fais un petit quelque chose sur le moment, un léger frisson, mais bon, ça m’est vite passé. Je crois que Ben trouve en moi la tendresse qui lui manque tout comme je cherche en lui l’amitié perdue de Louis. Enfin, je ne sais pas. Et puis vue le contexte, les rapports sont modifiés et les sentiments amplifiés. Sans l’avoir choisi, on passe quasiment toutes nos journées ensemble, on s’habitue à la présence de l’autre et on y trouve un certain plaisir. Ah et puis, il y a Hugo aussi, l’assistant du réalisateur. Physiquement, c’est une beauté à mes yeux. Il a un sourire à tomber par terre. Il transpire le sexe. Je l’observe quand on tourne et ce qu’il dégage me plaît. M’excite dans un certain sens. Et tout cela me fait du bien. Ah ces hommes !

            Mercredi 16 janvier.

20h05. Tout est prêt. J’attends Lili et deux copines. Aujourd’hui c’est l’anniversaire de Lili. Alors comme je n’ai pas tourné, j’en ai profité pour lui trouver un cadeau, faire des courses, lui acheter des fleurs et organiser un petit dîner avec nos voisines. Un couple de lesbiennes. J’ai toujours imaginé vivre une histoire avec une fille. Mais je crois qu’une fois de plus, je n’assumerais pas mon choix. On en a déjà parlé avec les filles. Camille se retrouve dans mes doutes car elle s’est brouillée avec ses parents pour vivre pleinement sa relation avec Anne. Quant à Anne, elle pense que je ne vais pas tarder à passer le cap. Moi, je ne sais pas. J’ai mis ma vie sentimentale de côté ces derniers temps. Même si il y a Ben, je vois plutôt notre relation comme une amitié naissante, une complicité établie et un désir de tendresse. Et non comme un début d’histoire d’amour. Même si il y a Hugo qui respire bon le sexe. Enfin bon. Est-ce que j’assumerais faire l’amour avec une fille, me promener avec elle main dans la main, la présenter à ma famille ? En même temps, si c’est ça dont j’ai envie, je ne vais pas toujours faire en fonction des autres, si ? 

Le 17/01

Ce soir, me sens triste. Le cafard comme on dit. Parfois, j’arrive à vivre le moment présent et tout va bien. Mais parfois, je pense au passé et tout va de travers. Pourquoi est-ce que mon passé me fait tant de mal ? D’ailleurs, quel est-il ce passé si terrible qui me fait fuir ? Car j’ai souvent fui. Toujours cet automatisme d’enfouir mon chagrin dans mon sourire. Toujours faire croire que ça va même quand ça ne va pas. Ca a commencé quand maman est morte, il y a 10 ans. Ensuite, ça a été l’engrenage. Toujours la même réaction face à la tristesse. Ne vous inquiétez pas pour moi, je vais bien. Mais on ne peut pas stocker indéfiniment ses peines dans un recoin de son cerveau. J’ai eu si mal quand maman est morte. Une histoire à la con. Elle qui traverse la route et un type en voiture qui la fauche. Morte sur le coup. Et le type ne s’est même pas arrêté. Quand on a appris la nouvelle avec papa, je ne me rappelle pas avoir pleuré ou manifesté une quelconque douleur. T’inquiètes pas pour moi, je vais bien. Et dire qu’il n’y avait qu’à se pencher sur mon visage pour voir que ça n’allait pas. Mais papa était trop occupé à souffrir. Heureusement, il y avait toi, lui, Nuage. Je te prenais fort dans mes bras et je te remerciais secrètement d’être là pour moi. Un cadeau tombé du ciel. Une fleur en janvier.

