Conte de l'ère des morts qui marchent. L'Ours.

ellem-jee

Il y a quelques années, ou quelques décennies peut-être, le mal s'est répandu brusquement sur la Terre. Il a tué les vivants avant de les posséder, pour les transformer en mangeurs sans conscience, relativement amputés de leur intelligence. La prédation zombie avait commencé, et dans ces temps troubles une guerre atomique, très brève par sa violence, éclata entre deux grandes puissances que tout oppose, et transforma l'Amérique en un champ de ruines arides, effrayantes et féroces. La population est de 1 être humain pour 10 zombies. Les survivants se rassemblent en petits groupes. Ensembles ils se sentent plus forts. Ils sont aussi plus appétissants.

Mes chairs amies aux yeux mouillés, moi, Rephaïm, vieux chaman d'un culte oublié, vais vous conter en cette sombre nuit la légende d'un héros nommé Ted Arcas, le Guerrier Ours. Ce porteur de l'Espoir a, dit-on, vécu dans les temps anciens qui précédaient ce vide immense et froid, à l'époque où le chaos existait encore, époque où le passage de l'hydrogène mortifère était encore brûlant, la terre en gardait des séquelles hystériques et ses habitants une féroce envie de survivre ensemble, ou survivre tout court. Théodore Arcas, surnommé « Ted » était jeune et plein de ressources quand l'enfer est venu sur la terre pour la dévaster. Mais surtout, son regard ne cillait jamais.

Nous chamans, de même que les Grands Esprits qui nous habitent parfois, connaissons les secrets de l'âme, et ainsi les dieux savaient que l'animal totem d'Arcas était l'Ours Noir quand ils le choisirent pour recevoir le Don des dieux, en récompense de la ténacité admirable dont il avait fait preuve dans le Monde Dévasté ; et également parce que les Survivants avaient besoin d'une force à laquelle se raccrocher quand Ceux-qui-Marchent apportent la peur et le désespoir dans le jour, dans la nuit. Aussi les Grands Esprits soufflèrent-ils sur Théodore durant son sommeil, et insufflèrent à leur élu la Bravoure, l'Instinct, l'Amour, et la Force de l'Ours Noir.

En se réveillant Ted se sentit immense et fort, et le besoin de protéger les semblables à ses côtés était tel que ses côtes et son âme lui en étaient douloureuses quand il ne le faisait pas. Mais il ne le sut pas tout de suite, car il n'avait jamais hésité à protéger.

Au fil du temps et des années Ted Arcas vivait encore, contrairement aux autres, et semblait de plus en plus immense et fort. Il avait sauvé beaucoup de malheureux que le Grand Corbeau, la mort, voulût emporter. Toujours il marchait avec ceux qui le suivaient, et son instinct d'ours lui intimait quand il fallait quitter un camp pour un autre abri de misère. Ted Arcas devint connu dans le Monde Dévasté, et tous l’appelaient « Le Vaillant Teddy ». Mais toute cette gloire rongea le cœur de l'homme, qui devint rempli d'une arrogance insoupçonnée, sans savoir que c'était les dieux anciens qui lui avait fait ces cadeaux qu'il prenait pour acquis. Et plus sa superbe enflait et plus Teddy tendait du côté de l'Ours et s'éloignait de l'Homme.

Il laissa pousser sa barbe pour avoir l'air intimidant, et celle-ci, brune et épaisse comme une fourrure, lui couvrait les joues, rosies par l'alcool, et s'étalait jusqu'à la base de son cou ; et ses ongles s'incurvaient et se laissaient lentement devenir griffes tandis que le poil de ses bras et de ses jambes s’épaississait. Bientôt, le Vaillant Teddy fut davantage habité par la déchéance plutôt que la vaillance, et les gens ne l'approchait plus à cause de la bestialité qui l'habitait et de son air pompeux, et nombreux furent ceux qui partaient. Et le Raillant Teddy se riaient de ceux-là, car il était sûr qu'ils mourraient une fois loin de lui. Et il avait raison. Au bout d'un moment il n'aidait même plus les malheureux qui croisaient son chemin, et les laissaient parfois même se faire dévorer sous ses yeux, bien qu'il souffrait à l'intérieur de lui-même. Ses côtes et son âme le faisait souffrir alors un jour il laissa ceux qui le suivait et il partit loin, seul, si bien que ses côtes n'avaient plus à lui faire mal. Il perdit alors l'usage de la parole humaine. Voyant cela, les Grands Esprits furent très déçus, et ils décidèrent d'éprouver ce qu'il restait de cœur à Ted Arcas plutôt que de le punir davantage.

