Deux visions

« Regarde. Regarde comme la côte est belle. Elle s'illumine de tout son long, et tout le monde la longe comme une longue artère. C'est beau, parce que la plupart des gens se tiennent la main, se caressent les épaules, s'embrassent sous les réverbères, juste en face de la mer. C'est moins concentré que la lumière d'une ville, c'est moins dense et plus poétique. C'est un travelling sans caméra, guidé entièrement par un artifice malin pour entrainer les amoureux. On dirait un cheminement baroque, une pièce de théâtre à dévorer avec les yeux et le cœur. Ça fait du bien, ça me fait du bien de voir le monde se détendre, prendre du bon temps. Je le vois, ils ont la tête en l'air et un charmant sourire. »

« À ton avis, toutes ces lumières. Pour combien de temps encore ? Le brouillamini luminescent finira bien par s'éteindre. Il ne restera que la lune. Pour moi, c'est pas plus mal tu vois. La lueur lunaire est la seule chose naturelle qui reste. Tu as bien raison de parler d'artifice, ce n'est qu'ici qu'on chemine, le long de l'artifice. Je ne trouve pas ça beau, ni poétique, mais étique et aveuglant. Ça me fend le cœur comme une noix. Les Hommes ont l'air heureux, c'est vrai, mais c'est un bonheur qu'on leur a fabriqué. Le pire, ils en ont conscience, ils le reconnaissent, mais ils trouvent ça normal. Ils sont reconnaissant quand on leur montre le trottoir où marcher et la côte à parcourir. Imagine, maintenant, qu'on coupe toute l'électricité. Que tout ce petit monde se retrouve dans la plus totale obscurité. Crois-tu que les amoureux auraient encore le courage, de s'embrasser sous la lune ? »