Cupboard's children (extrait 2)

jone-kenzo

Les T.A.Z. n’étaient pas revendiqués comme un remplacement de l’état, ni comme un bazooka braqué sur les médias. En fait cet Hakim Bey avait bien compris que s’attaquer à une institution était non simplement s’ériger en nouveau tyran, puis  faire pleurer sur de faux martyrs, mais aussi et surtout surement impossible.

-    J’ai lu ton texte.

-    Tu l’avais déjà lu ? s’écria-t-elle en essayant de ne pas avoir des yeux en forme de gobelet de fast food king size.


-    Mémoire photographique. Peut importe. Les gens que tu recherches sont des groupes nomades. Ils cherchent à échapper ce qu’ils essaient d’éviter dans leur vie. Je veux dire. Imagine toi essayer de te rebeller contre l’école. Le dirlo convoque tes parents. Tu ne peux pas lâcher un cocktail Molotov sur une fenêtre et espérer changer le monde. Ni même éviter de te faire coffrer par les gyrophares. Tu peux donc déjà exclure les ados avec des sacs de Che Guevara, et ceux qui portent une autre croix que celle du Christ sur le bras. Ce qui comprend les gothiques, les bikers et les nazis. Ah oui, et les gens qui écoutent Nirvana.

-    Nirvana ? interrogea-t-elle méfiante, comme si c’était la seule chose à retenir dans tout ce qu’elle venait de lui dire

-    Oui, parce que ce ne sont qu’une bande de bipolaires qui se shootent au lithyum en répétant qu’un perroquet-du moins avec un nom pareil je n’imagine pas autre chose – « wants a cracker  ».  Je les connais : regarde moi. Passons. Tu connais les « Hibbillies  » ? ils sont cités. Je te passerai une vieille bande dessinée « Li’l Abner  ». On est en Alabama, tu dois bien voir de quoi je parle. Des gars paumés dans les collines. Si tu croise un hippie qui mange des fleurs avec sa barbe c’est de ça dont je te parle. Mais je crois que tu peux les rayer de ta liste. Et c’est pas la peine de continuer à regarder la télé. Si tu as compris ce que tu as lu tu recherches des gens qui refusent de se trouver une définition un quelconque moyen de se reconnaitre, à moins de discuter avec eux. L’idée c’est que quand tu en as conscience et que tu marches dedans, tu y es. C’est un peu la même chose que la religion. Je comprends pourquoi t’es paumé.

-    Ecoutes, si t’es paumée toi aussi on va pas s’en sortir. T’as rien d’autre à me dire ?

-    Si… Tu recherches des gens qui vivent dans un espace-temps différent, et qui considère que la géographie que tu connais est une pure connerie. Je suppose que tu n’as jamais mis les pieds au viêtnam ? Si tu lis les mémoires des vétérans américains, le premier truc qui les choquent -en dehors de leur défaite- c’est l’impossibilité d’avoir un rendez-vous avec quelqu’un. Demande à un type de te rendre visite à neuf heures du mat’, ou même demain, voir dans la semaine, et tu ne sauras jamais quand il viendra vraiment. Alors si j’étais toi je me mettrai à demander l’heure aux gens. Si y’en a un que ça fait rigoler méfies-toi-en.

Pour le reste : méfies- toi des gens polygames, de ceux qui ont des pères spirituels, des bandes de moins de cinquante personnes, ceux qui respectent les jours de la semaine, les fêtes, et aussi de ceux qui font la fête n’importe quand, ceux qui lisent un bouquin de philo. Parmis les plus dangereux : Deleuze. N’hésites pas à poignarder dans le dos ceux qui pensent qu’on est tous égaux, les zinzins qui voyagent avec les esprits, qui avalent des champignons hallucinogènes, les adeptes de la beat generation, les attaquants du capitalisme qui trouvent que l’union européenne, dieu et les états unis sont une arnaque, les gens qui pic niquent sur l’herbe et qui regardent les étoiles, les enfants qui ne croient pas au père noël et qui ne boivent pas le soda qui lui est associé et qui sert à dérouiller les clous, les gitans dans les caravanes, les jeunes nerds et autres geeks qui pissent dans des bouteilles de boisson énergétique pour ne pas louper une goutte de leur piratage internet.

