Début : Le renouvellement du bonheur.

Je n'ai pas compris, je ne comprends pas, je ne comprendrai pas. Jamais. Je me promets de ne pas lui pardonner. Ni d'oublier. 

J'avais tous mes amis ici. J'avais ... ma vie, ici. Les seules choses qui me rattachaient encore un peu au monde resteront là, sur la terre qui m'a portée, éduquée. En dessous du morceau de ciel que j'ai vu en premier, dans le quartier que j'ai découvert, et qui m'a fascinée avant tout. Tout y était. Les souvenirs de mon bonheur, qui maintenant me semble si lointain, sont restés là-bas. Mon bonheur ... Parlons-en. J'ai bien été heureuse. Mais plus jamais je ne le serai. Ma vie est restée là : ma sœur y est morte. 

Il y a 3 mois de ça, j'ai vécu le début du cauchemar qui durera une vie entière. Je l'ai perdue, mon modèle, l'image qui me semblait apparaître au grand jour comme la perfection. Mais cela fait beaucoup plus de temps que ça que ça ne tournait pas rond. Que ça n'allait pas. Que nos vies, à nous 4, changeaient. Mon frère reste fermé, je crois qu'il a du mal à exprimer ce qu'il ressent, alors il préfère rester seul, cloîtré dans sa chambre, à jouer de la musique. Il me dit qu'il s'évade. Que ses pensées lugubres le libèrent le temps d'un morceau de guitare, et, enfin, il respire. Puis, il reprend sa vie, avec moi, et mon père. Lui et moi aurions largement préféré la continuer avec notre mère, qu'au moins nos parents soient réunis. Elle a dit que ce fut la goutte d'eau, la pression supplémentaire, qu'à ce rythme-là, elle ne tiendrait pas. Je crois surtout que c'est une excuse bidon pour nous abandonner, moi et mon frère.

C'est compliqué d'écrire cette phrase, ma main tremblote, devient moite, et me fait réfléchir, penser à la signification de ce que j'écrit : "Plus jamais je ne goûterai au bonheur, je sais que c'est sucré, le bonheur".

Jamais

Jamais

Jamais

Je m'en vais. Je déménage, mon père a osé. Je la quitte, je quitte ma sœur pour de bon. Elle aussi doit se sentir abandonnée. De là où elle est, elle m'en veut. Elle a le droit, je la comprends. Anna ne m'aurait jamais quittée. Elle veillait sur moi, me protégeait. Mes yeux ne croiseront plus son doux regard rieur, plein d'espoir et d'innocence. J'ai peur. #Seule au monde ...

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J'y suis. Nous y sommes. Mon père a feint un sourire en nous disant de sortir de l'auto, mais j'ai perçu dans ses yeux que perdre une fille, ce n'est pas moins grave que de perdre une sœur. Il est triste, et cette nouvelle vie signifie une page de tournée, pour lui. Moi, jamais je ne ferai le geste de balayer tout l'amour d'Anna, de l'oublier. Non. Il nous a dit d'entrer, nous assurant qu'il se chargerait du camion de déménagement.  J'ai regardé Jules, perplexe. La maison ressemblait à toutes les autres. Carrée, blanche, avec une pelouse bien coupée, verte. Un jardin aux dimensions identique aux 10 maisons voisines. Un toit en brique rouge, un hêtre dans le fond. Un garage bleu, assorti aux volets. Un étage. Un sentier de pavés menant à une grande porte en bois clair, vitrée. Aucun soupçon d'originalité. Une banalité exorbitante. J'avais littéralement envie de prendre le prochain train pour rentrer chez moi. Quand nous avons posé un pied dans ce bâtiment froid (je dirai même glacial), je ne sais pas vraiment ce qui m'a pris. J'ai d'abord senti une larme salée couler le long de ma joue pâle. Puis une deuxième. Je n'ai pas pu m'empêcher de pleurer. Je me suis tournée vers les garçons et j'ai crié :

- NON !

Sanglotante, je suis montée précipitamment à l'étage et ai trouvé un coin poussiéreux, près d'une fenêtre. Je m'y suis installée, le menton contre les genoux . Dans mon portefeuille, j'ai gardé une vieille photo de famille, j'avais 8 ans. On y voit papa qui me porte sur son dos, maman qui l'embrasse sur la joue, Anna et Jules levant les bras, heureux. Les plus beaux instants de ma vie sont terminés. A jamais. Parfois, j'ai l'impression que Manon reviendra vers moi, et qu'on remontera le temps, quand nous étions enfants, et qu'on se déguisait pour Halloween. Maman sera là, aussi, elle en distribuera, oui, elle sera là. Toutes deux reviendront. La minute d'après, je me rends bien compte que c'est un rêve. Alors je suis restée là, à pleurer tristement, m'apitoyant sur mon sort. #Vie détruite, famille envolée ...

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Je crois que mon père ne sait pas réellement comment s'y prendre, avec Jules et moi. Avant, sa présence nous importait peu. C'était maman qui assumait absolument tout. Que papa soit là, ou pas là, cela ne changeait strictement rien. Je dis qu'il ne sait pas vraiment s'y prendre, puisque c'est mon frère qui l'a poussé à venir vers moi. Je n'avais pas vraiment envie de lui parler. Tout ce que je voulais, c'est être seule et ressentir la mélodie du silence me transpercer le corps, jusqu'à entrer en harmonie avec le monde, avec la terre, avec le ciel, avec elle.  Je ne voulais pas devenir heureuse. Je n'en avais pas le droit. On a arraché la vie d'Anna, pourquoi la mienne continuerait de suivre son chemin en l'oubliant ? Manon ne s'oublie pas.

-  Ma chérie ... Je réalise à quel point ta vie est bouleversée. Je fais de mon mieux.

- Si c'était la vérité, nous n'aurions pas déménagé ici.

- Un nouveau départ te fera respirer, et puis tu sais ...

- Non. Stop. Arrête. Papa, laisse-moi tranquille ! ai-je dis entre deux reniflements saccadés.

Je n'avais pas envie qu'il me ressorte ses phrases toutes faites me répétant que ma sœur me protégera toujours, qu'elle sera là, avec moi, dans n'importe quel moment. J'en ai assez. J'ai besoin d'air, mais  je n'en trouve nul part. Il me faut un renouveau, un " déclic" ! #Parent décalé ...