    Vendre di 18 janvier,

Ce soir, Lili a fêté son anniversaire dans un restaurant. Elle avait donné rendez-vous à tous ses amis à 20h30 et je suis arrivée avec trois quarts d’heure de retard. Et moi, je n’aime pas être en retard. Retour en arrière. 20h34. Sortie du plateau. JP, un des régisseurs, propose de m'accompagner en voiture. J’accepte. Me change en quatrième vitesse. Coup d'œil devant la glace. Pas le temps de me démaquiller. Et moi, je n'aime pas être maquillée. Tant pis pour ce soir. Allez, je file. Pas le temps de dire au revoir individuellement, un au revoir général fera l'affaire. Bon, ça y est, c'est fait. 20h43. Oh la la ! On décolle. 21h02. Escale chez le fleuriste. 21h23. Devant le restaurant. Je descends de voiture en remerciant JP. Mon cœur bat un peu plus vite que d'habitude, c’est p’être parce que je trottine. J’entre dans le restaurant, gênée. Lili vient vers moi, dressant un magnifique sourire. Lui donne les fleurs : « Bonsoir ma bichette » - « Merci. Deux fois dans la même semaine, je ne suis pas encore morte ! Elles sentent très bon » - « J'allais pas arriver avec 1h de retard et des fleurs qui puent ! ». Et on rigole.

Lili m'a gardée une place juste à côté d’elle. Je fais le tour de la table pour saluer les autres convives et je m'assois. On rigole ou on parle, à chaque respiration. On se raconte tout, surtout les détails. Et parfois on redit ce qui a déjà été dit. Juste pour le plaisir de le redire, de le réentendre. On dit les mêmes choses au même moment. On se taquine. On se rappelle le passé. Des cours qu’on séchait pour faire les boutiques ou pour passer la journée à manger des gâteaux au chocolat devant des séries B. De la nuit passée à la belle étoile sur la plage car ni elle ni moi n’avions eu l’occasion de dormir à la belle étoile avant cette nuit-là. Du jour où on a fait sauter les plombs du lycée en faisant un mauvais branchement en cours de physique, ce qui nous a valût 6h de colle. De la fois où on a échangé nos identités, pendant une journée je suis devenue Elisa J. et elle est devenue Léa F. Et le jour où on est parties sans prévenir personne en voiture jusqu’à Montpellier pour qu’elle aille voir son copain de l’époque et que arrivées là-bas, il lui dise que tout est fini. Que de souvenirs !

Le repas est fini. On va passer au dessert. Pourquoi est-ce que je suis anxieuse, là, d’un coup ? Comme si une ombre planait au dessus de nos souvenirs. Lili s’inquiète, elle me caresse le bras : « Ca va pas ma poulette ? ». Mais pas le temps de répondre. Lili a bondi de sa chaise. Où va-t-elle ? Tiens, Clarisse vient d’arriver. De ma chaise, je regarde la scène. Lili et Clarisse rient et discutent à la fois. Lili est excitée. Tous ces gens venus rien que pour elle, pour son anniversaire à elle. Lili aime être entourée. Elle aime aussi être le centre du monde. Et ce soir, c’est son soir. Je suis heureuse pour elle. Ah, le gâteau. Tout le monde chante, tape des mains. C’est la fête. Lili me tend son appareil photo : « Tiens ». Sans un sourire, sans un merci, sans un « ça ne te dérange pas ? ». Un « Tiens » qui sonne comme un ordre. Elle souffle ses bougies. Les autres applaudissent. Moi, je me sens toute bizarre.

Pendant qu’elle ouvre son premier cadeau, Clarisse vient vers moi. Elle me demande si ça va. J’esquisse un léger sourire que Lili rompt en lançant froidement : « T’attends quoi là ? ». Un peu sonnée. Lili n’a jamais été autoritaire avec moi. Le cœur n’y est pas mais j’ai pas envie qu’on se dispute. Et pas la peine de me lancer ce regard noir, c’est bon, je les fais tes photos.

20 minutes plus tard. La pellicule est vide. Tout est rentré dans l’ordre avec Lili. Le soleil a chassé les nuages. C’est arrivé avec le troisième cadeau. Un sac à main qu’elle a trouvé affreux malgré son large sourire. Elle voulait faire croire aux autres qu’elle le trouvait très joli mais j’ai vu dans son regard qu’elle le trouvait affreux. Je l’ai vu parce qu’elle voulait que je le vois. Parce que j’étais la seule à pouvoir voir son double jeu. Alors d’un coup, la complicité est revenue. On a voulu s’isoler un peu. On est donc allées aux toilettes. Pas parlé de son attitude concernant l’appareil photo, c’était oublié. On a préféré commenter la soirée et les cadeaux, c’était plus drôle. Tout ça pendant que Lili se remaquillait et que je faisais pipi la porte ouverte, une cigarette au bec. Juste avant de sortir, on a respiré nos aisselles au cas où ça sentirait mauvais. Mais ça allait. A 00h32 Lili a voulu aller en boite de nuit. Pas moi. Elle a un peu boudé mais comme Clarisse y allait, elle s'est agrippée à son bras et ont filé, sans dire au revoir. Le chat miaule. Qu’est-ce qu’il y a ? Il a faim. Oui bon bah pas besoin de me regarder avec ces yeux là, tiens les voilà tes petites croquettes !

