Conte de Noël 2016 épisode #7

Christophe Terral

Un conte de Noël comme un calendrier de l’Avent, à effeuiller du 1er au 24 décembre. Un feuilleton. Une fable moderne. Voici mon cadeau pour célébrer cette fin d’année.

épisode #7 – temps de lecture : moins de 4 mn

Cette soudaine invasion de Post-It ne plaisait pas à Lambert. En vérité, ce n'était pas tout à fait vrai. Pour être complètement honnête, il devait reconnaître que ce qu'il n'aimait pas, c'était plutôt l'idée que quelqu'un le tourne en ridicule avec de petits carrés de papier insignifiants, lui le Monsieur « risques » de la boîte. Mais quoi ! Après les terribles attentats qu'avait connu le pays, comment ne pas trouver cela étrange. Suspect ?

Les premiers jours, personne à l'étage n'avait rien dit, trouvant ces attentions du matin pleines de fraîcheur et de poésie. Un soudain vent de fantaisie et de légèreté s'était invité sur les cinq îlots de l'open space du quatorzième – « Fort Knox » ainsi que l'avaient baptisé les collègues des autres services, en référence au camp militaire abritant les réserves d'or des États-Unis. Dans la liste des Like chers à Lambert, le surnom figurait dans son top 5. Il n'en était pas peu fier. D'abord parce qu'en fan absolu de James Bond, il n'oubliait pas que dans « Goldfinger », l'espion de sa Majesté déjouait un braquage contre le coffre-fort de l'Amérique. Ensuite parce que le bâtiment de l'U.S. Bullion Depository était jusqu'à ce jour resté inviolé, symbole de ce que la sécurité comptait de plus performant en ce monde. Une espèce de graal absolu dont Lambert cultivait l'image auprès de l'ensemble de ses équipes.

Et voilà qu'en quelques jours seulement, sa réputation risquait de s'effondrer – sans parler de la légitimité de son autorité légendaire - mise à mal par l'inconséquence d'on ne savait quel plaisantin infiltré dans l'immeuble. Enfin, tant que ce n'était pas un illuminé ou un fanatique religieux. Comment cela était-il seulement possible ? Kovasevic, la brute mono neurone qui lui servait de Cerbère, jurait ses grands dieux que les caméras de vidéo surveillance n'avaient rien enregistré de particulier ces dernières semaines. Mais n'avaient-elles jamais enregistré quoi que ce soit de particulier depuis leur installation ? Que le serbe aille au diable avec sa déférence trop zélée pour être honnête. Foi de Lambert, il allait faire une descente dans son bunker à l'improviste, visionner les enregistrements et on allait voir ce qu'on allait voir.

Il y avait forcément une explication logique et rationnelle à la présence chaque matin de onze Post-It colorés sur les écrans de onze ordinateurs, tous différents d'un jour sur l'autre. Pourquoi onze se demandait Lambert en boucle ? Devait-il y voir une symbolique particulière ? Il avait parcouru en diagonale les premières occurrences de Google à la suite d'une rapide recherche de principe. Il avait trouvé ici ou là quelques éléments de réponse. Sans plus. Sur Internet, ce n'était pas ce qui manquait, les réponses. Cela ne rendait pas toujours ses collaborateurs plus efficaces. Ni même plus intelligents.

Mais il y avait surtout ces dessins que Kovasevic disait avoir déjà vus dans son pays natal. Où était-ce déjà ? En Bosnie ? Bizarrement, Lambert n'y croyait pas. Il voyait plutôt des sortes de calligraphies en provenance d'un pays du Maghreb ou du Moyen-Orient. Il attendait justement que le serbe lui fasse un retour sur le sujet. Il lui avait demandé de vérifier si le mot tracé sous chaque dessin n'en seraient pas la traduction – Paix, Joie, Amour, Accueil, Sourire, Don, Grâce… un florilège de ce que le dictionnaire comptait de doucereuse bienveillance pensait Lambert. Une intuition. Le genre de sentiment que Cathy refusait de lui reconnaître les rares fois où il avait la faiblesse d'y faire référence : « Toi ? De l'intuition ? Tu plaisantes ? Non mais dis-moi que tu plaisantes… Tu es infoutu de te souvenir de ma date d'anniversaire – non mais là franchement Cathy pensait Lambert lorsqu'elle partait dans ses grandes logorrhées, je ne vois pas le rapport entre l'intuition et le fait de me souvenir ou non de ta date anniversaire. Il se gardait pourtant bien de partager avec elle ce genre de réflexion. Il s'y était risqué à une ou deux reprises. Cela n'avait fait qu'aggraver son cas - de t'émouvoir devant un film ou en écoutant une chanson. Comme tu es totalement infoutu de savoir quand je vais bien ou pas… Alors, s'il te plaît… hein… s'il te plaît… ne viens pas me parler de ton intuition ! » Dont acte. L'intuition était restée planquée au creux de son ventre, bien au chaud, rétive à toute nouvelle manifestation en présence de celle dont il se demandait parfois si elle n'était pas la réincarnation foirée d'Attila. Une opération sabotée par un ex depuis l'au-delà ; un genre de téléportation avortée en cours de processus et dont une partie de l'âme seulement –la plus aimable !- aurait réussi à investir le corps. Voilà au moins une chose que son avocate et elle avaient eu la mansuétude d'épargner à la suite de la razzia punitive post séparation. La légende du Hun n était pas usurpée.

Pour l'heure, son intuition était intacte. Elle lui dictait de visiter la culture de ces régions du globe pour élucider le mystère des Post-It. Avant qu'il ne fasse plus de vagues et ne remonte jusqu'au cabinet de De Castelli. Au même moment, son portable se mit à vibrer.

- Oui Goran, je vous écoute. Vous avez mon info ?

- Oui Monsieur Lambert. J'ai trouvé quelqu'un qui pourrait nous aider. Un genre d'expert. Il tient une galerie d'art de l'autre côté de la ville, près de la Mosquée. Madjid Faouzi. C'est son nom.

- Vous lui avez parlé en personne ? Vous êtes resté discret j'espère… Il dit quoi de l'affaire notre homme ?

- Il dit qu'il veut vous rencontrer.

- Et c'est tout ?

- Oui Monsieur Lambert, c'est tout… Ah… il a dit aussi avant de raccrocher : «  L'œil du cœur est en toute création. N'oubliez pas… L'œil du cœur. »

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