Danser sur les tables

lullaby

On dit qu'être introverti, c'est ne pas savoir vivre.

Vous me blâmez donc parce que je le suis. Parce que je ne parle pas, que j'ai l'air de m'ennuyer parfois. Vous me jugez, vous me dites coincée, vous tentez de me faire participer à votre conversation en me lancant des interjections comme on appâte un chien avec un morceau de jambon.

Vous pensez que je n'ose pas m'imposer, que si l'on m'accorde un temps de parole je me sentirai intégrée, plus à l'aise. Vous croyez qu'après un moment d'adaptation je pourrais devenir comme vous, hurler de rire pour une connerie, taper sur la table pour me faire entendre, ponctuer mes phrases par des gorgées de bière.

Vous traitez mon indifférence comme une maladie, vous voulez me guérir à tout prix. Mais laissez-moi vous dire une chose: si je veux je peux être la plus folle, la plus joyeuse, la plus bruyante et la plus vivante d'entre vous. Si je veux. 

Mais je ne peux pas m'empêcher de me mettre dans la peau de celle qui observe, qui regarde, qui voit tout. Celle qui analyse, juge et la vérité m'empêche de me joindre à vous.

Je vous vois tous assis autour de cette table et c'est à celui qui racontera l'histoire la plus intéressante, l'anectode la plus drôle, l'acutalité la plus brûlante. C'est à celui qui prendra la parole en premier, qui saura captiver sans qu'on ait envie de le couper. Vous vous disputez le premier rôle de la soirée comme si votre vie en dépendait.

Vous voulez me faire croire que ne pas participer à votre jeu de popularité, c'est ne pas profiter de la vie.

Profiter de la vie pour vous c'est danser sur les tables, c'est se coucher quand le soleil se lève, c'est vomir dans le caniveau et se prendre en photo.

Vous croyez connaître la vie plus que moi, et pourtant...

Je parie que vous n'avez pas remarqué que la fille qui vous a apporté vos boissons avait les yeux rouges et le mascara en vrac d'avoir pleuré.

Je parie que vous n'avez pas remarqué ce mec au bar, qui attend depuis une heure quelqu'un qui ne viendra probablement pas.

Je parie que vous n'avez pas remarqué qu'en vous installant à cette table, vous avez entassé tous vos manteaux et vos sacs en empiétant tellement sur celle d'à côté  que deux personnes ont dû se décaler en râlant.

Je parie que vous n'avez pas remarqué cette grande trace de brûlé au plafond, on n'a pas dû passer loin de la catastrophe ce jour là...

Je parie que vous n'avez même pas remarqué que votre pote, celui qui est assis juste en face de vous est le seul à ne pas boire parce qu'il est en rade de thune et qu'il n'ose pas demander qu'on l'avance.

Je parie que quand on vous demandera de sortir parce que c'est l'heure de la fermeture, vous râlerez après le vigile parce que vous n'avez pas d'autre endroit où aller, que c'est injuste de vous mettre dehors vu le froid. Il ne vous viendra même pas à l'idée que ce type est debout à la porte depuis plus de six heures, que le froid il se le mange dans la gueule à chaque fois qu'on entre et qu'on sort.

Vous me parlez de profiter la vie, mais je parie que vous ne la remarquez pas quand elle se passe autour de vous.

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