Des chiens en laisse

sylvenn

Noires Heures - Essais

Nos regards sont des aimants. A chaque seconde que Dieu fait, ils glissent lentement les uns vers les autres, comme si – drôle de supputation – nos âmes cherchaient sans cesse à se connecter entre elles. Peut-être dans un autre monde, ces âmes ne fussent-elles qu'une ?
Si tel était le cas, ô combien stupide et autodestructeur notre comportement serait-il, alors qu'en permanence nous usons de nos pensées pour trouver la première distraction venue et l'imposer à nos âmes, nos yeux, notre attention, comme un maître tyrannique tiendrait son chien en laisse…
« Mais laissez-le jouer avec ses semblables ! » ai-je toujours envie de leur crier, à ces bourreaux, ces gardiens de prison croupissant dans leur plaisir sadique. Sadiques nous le sommes, quand esclaves de la pensée et de la bienséance, nous prenons un malsain – et malin – plaisir à la frustration de nos propres pulsions d'amour envers l'Autre.
Bon.
Désolé.
***
J'interromps le libre cours de ce texte, puisque je m'apprêtais à engloutir mon « Banana and Chia Bowl » en guise de petit déjeuner ; un délicieux mélange de céréales, de râpures de noix de coco et de fraises surmonté de fleurs orange vif et d'une feuille de menthe fraîche. Pourquoi est-ce que je me perds dans cette assommante description ? Parce qu'au-delà de son goût, ce plat est une tuerie esthétique. Dans ce restaurant, tout le monde prend son repas en photo, et pour cause : on a daigné laisser se rencontrer tous ces ingrédients, toutes leurs couleurs. L'oiseau n'est ainsi plus emprisonné dans sa cage, le poisson n'est plus enfermé dans son aquarium. On a recréé la diversité, le mélange des êtres, des fruits, des couleurs et textures, des goûts.
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Et pendant ce temps-là, nous sommes là-s, entassés dans nos salles, dans nos rues, le long des routes, des plages et des montagnes, partout, et pourtant nous restons isolés, hermétiques à la vie des autres. Tout cela, alors-même que nos liens tentent en permanence de se tisser. Nous sommes vraiment nos propres bourreaux, sadomasochistes solitaires…
Dire que nous avons chacun d'entre nous mis des années à maîtriser cet art de souffrir… alors qu'enfants, nous allions tellement plus naturellement à la rencontre des gens, à la rencontre des choses de la vie. Je ne dis pas que nous étions tous sociables. Je ne dis pas non plus que nous étions tous heureux alors. Moi, en tout cas, je l'étais.
Au fait, avez-vous une idée de combien de rencontres ont pu naître de par le monde, lorsque deux chiens sont parvenus à jouer ensemble, venant à bout de l'étreinte de leurs laisses ?

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