Au sujet du web : ne dors que d’un œil à côté d’une personne qui va consulter l’annuaire national, ou encore qui télécharge des films, voire pire qui n’écoute pas une radio qui diffuse du Michael Jackson ou du Lady Gaga ! Puis menace les dessineux qui éditent des comics inconnus dans leurs lycées et les adorateurs de la convention annuelle de science fiction, ceux qui portent des monocles, collectionnent les hauts de formes, les montres à gousset et ont des micro-ondes à vapeur, les gens qui savent qui est Mandelbrot, qui ne se suicident pas quand un bug menace de couper les réseaux sociaux, préférant se shooter avec un fruit hallucinogène mexicain.

-    Hola, hola, signora ! Je ne te suis plus. Je sais que ce que je te demande semble impossible, ne vas quand même pas me conseiller d’aller chercher des indiens échappés d’une réserve. Pour tout t’avouer, je suis soulagée que tu saches de qui parle ce mec tout au long de son monologue. Tout ce qu’il me faut c’est que tu me donnes une piste. Je suis contente que tu vois qui ça ne concerne pas, mais je t’en supplie concentres toi, vers qui je dois me tourner ?

Son hôte émit un soupir. Pendant qu’elle énumérait toute ces données à décocher de la liste, une seule chose la choquait. On parlait de gens qui avaient commis des meurtres. Ce n’était pas forcément en contradiction avec une simple stratégie de défense. Cependant nulle part et ce malgré les citations du mot guérilla, il n’était fait d’appel à la violence. En même temps, ce n’était pas nouveau : chaque courant de pensé est systématiquement détourné. Et c’est bien pour cela qu’une T.A.Z. ne peut être que temporaire. N’importe quel mouton pouvait avoir eu envie de lancer le mouvement, un peu comme ces suicides collectifs qui s’organisaient dans les sectes ou sur les chats pour ados. Cependant aucun de ces jeunes tueurs n’avaient de contacts louches sur internet, et aucun n’appartenaient à une secte. C’était donc bien un genre de groupe invisible et pas forcément un gourou que l’on mettait en suspect numéro un.

Un point commun à tout ces ados- qui normalement n’aurait pas suscité son intérêt- était qu’ils écoutaient tous de la musique. Normal pour un jeune. Mais les T.A.Z. semblaient avoir une notion de corrélation entre la musique et son organisation. Une histoire, une anecdote au sujet d’un artiste fêlé nommé Annunzio qui avait pris une ville en Yougoslavie et avait décidé de la donner à l’Italie. Devant le refus de son idée, il en fit une sorte d’état anarchiste ou il passait son temps à chanter, danser et lire des poèmes. Mais qu’y avait-il à tirer de tout cela ? Elle avait beau se repasser ses données sur l’anarchie, elle trouvait qu’on ne pouvait pas plus la définir que ses sociétés revendiqués ou jugées comme telles.

Que penser du chapitre sur l’analphabétisation volontaire ? Les chiffres mentaient, plus du tiers de l’ Amérique était sans doute complètement, illettré, vidé de tout ce qui pouvait lui servir à comprendre à quoi des syllabes assemblées pouvaient rimer. En fait l’état de l’ Alabama pouvait bien être jugé « zone temporairement acculturé  ». Une sorte de ligue punk plus révolutionnaire que toutes les idées de Zerzan et Black.

-    Ecoutes, ça fait longtemps que j’ai pas réfléchis, dit-elle en se passant la main dans les cheveux. Laisses moi un peu de temps. Je ne suis même pas sure que ta trouvaille soit pertinente. Pourquoi est-ce que tu penses que ça a un lien avec ton enquête ?

-    Tu connais beaucoup de gosses entre 13 et 17 ans qui lisent du Hakim Bey et qui tuent leurs parents ? On a retrouvé ce que je viens de te montrer chez quatre des six arrêtés.

Effectivement elle connaissait beaucoup de gosses qui tuaient leurs parents, mais alors qui lisaient du Hakim Bey…

-    Peut-être que la simple lecture d’un truc si complexe leur a donné une psychose ?