Je pense à Sandrine, une copine que Lili s’était faite à la fac. Enfin, copine s’est vite dit. Sandrine était très bonne élève. Alors, comme Lili séchait beaucoup, pour pouvoir avoir les cours, elle s’est rapprochée de Sandrine. Enfin, rapprochée, c’est pas vraiment le bon terme. Elle a profité d’elle. Car en plus d’être bonne en cours, Sandrine était issue d’une famille très riche et plutôt jet-set et Lili adore les paillettes. Pendant plus d’un an, Sandrine a cru que Lili et elle étaient de grandes amies. Sandrine l’a invitée partout. Et comme elle adorait Lili, tout ce que Lili voulait, Sandrine lui donnait. Alors elle m’imposait partout. Elle faisait croire à Sandrine qu’elle était ravie de sortir avec elle mais dès qu’on se retrouvait toutes les deux, Lili était rayonnante de victoire. Morte de rire, elle me racontait tout ce qu’elle avait fait croire à Sandrine et comment Sandrine, aveuglée par sa confiance et son amitié, ne voyait rien. Et puis, l’année d’après, elle a trouvé une autre « bonne poire » comme elle les a surnommé. Car il y en a eu, et beaucoup. Et si je pense à ça, c’est parce que j’ai eu l’impression ce soir d’être la bonne poire. C’est malin, maintenant je doute de Lili, de notre amitié. Mais non, je dis n’importe quoi. On est des sœurs et on s’aime. Je suis fatiguée voilà tout. Et si je dormais histoire de me changer les idées ?

Dimanche.

Aujourd’hui j’ai décidé d’écrire une lettre pour maman. Et une fois de plus, je réfléchis trop. Alors hop c’est parti, je me lance :