Les dieux mirent une famille sur son chemin, au cœur de la nuit. Ils étaient quatre : il y avait une fillette, May, un vieillard, Dean, et un jeune couple dont les noms étaient Shah et Ina. La petite fille serrait un petit ours en peluche marronnasse dans ses bras, il était rongé par les mites et l'humidité mais elle s'y accrochait comme si son univers en dépendait, ce qui était sûrement le cas.

L'instinct de Teddy vit les Hordes se rapprocher en trottinant et il s'éloigna d'eux, mais il était trop tard, ils arrivèrent de tous bords, et bientôt les cinq malheureux étaient encerclés, et expireraient bientôt. Tandis que Ceux qui Marchent essayaient de dévorer le vieillard et le couple en claquant des mâchoires (car il manquait à beaucoup des mains ou des bras entiers) Teddy s'éloigna vivement d'eux, pour essayer de se frayer un passage dans la masse gémissante et affamée et vite sortir de cet enfer, mais la fillette se faufila et courut vers lui pleurant à chaudes larmes :

_ Monsieur ne nous laissez pas ! S'il vous plaît je vous en prie aidez-nous ! Gémissait-elle en secouant son bras griffu. Teddy la repoussa et grogna avec colère, réduit à ce seul langage. Elle insistait, et lui tendit son ours en peluche :

_Monsieur ce n'est pas grave si vous avez peur, nous avons tous peur, prenez ça. Il me donne de la force.

Teddy regarda la boule brunâtre qui semblait le narguer, il la prit délicatement et vit son propre reflet dans l'unique bille oculaire restante. Presque une bête. L'Homme sentait que s'il se retournait à nouveau, il deviendrait complètement ours. Il déposa la créature dans les bras de la petite fille, et ouvrit sa mâchoire immense, qui pour la première fois depuis bien longtemps déclara quelque chose d'humain :

_Je n'ai pas peur, rugit-il, je suis le Vaillant Teddy !

Signifiant "merci" d'un dernier regard à la petite May, l'Homme-Ours courut auprès de la famille et repoussa, écrasa les Morts autour d'eux. Puis il libéra sa rage destructrice, il tua, déchiqueta, broya des os...mais la Horde n'en finissait pas, il semblait en arriver toujours plus, à l'infini. Teddy ne faillit pas, il ne sombra pas dans la terreur. Les Grands Esprits étaient rassurés, car leur élu avait toujours du cœur en lui. Mais il était au bord de l'épuisement. Teddy n'avait plus mal au dedans de son âme, ses genoux tombèrent dans la poussière et il sourit, car la peur lui était étrangère. Juste avant qu'il ne soit dévoré avec les autres, les dieux le soulevèrent et emmenèrent son esprit avec eux. Et son âme sortit de son corps, et explosa en un millier de petites lueurs bleues, qui consumèrent les Morts et le corps de Ted Arcas comme une vague ardente. Puis toutes les lueurs se dispersèrent dans le ciel et retombèrent partout au loin. Mais une seule resta vers la fillette, et entra dans la peluche fatiguée. La petite la regardait avec un air fasciné mêlé d'une pointe de tristesse, comprenant le sacrifice qui venait d'avoir lieu.

_Teddy'n'Ours...murmura-t-elle en souriant.

Ainsi naquit la légende des Teddy'n'Ours, car chaque lueur d'âme s'était transformée à l'identique à celui de la petite fille, et avait la même propriété d'apaiser ceux qui avaient peur dans leurs côtes et au dedans de leur âme. Outre celui de la petite fille, ces ours au brun délavé et borgnes avaient une marque déposée sous la couture, « Teddy'n'Ours ».

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