Dix vagues au Siam, épisode 1
Baroc Raiffen
Moite.
Tout l'était dans cette continuelle saison. Et moi, tout laiteux que j'étais, je tentais d'offrir définitivement mes perles cutanées à cette orgueilleuse machine à air, qui n'acceptait que trop sporadiquement mes offrandes.
À cette poisse inconfortable, s'opposait le souci de minauder à dessein de la jeune ingénue qui se tenait devant moi, presque à portée d'étreinte. Plongé dans la lecture d'une analyse de l'argot dans l'œuvre Celinienne, c'était à la surface du satin doré couvrant cet être céleste me faisant dos, nu, que je remontais respirer.
La fréquence de mes respirations augmentait, la céleste pris chair. Dans mon petit théâtre, elle était pantelante, souillée, et nos fluides maintenant brassés n'embarrassaient plus personne. Alors que ma main lui caressait le cul, la garce eût l'indelicatesse d'interrompre ma chimère en se levant.
Dans ce café éxigu où le comptoir décrivait un L, épousant un autre L, soit le salon réservé aux clients, il lui fallait passer juste devant moi, et ce, au mépris des distances sociales dictées par l'étiquette asiatique. C'était donc nuque tendue, dos légèrement infléchi et regard vissé aux claquettes qu'elle m'offrit son profil. À ce moment, je me demandais si cette excessive politesse, tendant vers la soumission, pouvait éveiller quelque lubricité chez ses concitoyens mâles.
Néanmoins, je ne savais qui ce zèle avait rendu assexué, mais le désir avait fui. Elle s'acquitta de sa note, salua poliment le tôlier à grand renfort de "Khaa" (ค่ะ), fît tinter la porte, traversa la petite terrasse rectangulaire, sauta les deux marches de son piédestal et quitta mon regard en passant derrière la haie qui tenait la rue à distance.
Je me retrouvais à présent seul client, avec Montree (มนตรี) derrière son comptoir, affairé à moudre du grain et nettoyer ses percolateurs. Ce dernier avait un àge avancé, une silhouette frêle et pas très longue, sur laquelle siégeait une tête oblongue, toute aussi fine, dont seules des pomettes saillantes ornées de binocles rectangulaires classiques désharmonisaient les courbes. Il portait un bouc négligé et épars, témoignant de la patience du glabre, et était coiffé d'une toison hirsute et courte,d'un brun intense que les années n'avaient pas érodé.
Son regard vif, pétillant, trahissait une activité cérébrale nourrie, qui conjuguée à sa voix timorée et doucereuse, laissait deviner un être vaincu mais debout, soldat de l'humilité, de ceux que seul le marriage de la lâcheté et d'un égocentrisme laborieux et perfectionniste peut enfanter.