Maman,

Par où commencer quand on ne connaît pas le début ? Tu es partie tellement vite et moi, j’ai mis tellement d’années à le réaliser. On n’a pas eu le temps de se dire au revoir. Aujourd’hui, ça me pince le cœur. Moi qui ai toujours cru que tu n’étais pas vraiment partie. Tu sais, ça ne m’aurait pas surprise de te voir franchir le seuil de la maison. J’ai même souvent espéré ce moment. Je t’ai attendue, des nuits et des jours. Des jours et des nuits. J’entendais papa qui pleurait dans la chambre. Bien souvent je me suis blottie derrière la porte et j’ai écouté sa plainte. Moi, le bloc, l’invincible, je n’ai jamais eu la force de rentrer et le serrer dans mes bras. Une fois, il est parti 2 jours pour le travail. Une curiosité aiguë m’a saisie et je me suis mise à regarder dans tous les placards, sur toutes les armoires. C’est là que je suis tombée sur une boite à chapeau que je ne connaissais pas. Alors je l’ai ouverte. J’ai vu les photos de toi avec d’autres hommes que papa. Je n’ai pas eu l’envie de les compter mais il y en avait beaucoup. Tout comme les dates inscrites derrière les photos. 1982, 1983, 1984, 1985, 1986, 1987, 1988, 1989, 1990, 1991, 1992, 1993, 1994 et 1995. Des lettres aussi. Plusieurs du même homme. Au fil de ces découvertes, mon corps a commencé à se paralyser. Tu donnais tellement l’image d’une épouse parfaite. D’un coup, les pleurs de papa ont envahis ma tête. Et petit à petit, ils se sont transformés en cris de plus en plus stridents. J’ai dû m’endormir un peu car les bruits se sont arrêtés nets. C’est à ce moment-là que j’ai commencé à te haïr, pour tes cachotteries, tes mensonges. Dans une lettre, j’ai appris que tu avais prévu de partir avec cet homme, P. Tu avais tout organisé, comme toujours. Si tu n’étais pas morte, nous aurais-tu dis au revoir ? Nous aurais-tu prévenu ? On vivait ensemble mais on ne se connaissait pas. J’arrivais tout juste dans l’âge où on se bat avec tous, assoiffé de vivre sa vie. Cette période où l’on n’a besoin de personne mais où l’on voudrait que tout le monde nous aide. Et d’un coup, plus de puit, plus d’eau, plus rien. A force d’avoir vécu dans un désert, je me sens aussi éparpillée que le sable. Quand papa est rentré de son voyage ce fameux jour, je n’avais rien rangé. Je m’étais alitée, épuisée. Il n’a rien dit pour la boite à chapeau. Il est allé dans la cuisine et m’a apporté une soupe bien chaude. Je l’ai posée sur la table de chevet et j’ai éclaté en sanglots dans ses bras. J’ai senti des larmes dans mes cheveux. C’était il y a un peu plus de 8 ans. Je t’en ai tellement voulue maman. Pendant tellement de jours et de nuits. Et de nuits et de jours. Mais maintenant, je suis prête à faire la paix. Tu sais, j’ai compris certaines choses en grandissant. J’ai appris à te voir comme une femme et non comme une mère. Et puis, j’ai accepté de te faire une petite place en moi. Juste ce qu’il faut pour que tu m’accompagnes sans m’étouffer. C’est drôle de se dire que je ne t’ai jamais mieux connue que morte. Je dis ça parce qu’il y a plein de trous dans ma mémoire. Je ne me rappelle que très vaguement de notre relation. Ca c’est un problème que j’ai en général. Mon enfance est floue. Enfin. Ca me fait du bien de te parler. Ca me soulage en quelque sorte. J’ai l’impression que tu m’écoutes. Attentive. Attentive comme jamais. Maman, il est long ce deuil de toi à faire. Parfois j’ai l’impression que je n’y arriverai jamais. Nous les enfants, nous ne sommes pas préparés à faire le deuil de nos parents. J’aimerais toujours rester ta petite reinette maman. J’ai peur de grandir. J’ai peur de vivre maman. Mais je m’accroche, je ne sais pas faire autrement. Est-ce que je suis folle maman ? Ou simplement perdue dans mon propre cœur ? Toi qui vivais sans te poser de questions, qui allais où bon te semblait, est-ce la clé du bonheur ? Tu es morte trop tôt maman. Et maintenant que je deviens femme, je ne sais pas comment on fait maman. Comment on fait pour être une femme maman ?

Vendredi.

21h47. On quitte le plateau. Fin de la journée de travail. Fin de la semaine de tournage. Ah ! Ben vient de m’attraper par la taille et par surprise. Il me demande si je reste à la fête. Oui. Alors bras dessus bras dessous, on va se changer. Puis direction la loge maquillage pour se démaquiller. Ben s’occupe de la lotion et moi des cotons. Tous les deux, on ne se quitte plus. Aucun baiser échangé, juste de la tendresse en continuité. Beaucoup de gens pensent qu’on est ensemble. Et on ne fait rien pour atténuer les soupçons. Au contraire, on cultive cette ambiguïté. Ca nous amuse beaucoup.

Ce soir, c’est Hugo qui me raccompagne. Depuis qu’on a commencé le tournage, je fantasme sur lui à bloc. 8° au compteur de sa voiture. Rien que tous les deux. J’ai des envies de viol. Lui, il ne se doute de rien. Enfin, je pense. Il allume une cigarette et me jette un regard. Mes envies de viol sont de plus en plus fortes. Si il continue à me sourire comme ça, lui saute dessus. Il l’aura cherché. Non, j’attends, on risquerait d’avoir un accident. Bon, bon, bon. Je guette. Je guette le bon moment pour bondir. Oui, au feu. Quand on se sera arrêté au feu rouge me tournerai vers lui et lui mangerai la bouche. Non mais ça va pas ! Heureusement qu’il ne peut pas lire dans ma tête, ça serait embarrassant. Oh la la ! Il me regarde. Moi, je regarde droit devant. Plus que 20 mètres pour prendre mon courage à deux mains. Oh la la ! Ca y est, on y est. Toute bouillonnante. Bon, faut se décider, le feu ne restera pas éternellement rouge. Oui mais c’est plus facile à imaginer qu’à faire. J’ose pas. J’attends. J’attends que quelque chose me décide à agir. J’attends l’impossible. Et Hugo qui ne fait rien. Et le feu passe au vert. Zut ! Trop tard. Pourtant j’ai toujours envie de lui arracher ses habits.

