cosmogonie

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après " Par la force des choses", il neige au paradis

Un jour ou l'autre, il faut bien appeler les choses par leur nom. Ce jour là, jour unique de l'éternel, Elohim dût se résoudre à mettre le grand dessein à exécution. L'ordre semblait clairement venir de plus haut.  Il sortit à regret du potentiel où il se trouvait bien, pour séparer la lumière des ténèbres. Puis il créa le monde en dix paroles, comme on le lui avait demandé. Le néant était pourtant un domaine idéal où son penchant naturel pour l'indécision s'épanouissait pleinement. Mais en ce jour unique de toute éternité, il commençait tout de même à trouver le temps long.

Au commencement était le néant, et donc le néant était Dieu, l'unique, qui à un moment indéterminé décida de passer à l'action. Au premier mot, les particules arrêtèrent de s'agiter en tous sens, et l'air étonné, se tournèrent vers le créateur qui leur confia des charges. La matière se séparait de l'antimatière. Il y eut un début, et à partir de ce moment, l'univers avança vers sa fin. Le temps n'avait plus qu'à s'écouler entre cette origine et l'horizon indépassable de ce monde uniforme. Il est d'ailleurs frappant qu'aujourd'hui encore, la ligne d'horizon ait gardé cette propriété de s'éloigner de qui veut l'approcher. Dieu avait expulsé de lui dans un grand désordre un univers qui avait un sens et qui s'éloignait. Mais Dieu était partout et il veillait au grain. Les corpuscules s'aggloméraient sous haute surveillance. Tout était nuit. Et au revers de cette nuit, Dieu créa la lumière, et il vit que cela était bon. Il vit surtout que préalablement il n'y avait rien à voir, puisqu'il n'y avait pas d'avant, ni d'après, ni même d'arrière. Son souffle planait sur les eaux dans le silence. C'était la première planète sur laquelle il posa son regard. Fatigué par le vol, il éprouva bientôt le besoin de descendre de son trône. Las, il ne savait pas nager. Il sépara donc les eaux d'en haut des eaux d'en bas, et une terre émergea, sur laquelle il laissa ses empreintes. Comme il avait des idées pour la suite, pour avoir les mains libres, il installa des luminaires autour de la planète. Il y eut un soir et il y eut un matin. Il avait déjà bien avancé.

La terre était tohu-bohu. Il fit appel aux lois et aux forces de l'ordre. La première fut la gravitation. La mécanique céleste se mit en branle, et la matière se plia à la nouvelle règle : elle allait désormais s'effondrer sur elle-même à n'en plus finir, chercher son centre, et s'étreindre par delà le vide.  La seconde loi, la thermodynamique, réchauffa un peu l'atmosphère. A partir de ce moment, les éléments se dissipèrent. Tout était prêt pour la suite. Le monde ne s'est quand même pas fait en un jour. C'est une question de longueur d'onde.

Le deuxième jour de la nouvelle éternité, Dieu décida de peupler la terre. Il installa l'éden en haut de la montagne, puisque c'était le seul lieu émergé. Il est d'ailleurs frappant qu'aujourd'hui encore les agences de voyages nous vantent les iles pacifiques comme des paradis. Il dit à l'herbe de pousser, et dans cette atmosphère chargée de gaz carbonique ce fut une explosion de verts, de bleus, de bruns. Les arbres mesuraient cent mètres et les fougères battaient de l'aile. Dieu vit que cela était bon. Il laissa le temps à la verdure de fabriquer la couche d'ozone pour éviter les coups de soleil.

Le troisième jour, Il dit aux eaux d'en haut de pondre des oiseaux, aux eaux d'en bas de faire le plein de choses qui nagent et de coquillages. Il instaura la couvaison générale. Tortues, oiseaux, poissons, insectes, vers et grands lézard couvèrent avec plus ou moins de patience des générations ovipares. Dieu vit que cela était bon. Mais il eut une subite envie d'omelette.

Alors, le troisième jour, Dieu inventa les animaux à poil, et donna pleinement cours à son imagination. Les souris amphibies adoraient la baignade, et les poissons prenaient goût à la grève. Il est d'ailleurs frappant que les prolétaires aient dû faire grève pour aller à la plage. Le grand domino génétique brassa les populations migratrices en vacances. Le monde devenait compliqué.

