"De la violence des cœurs, du calme de la tempête"
Patricia Oszvald
(...)
« Demande-lui de t'aider… », « Demande-lui de t'aider… » ; n'importe quoi… Il va penser quoi de moi si je lui demande de l'aide pour faire un malheureux sac de voyage ? Mais il va me prendre pour une Bécassine et pire même, pour une Bécassine qui ne sait pas faire un sac de voyage pour un malheureux weekend…
- Bonsoir, cher ami. Disons que… par un malencontreux horaire surchargé de tonnes de choses bien inutiles ma foi, je me trouve quelque peu dans l'embarras face à… Dites-moi que vous ne vous moquerez pas de moi, je vous en prie ?
- Je ne me moquerai pas, je vous le promets ? Quel est donc cet embarras qui vous semble insurmontable et qui vous taraude ?
- Vous êtes certain ? Enfin, je veux dire… je peux compter sur vous ?
- Mais… bien évidemment !…
- Vous avez marqué un temps d'hésitation entre votre « mais » et votre « bien évidemment » ; je redoute votre moquerie…
- Pourquoi diable voudriez-vous que je me moque de vous ?… C'est déjà fait, du reste. Vous étiez charmante dans votre air empêtré de voir mon malheureux chauffeur congédié sur-le-champ, sans ménagement, sans même une indemnité ; dites-moi… vous êtes sans pitié…
- Vous n'êtes qu'un goujat !
- Vous n'en pensez rien !
- Si !
- Non !
- Je vous dis que si, oui, si !
- « Si, oui, si » ; c'est du belge ?
- Vous êtes imbu de votre personne et vous jubilez parce que j'ai eu la faiblesse de vous demander votre aide… D'ailleurs, je ne vous ai pas demandé votre aide ; je sais très bien me débrouiller sans vous, vous savez ; ce n'est pas parce que vous avez déboulé dans ma vie comme un courant d'air que… que… que…
- Vous vénérez les points de suspension, dites-moi ! Oui, vous m'avez demandé de l'aide et alors ? Faut-il que cela vous en coûte ? Est-ce si difficile de dire, cher Ami ; j'ai besoin de vous ?
- Mais je n'ai pas besoin de vous ! Ni de vous, ni de personne ! Vous entendez ? Je… je… je…
- Oui, là, c'est certain, vous vénérez les points de suspension !
- Écoutez, je ne sais pas où vous voulez en venir et à la réflexion, je ne sais pas si c'est une bonne idée ce weekend, je…
- Alexandra ! C'est Papa ; tu arrêtes tout de suite tes conneries, s'il te plaît ! Tout de suite ! Bon sang, ce que tu peux être têtue comme une bourrique, ce n'est pas croyable !
- Je ne suis pas têtue ! Je… je… je…
- Ah oui, les points de suspension… c'est reparti ! Nom de dieu, vous les bonnes femmes et vos points de suspension...
- Papa, s'il te plaît, laisse-moi gérer cette histoire toute seule !
- Mais quel « gérer toute seule cette histoire » ? Nom de dieu ! Une vraie bourrique ! Tu ne comprends pas que ce mec est dingue de toi ? Tu ne comprends pas que tu l'aimes et qu'avec ton orgueil qui se pointe vraiment au plus mauvais moment, tu risques de tout foutre en l'air ? Il est bien, ce type ! Pour une fois que tu sais choisir, s'il te plaît !
- Ah bon, il… il est dingue de moi ?
- C'est ça, fais l'innocente, tiens ! Il est amoureux ! Bon d'accord, il est parfois un peu cash, c'est vrai ; c'est un vrai mec, un mâle, quoi ! Et alors, je l'aime bien, moi, ton Albert ! Allez, laisse-le t'aider ! Laisse-le faire ! Allez !
- Vous êtes là, belle et divinement cruelle… ? Vous avez un problème de connexion peut-être ? Remarquez, j'aime beaucoup écouter vos silences aussi, ils sont très... parlant ; c'est rare d'avoir un tel talent.
- Non, je n'ai pas de problème de connexion ! Enfin… je veux dire euh… oui… oui, je suis là, je…
- Vous êtes belle à en crever, vous savez… Et donc, empêtrée vous seriez… pour un malheureux sac de voyage ? Cela ne vous ressemble guère pourtant...
Elle soupira.
- Papa ! Je le savais ! J'en étais sûre !... Bordel ! Pardon ! Ce n'est pas ce que je voulais dire, je…. Je suis un peu… C'est Papa… C'est Papa…
- Papa, dites-vous ? Mais… Papa quoi au juste ? Rassurez-moi ; vous ne délirez pas au point de me prendre pour votre père, tout de même ?
- Vous voyez bien que vous vous moquez de moi… Vous ne pouvez pas vous empêcher de vous moquer du monde et… de moi… et…
- Je n'ai que faire du monde ! Mais vous… vous, c'est autre chose…
- Arrêtez ! Arrêtez tout de suite ce petit jeu avec votre esprit-scalpel, vous ciselez toutes mes phrases et mon esprit et vous... et vous m'embrouillez exprès pour que je sois déstabilisée et…
- Vous êtes en colère !
- Non ! Non, je ne suis pas en colère !
- En êtes-vous certaine ?
- Oui, j'en suis colère que je ne suis pas en certaine!
- Ah ! Pardonnez l'envie de rire qui m'envahit, mais je dois bien constater en tous cas, que vous êtes troublée, c'est bon signe ! Bon !... C'est vous qui voyez… Remarquez, c'est vraiment dommage, parce que… vous êtes encore plus belle quand vous êtes en colère…, même si je n'ai pas l'image ; j'en ai la certitude. Et là, comme je vous trouve divinement belle ; je suis persuadé que vous êtes en colère…
- Arrêtez !
- Vous savez très bien que je n'arrêterai pas ! Jamais. Plus jamais…
- Mais puisque je vous dis que je ne suis pas en colère !
- Non, bien sûr ! Juste… troublée, oui, je sais !
- Oui ! Non ! Non… bien sûr que non, pourquoi devrai-je être troublée ? Enfin, je veux dire au point de ne pouvoir faire un malheureux sac de voyage, c'est… c'est juste… c'est pas…
- Eh bien, on dirait bien que le trouble vous a gagnée, en tous cas ; vous ne pouvez plus prononcer un mot ; c'est un signe, vous savez ! C'est ça, être troublée, en fait ! Vous voyez ; c'est ça ! Et ça vous va divinement bien, du reste…
- Vous êtes cruel ! Vous profitez de la situation, parce que… vous… et merde !
- Oh ! Je suis désolé de vous inspirer pareille pensée… vraiment !
- Ne… écoutez-moi bien, Monsieur l'avocat !... Ecoutez-moi bien !... Et… écoutez bien…
- Je ne fais que ça, divine enfant ; je vous écoute. Définitivement. Je pourrais passer des heures, des journées et des nuits entières à vous écouter parler, rire, souffler, respirer, soupirer, vous emporter, vous exaspérer... oui, des journées et des nuits entières, je le crains...
- S'il vous plaît, je... s'il vous plaît...
- Oui… Vous vouliez dire quelque chose, je crois…(...)
© Patricia Oszvald