Samedi.
On est allés dans un bistro avec Ben cet après-midi. Oui, c’est vrai, j’aime bien passer du temps avec lui. Oui, c’est vrai, je le trouve charmant et drôle et tout et tout. Mais je mélange tout, les personnages, nous. Je suis en manque affectif, voilà tout.

                        Dimanche 27/01

Dans l'après-midi…

Rien fichu aujourd’hui. Parfois j’aime pas trop les dimanches mais celui-ci, je l’adore. Comme c’est bon de traînasser à la maison. Pas sortie de mon pyjama. Même si Lili a voulu me secouer, j’ai pas flanché. Et puis Nuage était mon allié. Alors forcément, ça aide !

Aujourd’hui, je pense à Antoine sans peine, avec l’intime certitude d’avoir pris la bonne décision. Oui, c’est une bonne chose que ce soit fini entre nous. Comment ça se fait que la séparation, ou plutôt l’avant séparation, fut si douloureuse ? Comment est-ce qu’on peut aimer quelqu’un et qu’un jour, ça disparaisse ? C’est p’être pas ça l’amour… J’en viens même à me demander pourquoi on s’est mis ensemble avec Antoine. Parce que j’ai beau réfléchir je trouve pas de réponses. Non, décidément, rien ne vient. Les souvenirs sont vagues et ceux dont je me rappelle ne génèrent aucun sentiment en moi. J’ai tourné la page comme on dit.

Mardi 29 janvier.

