Des souvenirs qui tourmentent…

Jean Marc Kerviche

Propos recueillis par moi-même auprès d'un monsieur de 88 ans


Par Serge Grynbaum

         Je suis né en 1936, année ô combien emblématique de l'éveil de la classe ouvrière, jusque-là réprimée, où tout devait changer en mieux être… C'était du moins ce que tous nous espérions.  

         Seulement, quelques trois ans après une guerre embrasait toute l'Europe, une guerre menée par un despote illuminé et psychopathe, envahi par une haine incommensurable qui a mené à la mort plus de cinquante millions d'êtres humains, victimes de bombardements intenses, de famines incontrôlables, d'épidémies dévastatrices et de génocides sciemment organisés dénommés « Aktion T4 » « Aktion Reinhard » et « Solution finale ». 

         Pour tout dire le conflit le plus sanglant de l'histoire du monde.

         Et quand la France est entrée dans la guerre en septembre 1939, tous ignoraient ce qui allait advenir…

         … Je n'avais que trois ans quand tout a commencé... et un an après, en 1940, mon père nous quittait, ma mère et moi, pour s'engager volontairement pour la durée d'une guerre qui ne devait durer qu'un temps… le temps que les hommes reprennent leurs esprits.

         Idéaliste, il voulait vraisemblablement défendre des rêves de jeunesse, comme tout jeune rêvant d'un avenir radieux, et tout mettre en œuvre pour s'opposer à l'envahissement de la France qui débutait.

         Je me souviens encore comme si c'était hier… Nous l'avions accompagné s'inscrire ma mère et moi à la caserne de Reuilly, non loin d'où l'on habitait.

         Et peu de temps après, mon père étant parti, nous nous retrouvions ma mère et moi sans ressource. Je me rappelle qu'après, nous nous sommes retrouvés avec maman chez sa sœur et son beau-frère qui tenait une échoppe de tailleur au 36 rue de Montreuil avec au-dessus, un appartement d'une pièce de 18 mètres carrés avec un seul lit où nous nous sommes couchés tous ensemble. Il y avait ma cousine Anna qui avait quatorze ans… Elle ne me supportait pas… il faut dire que je l'agaçais. Elle devait vraisemblablement être consciente de tout ce qui se passait, alors que moi du haut de mes quatre ans, hormis le départ de mon père qui m'attristait, me retrouver en famille me divertissait…

         Quelques temps plus tard, une famille juive originaire de Turquie qui était au courant qu'on recherchait des juifs… je ne sais trop pourquoi à cette époque, à ce que je me suis laissé dire, car la Turquie était l'alliée de l'Allemagne… enfin, c'est ce que j'ai toujours cru… nous nous sommes refugiés au 5ème étage d'un immeuble, la peur au ventre.

         Oui, tout le monde était au courant, d'après ce que ma mère me rapportait, que les juifs devaient se mettre à l'abri, car il y avait déjà eu des rafles.

         Raison pour laquelle on a été hébergé pendant un court laps de temps chez des Polonais, maman, Mme Miller, son fils et moi contre une petite somme, d'après ce qui m'avait été dit, chez une certaine Mme Derblum,

         Cependant cette personne nous a assurés quelque temps après que les femmes des prisonniers n'étaient pas concernées par les rafles organisées par la police de l'époque.

         Mon père l'étant, on était soulagé.

         Seulement, on est venu frapper à notre porte avec des mots : 

-         Police… Police !... Avec une question dès l'ouverture de la porte :

-         D'où venez-vous ?    

         Des injonctions qui me tambourinent encore de temps à autre dans la tête… alors que je viens d'atteindre quatre-vingt-sept ans.

Maman ne s'exprimait pas correctement. Le Français n'était pas son fort, s'exprimant surtout en yiddish. 

         Tous ces souvenirs me reviennent constamment en tête, surtout celui d'un certain jour de juin 1942, ce fameux jour de la rafle du Vel d'hiv où l'on a parqué les juifs à une époque où l'antisémitisme était d'un commun dans toutes les sphères de la société.

         Des policiers rassemblaient tous les juifs dans la cour de l'immeuble avec le peu de bagages qu'on leur avait permis d'emporter.

         Et nous, nous arrivions à ce moment. J'entendis soudain quelqu'un crier :

         - Serge ! .... Serge ! … Venez, il y a papa et maman qui veulent vous dire au revoir…

         Et là, j'ai vu mon oncle Charles qui m'a pris dans ses bras et m'a embrassé. Il a enlevé sa montre et me l'a donnée en me disant que là où il allait elle ne lui servirait plus à rien. C'était une montre Omega… je l'ai gardé longtemps… jusqu'à ce qu'un ami en qui j'avais confiance me la dérobe...

         On était rue Mercœur, la police vérifiait nos identités. Et aussitôt on fut emmené place Voltaire, aujourd'hui baptisée place Léon Blum.

         Le lendemain, un 16 juin 1942, je m'en souviens encore. Comment ne pas se souvenir d'une date qu'on a vécue comme une agression et qu'on nous rappelle à chaque parole et acte antisémite ?

         On s'est retrouvé au gymnase Japy pour s'inscrire selon ce qui nous avait été ordonné.

         Et tout autour de nous qui étions parqués par la police, on entendait une foule de passants agressifs nous crier dessus avec des mots qui résonnent encore aujourd'hui à mes oreilles.

- « Mort aux Juifs ! Mort aux Juifs ! » tout en applaudissant avec frénésie.

         Je ne comprenais pas… j'avais six ans…

         …

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