Dans un bar

minilu

un court texte sur un jeune homme et un bar

Dans la ville de Paris, dans ses ruelles et ses grandes avenues où se passait sans cesse, de minuit à minuit, ce ballet de vacarmes assourdissant de véhicules transportant, acheminant, à tout allure sur le bitume où l'on distinguait parfois ces quelques bandes blanches sensées garantir une paisible traversée aux piétons sortant encore de chez eux, et, sur les trottoirs adjacents, au milieu de bourgeois, gothiques et mal âpretés, allait un garçon.

Ce dernier, la nuit tombant, avait pour habitude f'aller dans ce bar, qui faisait l'angle de la rue et dont la devanture rouge semblait dater d'au moins un demi-siècle. Sa routine consistait à aller au comptoir, commander exactement trois pintes d'une bière dont le goût était si terrible qu'on aurait pu y voir de la pisse de veau, puis, sans écouter les grognements inquiétant de son ventre et s'étant débarrassé de sa timidité de surface à l'image d'un mentaux qu'on laisse tomber en pleine canicule, il allait s'installer à cette table réservé aux habitués, celle où des règles qu'on n'énonçait jamais étaient établies, et si l'on avait le malheur de les briser, le mot passait comme quoi le gérant du bar lui même venait aider à vous sortir, sans forme de ménagement.

Ici, on trouvait de ces ivrognes que l'alcool n'anesthésier plus, qui buvait au contraire dans le but de faire battre à nouveau le coeur qu'ils avaient si paresseux que même la tristesse aurait été bonne à prendre.

Ce soir là, il y avait autour de cette table un ancien militaire, un musicien esseulé, et une ouvrière au dos à l'angle étrange. Tous s'acceptèrent avec un sourire, car il était jeune, et eux plus trop, et que les vagues de son jeune avait comme un effet apaisant sur leurs vieilles côtes.

Alors ils buvaient, de tout, la tequila, le gin, le whisky, la vodka, les noms des alcools sortant brutalement de leurs bouches pour venir s'écraser sur les petites cartes plastifiées où étaient inscrits toutes les merveilles qu'on vendait mieux la nuit, qu'ils tenaient dans leurs mains tremblantes. Le bar autour d'eux bougeait, les gens allant s'engouffrer dans la nuit parisienne, éclairée des milliers de lampadaires et dénués des étoiles qui couvaient habituellement les amoureux, ou, au contraire, en revenaient, les joues rougies, les yeux cherchant rapidement des amis ou un siège pour passer la nuit. Mais la table restait, tel que, tantôt croulant sous les verres vides, tantôt propre comme un sous neuf après que le barman ait été pris de pitié, pour ses occupants ou l'image du bar, je ne sais pas, rien ne changeait.

Mais il ne faut pas croire que la boisson seulement coulait, surtout cette nuit la, où on avait, semblait-il, ouvert les valves, décidé de laisser le moulin à paroles qu'il était fonctionner, s'exprimer, à toute vitesse, comme un toxicomane sortant d'une cure contre une drogue dangereuse et y replongeant alors qu'on lui agitait vigoureusement sous le nez. Il y eut des rires, quelques cris de colère, mais surtout d'étonnement, car il parlait bien, le garçon, meme un verre au bord des lèvres et le gosier en pleine besogne, sa langue s'agitait à l'image d'un fouet, faisant siffler l'air, ou comme ces gens bien vêtus, les mensonges en moins, et ces gestes mesurés ajoutant à cette aura pleine de foi, celle de l'homme qui se sait écouter, et qui ne demande pas la moindre réaction pour tripler de taille et d'intensité. Bientôt, c'est tout le bar qui, les boissons à mis chemin entre le visage et la table, écoutait avec la solennité d'une église, la petite table d'habitué encore plus au centre de l'attention que quand une bagarre éclatait.

Mais enfin, un pied sur la table a la manière d'un capitaine de ces anciens vaisseaux qu'on ne voyait plus et dont beaucoup rêvaient encore, il brisa un des tabous des habitués.

À tel point que le gérant, tout autant captivé par le discours, éteignit avec une certaine douleur ou lourdeur dans le coeur la musique criarde. On avait là touché la corde la plus sensible qu'il était chez l'individus encore affalé sur une table à cette heure ci, et c'était l'amour, parce qu'on pouvait parler tant qu'on voulait de sexe, des plaisirs de la chair, de la beauté des corps, le domaine des sentiments était terrain défendu, vilipendé par tous, autant qu'ils étaient à vouloir l'oublier, tous les mots et les fausses promesses qu'on leur avait faites affichés à la manière d'un bijoux un peu honteux qu'on se sentirait obligé d'afficher, pour se rappeler, parce qu'il le fallait, voila tout.

Des bras, des milliers de bras, l'attrapèrent de toute part, avec la force qui accompagne la douleur de la trahison, qui, rendu plus amer, refusait de cacher son emprise sur le petit orateur. On le jeta, et les portes de se fermer derriere lui, étouffant à nouveau les bruits et la lumière, rendant au bar son intimité, mais c'était aussi et surtout pour se protéger de la nuit sans Lune de décembre, la nuit froide, aux vents portant encore les échos d'anciens bien-aimés, la nuit pesante, maintenant qu'ils avaient arrachés le coeur de l'établissement , tout semblant plus réel, le matin, plus proche, une promesse menaçante qui amènerait un mot au moins aussi détesté que celui prononcé plus tot, qui lui semblait si plausible et si proche qu'il en faisait deja partir certains, c'était simplement la responsabilité, celle d'être en vie, d'avoir deja vécu, et de devoir alors s'occuper d'autres, animals, femmes, enfants, peu importait, il fallait se casser la tête pour garder un semblant de sympathie, et se refuser le plaisir de se noyer dans la liqueur et l'obscurité menaçante de la nuit, se refuser le choix tellement plus simple pourtant de se laisser aller à ses pulsions, de juste disparaître, parce qu'ils leur devaient bien ça, parce qu'ils ne se voyaient pas l'assumer.

Et ce bar de se transformer en une morgue, les cadavres payant leurs consommation avant de se diriger d'eux memes vers leurs tombes , à moins que ça ne soit qu'une fosse commune. Aucune prière ne se faisait entendre, Dieu n'existait pas, à cette heure-ci.

À l'extérieur, sur le petit bout de trottoir qui faisait l'angle, le garçon avait deja disparue. Si on marchait un tant soit peur rapidement, on pouvait le retrouver, trois fois plus bas, la tete basse mais les pieds agiles, évitant les souls de rue, les futurs meurtriers et les femmes de la nuit. Lui, continuait à parler, mais c'était maintenant un discours mélancolique qui s'en échappait, de son enthousiasme ne restait rien que son entrain à marcher toujours plus vite, laissant derriere lui de tristes paroles, des menaces, parfois, mais toujours destiné à blesser, autant que faire se peut, pour la beauté du geste ou de colère.

Alors, à genoux, au milieux d'une rue sans yeux ni oreilles, il put laisser une si chère liberté à ses emotions, hurlant, pleurant, si fort que le sifflement dans sa tête se reposait enfin et que, pour la premiere fois, il crut être seul, ave seulement ses cinq sens, que lui, sous ce crane si abimé de l'intérieur.

La suite appartient à un roman. Peut-être cela avait-il finit dans un caniveau, ou, la paix revenu, dans le lit d'une anonyme personne, aussi blessé par la vie, ou simplement intéressé par la pensée d'autrui.

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