Cette semaine je ne tourne pas alors je suis allée donner un coup de main à la maison de retraite. Là, c’est ma pause déjeuner. Je fais réchauffer une purée et je suis bien. Ici tout le monde fait la sieste à part Antoinette et Mme B. qui regardent les feux de l’amour avant l’atelier costume. C’est un des ateliers de mon programme. J’ai inventé ce programme il y a 8 mois. Quand je suis arrivée, j’ai été surprise de voir à quel point la maison était triste. La couleur des murs, l’éclairage, les meubles, les fausses fleurs, et les objets qui se demandaient ce qu’ils faisaient là. Et moi j’étais pas là pour refaire la déco mais donner à manger, changer le linge, ranger le salon, distribuer les médicaments (qui ne servent à rien entre parenthèses), répondre au téléphone etc. Ca m’a permis d’observer tout ce petit monde et ça m’a rendue triste. Toujours le même petit déjeuner ensuite quartier libre qui consiste à s’isoler dans sa chambre ou pour les téméraires, à se promener dans le couloir. Puis déjeuner puis télé, re isolement ou ballade restreinte, puis dîner et au lit. Des corps sans vie à faire et refaire chaque jour les mêmes gestes, les mêmes déplacements. Sans envie, parce que c’est ça qui a été décidé pour eux et non par eux. Et ce silence. Juste le frémissement des robes de chambre contre les murs. Ou alors la télé. Le manque de voix humaine m’a fichu le bourdon alors j’ai décidé de tourner un film avec chaque habitant des lieux. J’ai établi une liste de rôle à jouer pour un tournage : auteurs, décorateurs, costumiers, comédiens, preneurs de son, installation lumière etc. Et je suis allée voir la directrice pour lui soumettre mon idée. Toujours été intimidée par cette femme. Je sais pas si c’est son éternel chemisier en soie blanc avec sa jupe noire bien droite, comme son bureau, linéaire, comme ses talons, son chignon, ou c’est p’être son collier qu’elle caresse tout le temps ou p’être son air pincé ou p’être que c’est sa voix, froide et étouffante, avec ce léger accent qu’elle s’est inventée pour faire genre, oui, je sais pas d’où ça vient mais elle m’intimide. J’ose jamais vraiment la regarder dans les yeux. Enfin bref. Elle a refusé. Elle a pensé que ce n’était pas une bonne idée de changer les habitudes des personnes âgées, qu’ils n’avaient plus l’âge de jouer la comédie, que je n’étais pas là pour ça et que de toutes les manières, vu le travail que ça demande, ça ne les intéresserait pas. Elle me congédie donc après m’avoir expliquée comme si j’avais 4 ans qu’on doit prendre les personnes âgées avec des pincettes. Mais je suis têtue et quand j’ai une idée en tête, faut s’accrocher pour me l’enlever. Alors je suis allée voir chaque résitant. Certains m’ont écouté d’une oreille distraite, d’autres se sont pris au jeu et la vie a fait son chemin. Si bien qu’aujourd’hui tout le monde participe au projet, selon les motivations de chacun. Je me suis donc adaptée aux désirs de mon équipe et grâce à leur créativité respective, on a écrit un scénario, choisi les rôles, répété, crée les costumes, les objets et là, on est à la dernière étape, les lieux définitifs du tournage. C’est Mme V. qui est chargée de cette mission. Au début, elle a trouvé mon idée de film absurde vue son âge et celui de ses colocataires, vue leur capacité physique aussi. Elle, elle ne peut plus se déplacer, c’est une évidence. Alitée depuis des mois, elle ne peut plus bouger, même en fauteuil roulant. Elle a parlé aussi de sa vie depuis quelques années et j’en ai conclu qu’elle se sentait inutile, qu’elle se pensait être un fardeau pour autrui. Alors les larmes me sont montées aux yeux. Me suis inclinée face à son corps sans énergie. Pas tenté de lui remonter le moral du haut de ma jeunesse et puis, elle n’attendait rien. Et moi, je me sentais tellement faible face à la vie. Mais quand j’ai un genou à terre, peux pas m’empêcher de me relever. Alors je suis sortie de sa chambre désireuse de lui montrer qu’elle aussi a son rôle à jouer. Et j’ai continué ma ronde. Ca n’a pas été facile de monter ce projet. Peu sont venus à la première réunion. J’ai quand même raconté ce que je voulais faire et proposé une manière de le faire. Mais je ne les ai pas senti réactifs. Alors j’ai envisagé de laisser tomber. J’ai donc organisé une seconde réunion pour leur dire. Mais j’ai eu droit à une belle surprise. Ils étaient tous là. Enfin, pas Mme V. Bon, on a réparti les tâches et au boulot ! Quand on a achevé l’écriture des grandes lignes du film, scène par scène, avec Jules, JoJo, Elisabeth, Mme H. et la comtesse, je suis allée voir Mme V. Une autre évidence m’était venue. Elle ne peut pas se déplacer physiquement, c’est donc le monde qui va venir à elle. Lui ai donc proposée de trouver un lieu pour chaque scène. Je n’oublierai jamais ce sourire en guise de réponse. Un abandon face à sa propre obstination mêlé à une douceur infinie. Encore une fois, les larmes n’étaient pas loin. Bon, j’arrête d’écrire, Antoinette et Mme B. m’attendent.           

Dans la nuit de jeudi à vendredi.           

J’arrive pas à dormir. La nuit est calme. Juste le ronflement de Nuage.

Me sens seule. Abandonnée. Egarée.

Le silence m’enveloppe. Me sens vide. Inutile.

Les jours avancent mais pour aller où ? A quoi ça rime tout ça ?

Vendredi.

