Contradiction de la honte

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J'ai eu peur de subir la honte. Puis j'ai été inspiré, modestement. Puis j'ai compris. Maître je ne me savais pas, et pourtant maître je suis.

Aujourd'hui, occupé à ne l'être pas, réfléchissant à tout en ne pensant à rien, méditant mes semaines passées et imaginant mes jours futurs, je l'ai aperçue, cette contradiction choquante, cette trahison de la femme sublime qui partage chaque instant de ma vie, ma langue maternelle, ma française chérie.

 

En me laissant débordé par un esprit trop fougueux pour être maintenu constamment sous mon empire, sous mon joug, portant sur mes épaules délassées un fardeau bien trop ambitieux pour être soulevé par mes menus efforts, j'ai été frappé, au sens figuré, ma réflexion s'en trouvant galvanisée, comme au sens propre, mon corps s'étant redressé sous l'effet d'une tension imprévue.

 

J'aimerais tout vous dire, maintenant, sans détour, sans dilation, mais je ne peux pas. Ma maitresse, l'Inspiration, qui ne me vient que selon son bon vouloir, qui m'étreint souvent trop vite, trop fort, en me laissant haletant, pour ensuite partir vers d'autres bras plus dédiés et accueillants, est à mes côtés.

Elle exige que je l'honore et mon cœur trop faible obéit, implicitement ravi de s'oublier, explicitement outré de n'avoir plus le contrôle, indiciblement exalté d'être à ce point vivant.

 

Ce moment de grâce, qu'on ne commande pas, qu'on subit en l'aimant sans retenu, nous permet de juger de notre passé et de construire notre futur, d'apprécier d'un œil connivent nos expériences vécues et d'appeler d'une voix douce celles à venir. Les erreurs, le risque, la peur ne signifient plus rien, ou plutôt représentent tout. Je suis habité par la passion, et mon humanité, à la fois relative et absolue, pose ses doigts graciles sur mes yeux, leurs permettant de discerner mieux en ne voyant plus.

 

En s'oubliant, on ne disparaît pas.

 

On laisse le tout nous envahir, nos portes s'ouvrent, nos chaines se brisent, le quotidien s'efface et, animé d'une énergie étrangère, qui est pourtant la notre, on ouvre les yeux, on se drape d'une audace qui ne nous est pas familière et on pourfend le raisonnable pour conquérir ce qui doit nous revenir, ou qui le devrait si cela n'est pas acté par la Destinée, capricieux et émerveillant enfant.

Nos expériences se fondent entre elles, à tel point qu'elles respirent d'un même mouvement, qu'elles gémissent à nos oreilles des bruits étouffés, en tous points identiques au silence pour d'autres, si pleins de significations pour nous.

 

Couché sur le dos, les mains posées sur mon front, cherchant le sommeil comme on cherche la chaleur réconfortante de bras aimants, j'ai pris la décision indécise, et éphémère, d'écrire quelques mots chaque jour, pour la postérité, pour personne, pour celui que je deviendrai.

 

J'ai aimé l'idée, puis j'ai eu peur de l'exécuter. Et si j'avais honte ?

 

MAINTENANT !

 

Vous la voyez, vous aussi, cette horrible contradiction, horrible parce que masquée, à tel point que j'ai mis presque 30 ans à l'apercevoir ?

 

La honte s'accompagne toujours de la possession. La honte, sans l'avoir, dans notre langue, ne se conçoit pas vraiment.

 

Pourquoi ?

 

La honte n'est-elle pas un sentiment ? Puisqu'on parle d'un sentiment de honte, alors on devrait l'éprouver, pas en devenir propriétaire.

Nonobstant toute logique, j'ai honte, mais je ne suis pas honte.

 

Alors, je n'ai d'autre choix que d'en tirer une conclusion radicale. La honte n'est pas un sentiment pur.

 

L'amour est en un.

 

La colère en est un.

 

La haine, ou la peur, n'en sont pas.

 

Tout ce qui relève du sentiment nous habite, nous transforme, nous transfigure. Nous devenons autres car ils sont indissociables de notre personnalité, de notre nous, de votre vous clamé, de mon moi secret.

 

Tout le reste n'est qu'émotion, que nous avons, comme on achète des biens, comme on acquiert des marchandises. Ces émotions, sous couverts de se vouloir extraordinaires, ne sont que banales, fades, futiles, ne méritent qu'un regard empli de pitié car elles ne seront jamais ce qu'elles prétendent être, avec l'énergie du désespoir.

Puisque nous en sommes propriétaires, nous en sommes les maitres.  Nous en avons la pleine domination. Nous disposons sur la honte de l'usus, du fructus et de l'abusus. On ne peut pas la subir.

Vous ressentez une honte incontrôlable et vous pensez être paralysé par elle ? Vraiment ? N'avez vous pas, in fine, laissé la honte vous habiter ?

 

Réfléchissez.

 

Bien sûr que si.

 

Partant, puisque vous avez consenti à vous voir conquis par elle, vous avez mis en œuvre votre pouvoir absolu. Vous n'avez honte que parce que vous avez accepté d'avoir honte, en souverain, en suzerain, en chef, en Homme.

 

PUIS, j'ai compris. Alors que ma maîtresse se rhabille, que je la sens partir, déjà, pendant que j'écris ces quelques mots sans valeur, sans portée, inutiles, mais qui ont le mérite d'être, ma fidèle compagne me sourit, cette belle langue française qui préside mes pensées, a toujours eu ce sens profond. Je suis rassuré car elle ne s'est pas contredite. Elle voulait, au contraire, que le monde prenne conscience de cette puissance dont chacun d'entre nous dispose.

 

Quelle belle idée, quelle belle découverte.

 

Je ne laisserai plus la honte me gêner. Ou si. Mais je sais, dorénavant, que je l'aurais voulu.

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