DADA
17h27
DADA
Chez " Beaux nibards ", c'était l'auberge espagnole version tiers-mondiste. Y avait de tout, à tous les étages. Du roumain, du chinois, du sénégalais, du chilien… Et puis il y avait ce je ne sais quoi de solidarité qui faisait que même si la promiscuité enfantait quelques désagréments jamais personne ne venait s'en plaindre. Jamais personne sauf Dada.
Dada, c'était un mec qui se prétendait zen mais qui ne l'était pas. Qui se croyait beau mais qui ne l'était pas. Qui espérait être intéressant mais qui ne l'était pas. Dada il aspirait à être un mec bien. Ca crevait les yeux. Mais malgré toute la bonne volonté qu'il y mettait, il n'est jamais parvenu à servir d'exemple au ramassis de débauchés que nous étions alors. C'est vous dire ce qu'il est doué le Dada. Pourtant, y aurait presque eu de quoi culpabiliser face à sa vie bien rangée de mec raté. Il savait prendre son temps pour préparer des petits déj' pleins de vitamines et de produits bio. Il se lavait tous les jours à heure fixe, même que ! Il nettoyait les parties communes (et je ne parle pas que de l'intimité de sa rousse) où les cheveux d'une certaine se lovaient dans les poils d'un certain. Sur le toit de la cour où il avait improvisé un balcon, Il entretenait ses plantes, - flore de compagnie pour citadins en mal de verdure -, plantes que des vents étonnamment étrangers au climat de la région arrosaient de mégots : tantôt Balaguère ou Bora, tantôt Sirocco ou Pampero mais jamais dadaïen le vent…
Bref, Dada c'était un peu le Ned Flanders des Simpsons. Et comme Ned Flanders, Dada n'aimait pas le bruit après 22h. Sauf que pour nous, 22h, c'était un peu midi. Commençait alors, sur le palier, un drôle de balai sans tutu. Il allait taper à une porte vers 23h30. On faisait la sourde oreille. Mais c'était mal connaître Dada. Dada ne bouge pas. Dada attend. Alors la brebis égarée ouvrait timidement la porte et recueillait, l'oreille attendrie, le sermon de Père Dada. Ce qui n'empêchait nullement le locataire bruyant, deux bières plus tard, de remonter le volume d'un degré supérieur à ce qu'il avait été baissé, offrant à Dada une plus-value pour le dérangement et l'humiliation. Alors Dada frappait à nouveau. Le locataire culotté n'ouvrait pas. Cette fois, ce n'était plus la sourde oreille qu'il fallait mettre en cause mais bel et bien la musique assourdissante qui faisait trembler les murs depuis le premier jusqu'au troisième. Dada redoublait ses coups avec une plus value dans l'intensité (c'est fou ce que l'immobilier rapporte !) en signe de légère impatience. La porte s'ouvrait et la scène se répétait. Et ainsi de suite, jusqu'à ce que Dada tombe de fatigue ou que l'autre fasse un coma éthylique…