Je gare mon vélo devant la piscine. 17h30. Lili ne devrait pas tarder. Tiens, la voilà. Elle râle, comme toujours. Qu’est-ce qu’il y a ? Rien, un bas filé. Ah. Direction les vestiaires. Zut ! J’ai complètement oublié de m’épiler. Lili rie. Moi aussi. Direction le bassin. Hm… Ca fait du bien de nager. Elle me décrit une nouvelle collection de peinture qu’elle a reçu à la galerie. Je sens bien qu’elle amène un autre sujet. Mais elle fait non de la tête et plonge. J’ai compris le message. J’attends. « Bon plus que 2 longueurs et après on arrête, ok ? » - « Ok. On fait une course ? ». 3, 2, 1, c’est parti ! Lili a pris un bon début. La rattrape. On nage au même rythme. Lili reprend le dessus. Je commence un peu à fatiguer. Ah non, c’est pas le moment. Plus qu’une longueur. Une bouffée d’oxygène et hop ! La tête sous l’eau. Je rattrape mon retard mais Lili demeure la grande gagnante du concours de vitesse. Après l’effort le réconfort. Deux chocolats chauds. Lili parle d’un garçon qu’elle a rencontré à la galerie. Sourire genre ultra Bright, muscles saillants sous sa chemise, fessier ferme et rond, tout ce qu’elle aime. Je sentais bien qu’il y avait autre chose derrière sa collection de tableaux. Lili est impossible, dès qu’elle rencontre un type qu’elle trouve beau, elle peut pas s’empêcher de coucher avec lui. Et moi après, j’ai droit à tous les détails. Ah cette Lili ! En même temps, je suis pas mal non plus dans mon genre. Sauf que je vais pas au bout. Ou p’être que c’est ça mon bout à moi, avoir des relations juste dans ma tête. Parce que franchement, que ce soit Hugo ou Ben, je suis convaincue qu’il ne se passera rien. J’aime fantasmer une relation avec l’un ou avec l’autre mais de là à ce que ça devienne la réalité, j’y crois pas. C’est grave docteur ? Du moment que je le vis bien, c’est ce qui compte non ?

18h57. En direct du téléphone. Excitée comme une puce. C’est Hugo, l’assistant de Michel. Il s’excuse de me déranger. Non, pas de problème. Je joue ma désinvolte. Il me demande si je peux passer demain chez le coiffeur. Lui sera là pour prendre des photos. Je dis oui sans trop montrer mon enthousiasme. Il me remercie plusieurs fois et me donne rendez-vous à 12h45. Il trouve ça plus agréable de déjeuner d'abord et de rejoindre le coiffeur chez lui ensuite. Mon cœur bat à 10000 : « Oui, c’est une bonne idée » - « A demain alors ». Et on raccroche. Je ne dis rien. Cette conversation me met dans un état second. Tout résonne en moi. Penser qu’on déjeune demain rien que tous les deux avec Hugo me fait sourire de plaisir. J’y suis déjà. Chez le coiffeur. On attend dans le salon. Il referme la porte derrière nous. Rien que tous les deux dans une pièce fermée. Il s’assoit sur le canapé, me fais signe de venir à ses côtés. J’avance timidement. On est côte à côte. Et paf, on s’embrasse, gémit, se pelote… Non mais ça va pas la tête. Je suis complètement folle !

Samedi 3,

11h05. Je m’étire. Hm… Très bien dormi. J’avais prévu mon coup. 12h de sommeil et aucune cerne. C’est parfait. Direction la salle de bain.

Tiens, quelqu’un a appelé pendant que je me douchais. Tiens, c’est Hugo. Il a laissé un message, j’écoute. Il ne va pas venir. Il a attrapé froid. C’est Marc, le second assistant réalisateur qui le remplace. Et moi qui pensais lui manger la bouche et me faire peloter les seins, c'est râpé.

Tiens, Lili a laissé un mot. « Je voulais pas te réveiller, je file en week-end avec mon beau brun de la galerie. A dimanche ». Bon bah week-end sushi/films en perspectives. Mais avant, à l’essayage coiffure.

De retour. J’ai essayé les 3 perruques cheveux courts choisies par Michel. C’est dans un premier temps, avant de me couper les cheveux. C’est fou comme ça change le visage. Dans la glace, il y avait un jeune homme. Je suis restée pensive un long moment.