-    Jim’ ! récusa-t-elle la mine réprobatrice. Pff… si ça se trouve c’est toi qui a raison, tout ça ne mène à rien. De toute façon je m’étais dit que dans deux semaines si je continue la dessus sans succès je ne vais même plus avoir de quoi payer mon loyer.

Après quelques secondes de silences qui paraissaient des heures Jimmy commençait à se sentir un peu honteuse. Encore une fois elle était face à une impasse. Pour une fois qu’on venait lui demander quelque chose que seule elle pouvait faire. Plutôt qu’une boite de chocolat, elle aurait préféré rendre un vrai service. Tout ce temps où elle avait repensé à cette enfance tourmenté sauvée par la compagnie de sa condisciple. Ca elle ne l’oublierait jamais. Toute ces fois où au lieu de se cacher derrière la porte des toilettes pour fuir le regard des autres elle l’avait défendue.

Brooklyn n’avait pas sa langue dans sa poche. Quand quelqu’un la bousculait dans une foule elle s’écriait à haute voix. Ne supportant pas l’impolitesse, jamais elle n’avait hésité à faire remarquer qu’on lui ne lui ait pas rendu un « bonjour » ou qu’on ne lui réponde pas si on faisait mine de ne pas l’avoir entendue. Elle semblait timide, mais en réalité c’était plutôt une forme de désintérêt pour la plupart des êtres humains. Le terme de misanthrope était trop fort, c’était plutôt une belle sauvagerie, le fait d’ignorer toute conversation qui pouvait lui paraître superflu. Un sacré caractère qui avait souvent gêné la pudeur dissimulée de son amie, en même temps qu’elle en riait de bon cœur et n’aurait rien voulut y changer.

Soudain une idée incongrut lui vint.

-    Brook, j’ai bien une idée pour toi, et ça va rentrer totalement dans l’exercice de tes fonctions. En même temps c’est un peu non conventionnel. Tu as vraiment besoin de payer tes factures ?
-    Et toi tu as vraiment besoin de respirer ? Ce contrat c’est près de vingt mille dollars par famille ! soit cent-vingt mille dollars ! je coucherais avec toi pour cette somme !

-    Euh… tu me gênes, mais je sais pas ce qui doit le plus m’embêter entre l’idée que tu ne veuilles coucher avec moi que pour une centaine de millier de dollars, ou le simple fait que tu l’envisages. Quoique si j’étais un homme ça pourrait me flatter.

-    Oh ça va, arrêtes ton charme, tout le monde sauf ta mère sait que tu es lesbienne ! Tu me fais rire en me disant ça, si tu veux qu’on travaille ensemble va falloir arrêter de s’intéresser aux détails ! Alors c’est quoi ton idée ? interrogea-t-elle comme pressée par un groupe de terroriste libiens.

-    Et ben maintenant que t’en parles… écoutes, tu te rappelles de cette histoire de communauté de gens perchés dont je t’ai parlé ? Bon, et bien, il existe les même que dans la colline, sauf qu’ils ont remplacé les tags, les pétards et les chiens crasseux par des club lounges et de la cocaïne.. Je peux t’aider à t’infiltrer, seulement, je ne crois pas que…

-    Quoi ! ? tu ne crois pas que quoi Jimmy ? Qu’est-ce que tu n’as pas compris dans les mots « besoin de manger  ». Tu travailles pour les feux de l’amour ou quoi ! j’suis pas là pour le suspense ! le suspense c’est ce que les gens me demandent d’éliminer ! alors s’il te plait, dis-moi comment je vais faire pour manger autre chose que des frites toute ma vie !

-    Bon et bien, Brook, est-ce que ça te dis d’entrer dans un club de snob libertins ? Je sniferai la poudre pour toi en tout cas si c’est nécessaire..lachât-elle un peu contente d’elle-même, espérant impressionner et entrainer un découragement certain.

-    Bien sur ! Et pas question que tu te repoudre le nez pendant qu’on bosse ! Pas de main sur les fesses, t’as le droit de dire qu’on est ensembles, je t’interdis de dire oui à un plan échangiste. Choppe ce que tu as de plus approprié et lèves toi, on y va. Et maquilles toi un peu, faut vraiment que tu te reprennes !


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