Coupable. Chapitre 3 - Partie 1.

Aly.

« Le sommeil est la moitié de la santé. »


- Pourquoi ne dormez vous plus ? Vous cherchez à repousser vos limites, c'est ça n'est-ce pas ? Mademoiselle, cela n'est pas bon pour votre corps, ni pour votre santé psychologique.


- Ne me parlez pas comme si j'étais débile, comme si je comprenais pas, je ne cherche pas à me tuer, je connais mes limites, les limites sont comme les règles docteur, elles sont faites pour être dépassées. Je sais de quoi je parle, je sais ce que je fais.


Abrutis de médecin, il ne comprend rien, personne ne comprend rien. Il n'est pas neurologue ou spécialisé dans le sommeil, il ne devrait pas poser autant de questions. Je n'aurai pas dû aller le voir d'ailleurs, pourquoi ai-je été le voir ? Stupidité, oui je suis stupide. Comme s'il pouvait comprendre, il n'en a probablement rien à faire de savoir comment il va mourir, peut-être qu'il ne veut pas mourir. Je crois que c'est comme cela que ça marche, quand on veut quelque chose on y pense fort, très fort, alors quand on ne veut pas quelque chose je suppose on fait tout ce qu'il est possible de faire pour ne pas y penser, même si l'on sait que c'est inévitable, on ne veut pas y penser, parce qu'on ne veut pas que cela arrive. Mais la mort, la mort on ne lui échappe pas, non jamais.


Pourquoi les gens ne veulent pas mourir ?

Pourquoi ne veulent-ils pas mourir, alors qu'ils savent que c'est inévitable ?


Peut-être qu'un jour je serai devenu incapable de dormir, que même en fermant les yeux, en comptant les moutons, en lisant ou regardant la télé, je n'arriverai plus à dormir, que même les médicaments n'auront plus aucun effet sur mon organisme. J'imagine que des cernes grosses comme des poches de glace seront alors visibles sur mon visage ce qui me donnera l'air d'être un zombie. Je souffrirai certainement de perte de mémoire, je perdrai probablement le contrôle de mon corps à certain moment ; si le sommeil est la moitié de la santé, alors je ne serais qu'à moitié en bonne santé, et peut-être quasiment plus du tout en bonne santé. Et je tomberai, tomberai de fatigue, d'épuisement, d'impuissance. Je mourrai.


Serais-je coupable de cette mort qui, peut-être sera la mienne ? Serai-je coupable d'avoir ordonné à mon corps de ne plus dormir, coupable de ne plus être capable de fermer l'œil de nuit comme de jours. Serai-je considérée comme étant coupable de mettre laisser emporter par l'épuisement total ? Serai-je coupable d'avoir à jamais banni le sommeil de ma vie, de mes nuits ?


Capable de dormir, mais coupable de ne pas l'avoir fait,

Coupable de tout, Capable de rien.



*


Je ne sais pas comment je vais mourir, mais ça ne sera pas aujourd'hui, je le sais. Il paraît que quand nous mourrons, nous le sentons, et ce matin en me levant, je ne ressentais rien, alors peut-être que c'est ça qu'on ressent quand on s'apprête à mourir : rien. Sornette. On ressent quelque chose, c'est obligé, je le sais, même si nous ne savons rien de la mort, on ne peut pas mourir sans rien ressentir, ne serait-ce qu'un frisson, un haut le cœur, un quelque chose.


Je ne sortirais pas de chez moi aujourd'hui, je mâcherais ma nourriture avec précaution, avalerai lentement mais sûrement, je n'irais pas nager, je décrocherais pas mon téléphone, je ne traverserais aucun trottoir, je ne marcherai dans aucun rue, et je ne mourrais pas aujourd'hui, non, aujourd'hui ne me semble pas être un bon jour pour mourir, puis, clamser à dix-sept ans, c'est moche. Je resterai assise dans mon canapé, avachi en me repassant tous les albums de Damien Saez en boucle ; pour danser, chanter, chialer, rêver, voyager, pour la forme, la joie, la tristesse, la peur, l'amertume, l'amour, la rancœur, pour tout, juste comme ça.


Il n'y a pas de bonne façon de mourir, pourquoi chercher la façon dont Je vais mourir ? Et pourquoi pas ? Il y a tellement d'options, que j'ai envie de les connaître, d'en faire le tour, de voir les contours, de savoir, de prévoir. Je n'ai pas envie de mourir à la place de quelqu'un, mais si cela arrivé, je ne pourrais pas y échapper. Tout comme je n'ai pas envie que quelqu'un meurt à ma place. Parce que je serais coupable d'avoir échappé à ce triste sort, et que quelqu'un d'autre sera mort pour moi, mort pour rien ?


*

Signaler ce texte