Destin

velvet

Elle était petite, un tout petit peu grosse et ses yeux bleus regardaient le plafond d'un air vide. Ses mains reposaient ouvertes à côté de son ventre et elle aurait pu avoir l'air rêveuse, cette petite, petite fille qui répondait au nom de Lucie, rêveuse et même un petit peu en pleine réflexion. S'il n'y avait pas eu cette petite tache de rouge, petite mais écarlate, qui s'étalait lentement, un peu comme au ralenti, sur sa robe bleu à froufrous blancs. Les larmes montèrent aux yeux de la dame qui la regardait. Elle aussi, elle avait les yeux bleus, qui maintenant étaient teintés du même rouge que la robe. Elle aussi, elle avait cet air un peu enfantin que gardent seulement certaines personnes adultes. Mais elle, contrairement à la petite, était triste, triste et en colère. Comme pour se moquer d'elle, une petite voix chantonnait dans sa tête « Tu étais prévenue, Madame ! ». Et au fond d'elle, elle le savait, savait que c'était vrai, qu'elle aurait pu empêcher la mort de cette enfant. C'était il y a six ans… Elle était enceinte depuis trois mois, son mari et elle étaient partis camper. Elle n'aimait pas camper. Il y avait toujours des personnes bizarres, de l'eau dans les tentes, des insectes dans la nourriture qui la répugnait. Mais il fallait bien faire ce que voulait « Monsieur » de temps à autre, même si ça ne la rendait pas toujours heureuse. Trois jours s'écoulèrent. Trois jours de pluies, d'eau dans les tentes et d'insectes dans la nourriture. Puis vint le quatrième où Monsieur et Madame rencontrèrent Phil. Son vrai nom n'était pas Philippe, leur expliqua – t –il, mais Phil tout court. Parce que ça faisait penser au « Phil de la vie ». D'abord, Madame le pris pour un escroc, car il lisait dans les cartes pour quelques pièces mais ça seulement après avoir fumé. Mais un jour, il se produisit quelque chose d'étrange : une jeune femme à qui venait d'être promise l'amour, tomba nez – à – nez avec un jeune homme qui l'invita dans un café. Deux jours plus tard, ils préparaient leur mariage. Curieuse coïncidence. Après en avoir parlé à son mari qui l'écoutait discrètement, un sourire au coin des lèvres, juste à côté de la cigarette, Madame se décida à aller voir Phil elle – même. Rapidement, elle sortit et entra dans sa tente. - Bonjour, avait – elle murmuré très doucement, presque timidement. - Bonjour. - Je… Je voulais savoir… Enfin les cartes… Phil hocha la tête, prit un paquet de cartes et en posa seulement quelques-unes, à l'envers, devant lui. Il retourna les trois premières. Puis celle d'après et les suivantes. Finalement, il releva la tête d'un air grave. - Madame. Vous allez perdre ce qui vous est le plus cher. Pas maintenant, pas dans deux semaines, probablement dans quelques années. La première réaction de Madame fut de penser à son argent. Puis à ses fourrures. Elle était très matérialiste, véritablement égoïste aussi, les personnes qui l'entourait avait peu d'importance pour elle. Perdre quelqu'un, comme sa mère décédée depuis peu et son père mort depuis une éternité, lui procurée seulement un petit pincement au cœur. Mais perdre un bien, ne serait – ce qu'une tasse de porcelaine ou même une fourchette en métal, lui donnait l'impression qu'on lui arrachait une partie de son corps. C'est pourquoi elle quitta la tente, horrifiée, et alla retrouver son mari sans dire un mot. Peu de temps après, ils rentrèrent à la maison et quelques mois plus tard, naquit la petite Lucie, toute rose et potelée. Pourtant Madame s'y intéressa peu. Elle la confia à une nourrice dès ses premiers mois, lui disait seulement deux mots par jour, « Bonne nuit ». Mais lorsque Lucie eut six ans, il y avait quatre mois, Madame commença à prendre plaisir à choisir des petites robes, des jouets et autres, à coiffer la petite fille. La prédiction de Phil, toujours pas accomplie, avait été oubliée, enfermée dans un tiroir sombre. Cependant, comme avec tout le reste, elle s'en lassa. Elle perdu le goût d'acheter des choses qui n'étaient pas pour elle, de devoir laver et nourrir une petite fille qui riait tout le temps, courait partout et faisait des bêtises. Et pourtant, elle n'arrivait pas à renvoyer Lucie chez sa nourrice. Alors elle continua à s'occuper de la petite, avec moins d'entrain qu'avant, mais c'était mieux que rien. Puis, il y eut ce matin – là. Elle se réveilla avec une sensation étrange et elle se souvint brusquement de l'oracle. Elle eut peur, mais pas assez pour emmener sa petite fille au banquet auquel elle était invitée. Pas assez pour lui dire de n'ouvrir à personne et de faire très attention. Juste assez pour sourire et sortir en oubliant de fermer la porte à clés. -Au revoir, ma puce, avait – elle seulement dit doucement. -Au revoir maman !, avait répondu Lucie. Ensuite, elle partit, son mari étant en voyage pour le travail, ne vint pas avec, ce qui l'arrangeait bien. Madame passa plusieurs heures de pur plaisir, mais se décida finalement à rentrer. La première chose qu'elle remarqua, fut la porte ouverte. La deuxième, les décorations volées. La troisième, son enfant, avec la tâche de sang sur la poitrine. Quelqu'un était rentré et avait tué la petite fille qui continuait paisiblement à regarder vers le haut. Et tout en bas, après la porcelaine et l'argenterie, dans la liste des choses qui n'étaient plus là, il y avait l'argent, il y avait la fourrure. Parce que ce que Madame avait de plus cher, ce n'était ni sa beauté, ni son argent, ni son mari toujours absent, ni ses fourrures, mais son enfant, allongée morte, rouge tâche sur froufrous blancs.

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