Dedans 2

Lénou

Et je me suis tue. Je n'ai pas juste pleuré moins fort, j'ai cessé de pleurer. A bien des égards cette intervention de ma codétenue, aussi violente a-t-elle été, n'en a pas moins été salutaire. Inconsciemment mon corps a compris qu'il allait devoir lutter et il a gardé ses forces.

            J'ai cessé de pleurer, j'ai cessé de saigner aussi.

            Lorsque la bourgeoise s'est rendu compte qu'elle n'avait plus ses règles, elle a paniqué. Elle avait eu le droit de rester en liberté jusqu'au procès et même si c'était loin d'être Las Vegas avec son mari elle a eu peur d'être enceinte, ça nous a bien fait marrer.

            Erika : T'inquiètes la bourge, la seule chance pour que t'aies un enfant ici c'est d'être déjà grosse jusqu'aux yeux quand on t'enferme. Micha, (désignant du menton la troisième acolyte de la cellule), elle a pas eu ses règles depuis sa détention provisoire, y a 4 ans. Moi c'est pareil je les ais eu les 3 premiers mois et depuis plus rien, c'était y'a 7 ans.

            Delphine : 7 ans ! Mais tu as l'air tellement jeune !

            Erika : Qu'est ce que ça peut te foutre. Eh Micha tu l'as connait celle-là ? Qu'est ce qui est pire qu'une prison mexicaine ?... Tu sais pas ? 3 ou 4 nanas dans la même cellule de 12m² qu'ont leurs règles en même temps. Laisse tomber ça doit être l'enfer là-dedans…

            Micha émit un rire de gorge un peu rauque.

            Erika : Mais tu sais quoi ? ça n'arrive jamais parce que la plupart d'entre nous on est plus des femmes quand on nous enferme.

            Delphine : Elle est triste ton histoire mais y faudra quand même que je fasse un test.

            Erika : T'en veux un ? C'est 20 euros.

            Delphine : … OK

            Erika : Payable d'avance.

            Le test s'est révélé négatif. Ce fut un grand soulagement qui me fit monter les larmes aux yeux. Trois semaines plus tard, cette histoire était du passé et j'étais très occupée à dompter mon nouvel environnement.

            Vous avez déjà essayé d'aller aux toilettes derrière une pauvre planche de plexiglas avec deux autres femmes juste derrière qui jouent aux cartes, regardent un téléfilm ou même se disputent ? Les bêtes, la douche, les couvertures qui grattent, le froid, tout ça vous use. Nous sommes déjà privées de liberté, est-ce que cela ne suffit pas ? Tous les matins on vérifie que vous êtes vivante. A 7h la porte s'ouvre et une voix autoritaire vous dit : bouge un bras, bouge la jambe…

            Quand vous venez d'une banlieue dite sensible, vous connaissez forcément un peu la prison. Forcément vous avez un frère, un oncle, un pote qu'a fait un séjour en détention. Alors sans être comme à la maison on vous a déjà raconté et puis vous retrouvez parfois une connaissance même s'ils essayent toujours de séparer les gens qui viennent du quartier. Mais elle, elle n'avait personne. Elle ne connaissait rien. Elle a ouvert des yeux ronds comme des soucoupes quand on lui a annoncé que c'était 2 douches maximum par semaine. Eh oui ! On nous oblige à vivre dans notre crasse ! C'est d'ailleurs surprenant de la part d'une institution qui est là pour nous "laver de nos péchés".

            Le petit dèj' a été une autre surprise de taille pour elle : 1 café, 1 carré de beurre. Pour le reste y faut cantiner. Et si t'as personne dehors pour te refiler un peu de liquide, ou de quoi trafiquer, ou une fortune personnelle (mais ça c'est plus rare) et bah tu peux toujours mettre le beurre dans le café.

            Micha, elle a personne dehors, mais du jour où la bourgeoise est arrivée, elle l'a eu elle. Tous les matins, Delphine lui a acheté un morceau de pain.

Y'a pas eu que ça d'ailleurs. Tous ces petits riens l'ont minée bien plus qu'ils nous minaient nous et ça nous minait déjà pas mal.

            Je l'ai vue sourire pour la première fois, peut-être 1 mois ½ après son arrivée quand la Juju a débarqué avec son petit. Elle avait eu son bébé en prison, 6 mois plus tôt, et avait quitté notre cellule pour une où elle pouvait avoir un peu d'intimité avec son bébé. Les gardiennes étaient sympas avec elle et la laissait de temps en temps venir nous rendre une petite visite dans notre cellule. C'était toujours court et sous bonne garde mais c'était mieux que rien.

            Delphine : Salut toi ! Mais quelle magnifique petite frimousse ! Et ses p'tits doigts tout potelés !

            Juju (inquiète) : Erika ?

            Erika : T'inquiètes Juju, elle est clean. Elle connaît pas bien les us et coutumes du coin mais c'est pas une pointeuse.

            Delphine : Pointeuse ?

            Erika : Pédophile…

            Delphine : Mon dieu non ! Puis d'abord qu'est-ce que t'en sais !

            Erika : Sérieux !? T'as fait du mal à un p'tit enfant !

            Delphine : Bien sûr que non mais je vois pas comment tu peux le savoir.

            Erika : Tout s'achète ma belle.

            Delphine : Et toi tu es trop mignon ! Tu me fais penser à mon plus jeune fils. Il faisait la même chose avec sa lèvre quand il était bébé.

            Juju : T'as des enfants ? Tu veux le tenir ? Son nom c'est Nathan.

            Delphine : Je peux !?

Télécharger la nouvelle en intégralité ici(1,99€) :  http://www.amazon.fr/Dedans-L%C3%A9na-F%C3%A9lut-ebook/dp/B012A50Q1K/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1439585319&sr=8-1&keywords=lena+felut#customerReviews

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