Mercredi

J’avais trois jours de tournage cette semaine. Aujourd’hui, c’était le dernier. Je suis un peu fatiguée ce soir. Il s’est passé quelque chose d’anormal sur le plateau. Nini était en pétard. A 21h43 Stella, de la production, est allée parler à Hugo : « Le tournage devait durer jusqu'à 19h, on a 3 heures de retard. Ca veut dire 3 heures supplémentaires à payer par la production aux techniciens. Vous vous rendez compte ? Vous ne pouvez pas vous dépêcher ? » - « On fait du mieux qu'on peut » - « Et bien, ce n'est pas suffisant. Vous êtes des incompétents ». Et elle est partie. On a tous entendu. On s'est tous regardés et avec le plus grand calme, on a terminé le tournage.

Je suis énervée. Enervée contre le système et contre tous ces gens qui détiennent le pouvoir décisif, qui veulent toujours plus et dépenser moins. Ces gens-là seraient heureux avec des robots tout autour d’eux, comme ça, ils les feraient aller à la vitesse désirée. Des robots où on aurait juste à appuyer sur un petit bouton et hop ! On n’en parle plus. Pas besoin d’être poli ni gentil. Pas besoin de discuter salaire, primes ou vacances. Pas besoin de rien du tout. Et quand le robot ne marche plus, à la casse. Sans indemnité ni ménagement. Royaume rêvé, rempli de petits soldats écervelés à leur service. Voilà le tableau du monde vers lequel nous allons. Un monde sans vie. Sans âme. Sans sentiment. Sans amour. Un monde froid. Où toute émotion serait gelée. Où nos cerveaux ne nous appartiendraient pas. Bienvenue dans le monde lobotomisé. Ah non, je m’y refuse. C’est pas possible d’avoir de l’or dans le cœur et de ne pas le savoir. C’est pas possible de tout gâcher comme ça. La terre tourne mais pas dans le bon sens. Et ça me donne le tournis. Je crois que je vais dormir, ça ira mieux demain.

Vendredi 8 février,

Hier j’ai déjeuné avec papa. Je suis allée le chercher au travail un midi. J’étais toute contente de le voir. Lui idem. J’ai vu mes copines aussi, Alice, Adèle et Nanou. Elles sont toutes les trois comédiennes. D’ailleurs, on s’est rencontrées à l’école de théâtre il y a 5 ans. On ne se voit pas très souvent alors quand on se voit, c’est pour un après-midi entier. On a tellement de choses à se raconter. Oui, je reconnais que les filles entre elles sont bavardes. Mais c’est parce qu’elles aiment raconter leur vie et écouter celle des autres. On s’est rendues compte que nos vies ne changeaient pas dans le fond. Seuls les acteurs de nos vies changent. Ce sentiment de ne pas avancer. C’est pas faute d’y croire dur comme fer sur le moment. Mais au final, on constate beaucoup d’erreurs. Et ça ne nous empêche pas de recommencer. Car le problème, c’est qu’on y croit à l’amour. Non, moi je ne demande qu’à y croire à l’amour. Ah ! Le carillon des voisins sonne. 8 coups. Oh la la ! Faut que je m’active, ce soir, dîner avec Ben. Lili râle un peu car pour une fois qu’elle est à la maison, j’aurais pu rester. « Et ton beau brun ? »- « Ah lui, fini ! » - « Tu verras, Nuage est de très bonne compagnie » - « J’aime pas les animaux ! ». Quelle râleuse cette Lili ! Bon alors, qu’est-ce que je vais mettre ? Envie de me faire jolie. Me ronge les ongles. Un peu agitée. Ca fait longtemps que je ne me suis pas faite jolie pour un garçon. Bon alors, ce petit haut ? Non, ça va pas. Il va regarder mes seins toute la soirée. Alors mon gilet. Non. C’est moche. Il va penser que je suis malade. Ma robe rouge. Oh non ! Ridicule. Il va imaginer que je veux coucher avec lui. Bon alors, mon col roulé noir un peu moulant. Non, c’est trop moulant. Il va m’imaginer nue. Alors hop ! Une chemise et un pull. Très bien. Bon et pour le bas ? Vais pas rester les fesses à l’air toute la soirée. Sûr que non. En même temps ça pourrait être drôle. J’ai du mal à imaginer la tête qu’il ferait. Bon. Bon. Bon. On arrête de dire n’importe quoi et on s’active. Alors hop, mon pantalon marron fera très bien l’affaire. Bon direction dans la salle de bain histoire de<

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