Différent
sylvenn
Différent. J'irai jusqu'à le graver dans ma chair, comme pour me donner une identité que je n'ai jamais eue, pour enfin être compris des autres par un simple symbole.
≠
Parce que jusqu'aujourd'hui, même si la différence coule dans la moindre goutte de sang qui parcourt mes veines, je ressens chaque jour plus douloureusement ce gouffre, cette abyssale incompréhension qui me sépare du reste de l'humanité. Sans doute ai-je jusqu'à présent toujours jugé inutile d'écrire à sujet qui pourtant est celui qui me tient le plus à cœur, celui qui fait de moi ce que je suis. La différence, face à l'indifférence du monde. Sans doute ai-je toujours trouvé cela vain, puisque jamais des mots, aussi sincères eussent-ils été, n'ont fait changer quoi que ce soit à cela.
Parler de moi. Parler de mon passé, de mon éducation. De mes émotions, de mes difficultés. De mon incompréhension face à ce que les gens ont fait de la vie. De mon inadaptation à cette société mondialisée et mondialement morte. Rien de tout cela n'a jamais fait bouger d'un iota le stoïcisme de mes interlocuteurs, ni la morosité du monde qui me cerne sans jamais m'avoir cerné. Aucun de tous ces mots ne m'a jamais fait vibrer comme je vibrais enfant, émerveillé devant chaque pixel d'existence.
***
Alors non, je n'écris pas en espérant faire passer un message. Je n'écris pas non plus en espérant que vous compreniez quoi que ce soit à ce que je suis. J'écris pour hurler. J'ECRIS, POUR, HURLER. Hurler que j'ai toujours été différent de vous tous ; j'en ai souffert, j'en souffre chaque jour, mais je continue et je le revendique, pour mieux vous assourdir de mes vociférations. JAMAIS je ne serai comme vous. Mon âme jamais ne se noiera dans la grise masse informe d'indifférence dont vous n'êtes que d'insignifiants grumeaux. Ma différence, je la persiste et la signe au couteau en effilant ma peau, jusqu'à ce que débordent des flots d'un sang différent, à la vue duquel vous vous indignerez comme des chiens aboyant dans leur cage.
Et ça tombe bien, car je n'attends que ça. Vous indigner, vous secouer comme des cornichons dans votre petit bocal de jus de confort, dans votre pensée conforme, dans votre sécurité insipide. Vous verrez mes saignements, vous entendrez mes hurlements où que vous soyez sur Terre, et un titillement viendra chatouiller la pierre de vos âmes. L'espace d'un instant, j'aurai fait ressurgir la criante vérité : vous n'êtes pas vivants. Vous n'êtes que des statues mouvantes, de pâles figurations, des fantômes de glace, des parodies grossières de ce qu'est
la vie. Je le sais bien, votre instinct de sur(non)vie effacera la moindre trace de cette vérité en vous, aussi vite qu'elle ne sera apparue. Mais comme dirait Edward Norton dans Fight Club : « Ils ne le savent pas, mais ils l'ont bien vue ». Votre visage restera de marbre, mais j'aurai fait sangloter, pleurer et même saigner votre âme.
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Femmes fatales sans autre profondeur que celle de vos orifices, vous pleurerez.
Hommes gonflant vos torses pour camoufler la petitesse de votre… vie intérieure, vous pleurerez.
Femmes indépendantes brandissant les fades déceptions sentimentales de vos vies pour justifier votre pitoyable impitoyable inhumanité, vous sangloterez.
Hommes libres parcourant le monde comme si le vide en vous ne saurait vous suivre partout où vous irez, vous sangloterez.
Mères de famille, ayant cru combler le vide de votre âme en fécondant d'autres âmes dont la présence ici-bas ne tient qu'à votre caprice égoïste, vous saignerez.
Pères de famille, respectant et faisant respecter à la lettre les codes de cette société sans fondement sous couvert de maturité, vous saignerez.
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Oui, tous, dans l'étendue et la diversité de vos histoires et de vos vies, vous saignerez un jour de comprendre que vous êtes, finalement, tous les mêmes. Interchangeables. Parce qu'au commencement de vos jours, vous avez rendu les armes. Vous avez capitulé. Vous avez décliné le pari de vivre coûte que coûte, au prix de votre dignité, de ce qui faisait de vous une personne vivante. Je me dois de vous apprendre aujourd'hui que vous n'êtes, et depuis trop longtemps maintenant, plus qu'une coquille vide. Une personnalité morte, tuée dans l'œuf de vos propres mains.