Daisy
Joévin Canet
Après Golgota Picnic en 2011, le metteur en scène hispano-argentin, Rodrigo Garcia, revient au théâtre du Rond Point. Daisy, créé aux Harras d'Annecy en 2013, est un nouveau cri de colère, ravageur et rafraîchissant.
En 2011, à la suite de « Sur le Concept du visage du christ », le spectacle de Roméo Castelluci qui avait subi la foudre intégriste au théâtre de la Ville, les CRS s'étaient déplacés en masse pour protéger les abords du théâtre Rond-Point, où se jouait Golgota Picnic de Rodrigo Garcia. Beaucoup de bruit pour une pièce certes virulente, mais finalement peu convaincante.
Rien de tout cela avec Daisy. Pas de portique de sécurité ni de contrôle d'identité à l'entrée, et pourtant, la charge est plus rude, plus précise, plus percutante. C'est un monde en liquéfaction que présente Garcia. Un monde triste et arrogant, satisfait de lui-même, peuplé de fantômes, de smiley et de cafards. Garcia porte sur notre société un regard désabusé, dénonçant encore et toujours l'abrutissement généralisé de la surconsommation et de la publicité, mais il affiche aussi haut et fort ses raisons d'espérer. S'il sort de son apathie, l'homme contemporain se souviendra que l'art, la littérature, la musique composent aussi notre humanité.
Sur un immense plateau vide règne le désordre d'une vie domestique. Une moto à grosse cylindrée, des percussions de batterie, la statue d'un Yorkshire géant, un fauteuil bulle rescapé des seventies, une table et des chaises, deux grands écrans. Au milieu de la scène trône une bibliothèque bien garnie. Les livres qu'elle abrite hurlent le constat amer de leur inutilité.
Deux comédiens – excellents – racontent leur médiocrité, dans un monde où tout se vaut. Pendant qu'il donne une feuille de salade à ses cafards élevés sur une caisse de batterie, l'un hésite entre acheter de l'héroïne ou des calamars pour le repas. Il finira avec une pizza surgelée quatre fromages en regardant un micro-trottoir à la télé. L'autre se laisse asphyxier par les vapeurs de sa moto. Et pourtant, la vie est là, bien présente dans les interstices de ce quotidien décati. Sur les écrans est projetée la traduction simultanée du texte espagnol de Garcia joué par ses comédiens. Acerbe, corrosif, stimulant, pétris de références, les mots de Garcia sont ceux d'un poète exigeant, qui croit que la beauté sauvera le monde. Soudain, au milieu du désastre, sur ce plateau décousu, survient un quatuor à corde, en bras de chemise. Ils jouent Beethoven. Le calme gagne la salle, et de provocateur pénible et virulent, Garcia devient artiste nostalgique, à la recherche d'espaces infinis où célébrer la vie, le doute, le mystère, la peur et la joie.
Daisy, texte, scénographie et mise en scène de Rodrigo Garcia, avec Gonzalo Cunill, Juan Loriente et le Quatuor Leonis.