Les êtres vivants firent une assemblée générale le quatrième jour et appelèrent Dieu. « Explique-nous au monde ! Rend nous intelligent pour un autre que toi, égoïste ! ».

Dieu, plutôt fier de sa création, accepta un concurrent. Il prit une poignée de boue et créa l'homme à son image : un animal debout qui a besoin d'un trône. Il installa Adam au Paradis, et vint de temps à autre pour un barbecue végétarien. Ils buvaient de l'eau claire et se pâmaient. Mais Adam en eut assez de jouer avec ses peluches. Dieu lui prit une côte et fit Eve. Par la suite, il prétexta qu'ils avaient enfreint la loi en recherchant des renseignements sur leurs origines dans la pomme. La vérité, c'est qu'avec toutes ces bêtes et leurs petits le paradis était devenu trop étroit.  Il mit fin au bail et pria tout le monde de sortir. On vit une marée vivante descendre de la montagne. Adam avait honte parce qu'il était nu. Il n'avait pas eu le temps de ramasser ses affaires.

Elohim l'envoyait chasser les animaux de la terre, où il n'eut d'autre solution que d'être inventif pour sortir de ce mauvais pas. Il ne manqua ni d'énergie, ni d'imagination.

C'est ainsi que les choses et les noms commencèrent à se multiplier. Elohim laissa faire.

Adam et Eve eurent des jumeaux chamailleurs. Un jour qu'Abel faisait un mandala en gardant ses moutons, Caïn lui chercha comme toujours des noises. Accident ou acte volontaire ? On ne le saura pas. Ce qui est sûr c'est qu'Abel git dans l'herbe avec un trou à l'arrière du crâne.

La famille Adam s'étoffa pourtant. Caïn épousa sa sœur. Il n'avait pas le choix. Il eut une vie morne et y laissa un chromosome. Son fils apprit le métier des armes. Son frère survivant resta discret et fut prolifique. Il établit une maison de cérémonie de l'autre côté du monde. Il se méfiait de la branche des soupes au lait. Un des ses descendants, Enoch, adora les idoles, ce qui mit Dieu dans une colère noire.

La suite, on la connait : déluge, sélection naturelle, catastrophe. L'arche s'échoua au sommet du mont Ararat, et on recommença l'histoire. Moïse, l'enfant abandonné emmena sa grande famille dans le désert et s'aperçut un peu tard qu'il n'y avait aucun chemin. Le peuple grégaire dans une grande soif le supplia de trouver un bistrot. Moïse frappa un rocher à grands coups de bâton, mais rien. Dieu lui glissa à l'oreille de parler aux cailloux. Moïse n'aime guère être pris pour un idiot. Il s'entête, et continue à mettre une raclée au roc aride. Son bâton de transforme en serpent et se taille. Moïse désespéré implore le bloc de calcaire, et se demande s'il ne vaudrait mieux pas faire demi-tour. Et là miracle (à cette époque, c'était plus courant) l'eau jaillit. Les fugitifs fêtent le chef. On n'obtient jamais de secours par la force. Je te parle et tu es mon égal. Je te bats et tu es mon esclave ennemi.

Abraham descendra enfin de la montagne où brûlent les buissons. Il donnera au peuple les tables de la loi, en leur disant les signes du ciel sont des mots. Les mots organisent le monde.

 

Adam est le premier état du monde, la parole parfaite.

Avec Caïn, le désordre revient, les mots lui manquent.

Enoch replonge dans l'obscurité des dieux anciens.

Noé flotte au-dessus de l'abîme et parle au ciel avec sa voix de bête.

Moïse trouve un chemin dans la lumière bruissante d'Abraham.

Un monde nouveau à Sumer invente l'écriture et le conte. Les langues se séparent dans un grand soir qui se termine en incendie.

 

Il neige au paradis. En Arménie, à l'heure ou l'empereur et ses généraux tentent de faire tourner la terre, une jeune femme de village aux tresses noires s'est peut être arrêtée sous un pommier en fleurs. Elle tient son enfant dans ses bras, et le regard sur lui, elle repasse les choses dans son cœur. Elle lui raconte l'histoire qu'elle-même tient de sa mère, la véritable histoire du monde d'où elle vient, la vérité, la paix, l'amour et la justice. L'enfant aux yeux immenses conseille les anges dans leur sommeil et les rassure.

Sa mère ferme le livre, rassemble ses forces et se lève sous la face du ciel. Les ottomans sont aux portes de l'empire.

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